Albert Einstein, David Bohm et Louis de Broglie sur les variables cach´ ees de

Albert Einstein, David Bohm et Louis de Broglie sur les variables cach´ ees de la m´ ecanique quantique. Michel Paty To cite this version: Michel Paty. Albert Einstein, David Bohm et Louis de Broglie sur les variables cach´ ees de la m´ ecanique quantique.. La Pens´ ee, 1993, p.93-116. <halshs-00167125> HAL Id: halshs-00167125 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00167125 Submitted on 14 Aug 2007 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. La Pensée (Paris), n°292, mars-avril 1993, 93-116. Albert Einstein, David Bohm et Louis de Broglie sur les ‘variables cachées’ de la mécanique quantique PAR MICHEL PATY* à David Bohm, in memoriam RESUME. Les partisans des ‘variables cachées’ pour compléter la mécanique quantique d'une manière déterministe se sont appuyés sur les objections d'Einstein, et l'on a souvent cru que telle était aussi la position de ce dernier. On montre, par l'étude des travaux de David Bohm et de Louis de Broglie sur cette question et par l'examen de la correspondance échangée entre eux et Einstein, que ce dernier ne partageait pas le programme des ‘variables cachées’, ce qui confirme l'analyse de ses conceptions propres que nous avons effectuée par ailleurs. ABSTRACT The positions of the proponents of ‘hidden variables’ to complete quatum mechanics in a deterministic way have often been identified to Einstein's one. We show, from the study of David Bohm's and de Louis de Broglie's works on hidden variables and from the reactions of Einstein through the correspondence he exchanged with them, that Einstein did not share the deterministic programme of hidden variables. This confirms what we previously could infer from the direct analysis if his own conceptions. * Equipe REHSEIS, CNRS et Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75251 PARIS-Cedex 05. MICHEL PATY 2 1. EINSTEIN ET L'INTERPRETATION DE LA MECANIQUE QUANTIQUE1. Einstein, qui avait largement contribué à la naissance et au développement de la physique des quanta, formula, comme on le sait, des critiques à l'encontre de la mécanique quantique telle qu'elle fut interprétée, à partir de 1927, par Niels Bohr et l'Ecole de Copenhague. La nouvelle théorie se présentait sous un formalisme élaboré, dont l'interprétation physique n'était pas évidente: l'Ecole de Copenhague-Göttingen en fournissait une où les considérations physiques étaient directement rapportées à des conceptions générales sur la connaissance, dont la ‘philosophie de la complémentarité’ de Niels Bohr exprime les tendances essentielles. En critiquant cet ensemble alors indissociable que constitua longtemps la mécanique quantique et son interprétation non seulement physique, mais aussi philosophique, Einstein s'interroge avant tout sur le caractère fondamental ou non de la théorie, en se montrant soucieux de préserver la nécessaire autonomie de l'interprétation physique, tout en réclamant de la théorie physique qu'elle satisfasse certaines exigences, de nature théorique et méta-théorique. L'importance du caractère ‘fondamental’ a directement à voir avec ses travaux dans la direction de la théorie du champ, inaugurés par sa théorie de la Relativité générale. La physique, pour lui, a atteint un stade où elle ne peut se contenter d'être une simple ‘phénoménologie’; elle doit, d'une manière ou d'une autre, intégrer les leçons de la Relativité générale. Il sait bien - par son propre travail dans ce domaine - que les phénomènes quantiques relèvent présentement d'une approche différente de celle en termes de champ défini sur le continuum spatio-temporel, et ses considérations sur la mécanique quantique s'en tiennent à la spécificité de cette dernière. Mais, dans la mesure où elle est présentée par ses promoteurs comme une théorie fondamentale, et même définitive et complète, c'est par rapport à cette prétention qu'il l'interroge, d'autant plus qu'il faudra bien, un jour, raccorder dans une unité plus haute la théorie de la matière élémentaire et celle de la gravitation: par-delà ses critiques immédiates, c'est à un tel programme qu'il songe constamment. Il n'impose pas, pour autant, à la mécanique quantique les exigences qu'il formule pour une théorie du champ: il se demande seulement si elle peut servir de base pour aller plus loin. 1 Ce travail fait partie d'une étude plus vaste sur la pensée physique d'Einstein et les quanta (à paraître sous le titre Einstein, les quanta et le réel), entrepris en même temps qu'un autre ouvrage paru dernièrement, Einstein philosophe, la physique comme pratique philosophique (PUF, Paris, 1993). Il m'a semblé approprié de le publier sans attendre la parution du livre, comme contribution au centenaire de la naissance de Louis de Broglie. Le premier paragraphe donne quelques éléments résumant les analyses des autres chapitres du livre. Je remercie l'Université hébraïque de Jerusalem et l'équipe des ‘Einstein papers’ à l'Université de Boston pour l'autorisation d'utiliser des manuscrits inédits des Archives Einstein. Je remercie Olival Freire pour ses commentaires. Ce texte était terminé lorsque j'ai appris avec tristesse la disparition de David Bohm, le 27 octobre 1992. Je dédie ce travail à sa mémoire. ALBERT EINSTEIN, LOUIS DE BROGLIE ET DAVID BOHM SUR LES VARIABLES CACHERES 3 Faisant appel à des ‘expériences de pensée’2, dont l'analyse permet de mettre à l'épreuve la cohérence logique des concepts et de la structure théorique qui les incorpore, il développe, au long des années, des considérations et des critères qui permettent de se prononcer sur la nature de ces concepts et des propositions théoriques. Parmi les exigences méta-théoriques ou épistémologiques qui sous-tendent son raisonnement, et autour desquelles celui-ci paraît s'organiser et se structurer, on trouve les catégories ou les notions de réalité, d'observation, de déterminisme, de caractère statistique des réprésentations, de théorie complète. Ces notions tiennent par ailleurs une place centrale dans sa pensée, par-delà le seul cas de la mécanique quantique3. Leur examen, à travers les textes d'Einstein sur la mécanique quantique, montre qu'elles se présentent dans un certain ordre de priorité, dont nous retiendrons surtout ici que le réalisme est strictement requis tandis que la question du déterminisme n'est que subséquente. Le problème de la réalité physique se propose en premier lieu: il est inséparablement problème de la nature de cette réalité et problème de sa représentation. Pour les physiciens quantiques ‘orthodoxes’, il se confond avec la question de l'observation et de la mesure. Einstein veut montrer, au contraire, que la réalité physique peut être pensée, et donc décrite, indépendamment de l'acte de mesure. Lorsqu'il écrit à Michele Besso, en 1949, à propos de son article "Réponse aux critiques", qu'il y "défend le bon Dieu contre l'idée d'un prétendu jeu de dés continuel"4, il souligne que c'est "le bon Dieu", autrement dit, bien sûr, le Réel ou la réalité5, qui est au centre de ses remarques sur l'interprétation de la mécanique quantique, remarques qui constituent la part la plus importante de ce texte. Quant au "jeu de dés", ce n'est qu'un raccourci, frappant, mais qui renvoie à une argumentation plus complexe qu'une exigence immédiate de déterminisme ou un refus des probabilités. L'image de Dieu qui ne joue pas aux dés, qu'il a souvent reprise et qui a généralement été interprétée de manière simpliste, résume, en fait, l'ensemble des aspects, mêlés, de l'interprétation, de l'aspect statistique à l'effet de l'observation et de la mesure, et au problème de la description de systèmes physiques individuels. C'est donc, avant tout, en référence à la réalité physique que se pose le problème de la description théorique. La formulation de l'exigence de complétude théorique et sa définition constitue le deuxième temps dans la logique du raisonnement d'Einstein. La complétude théorique vient assurer, précisément, dans l'architecture de son argumentation sur la mécanique quantique, l'exacte 2 La plus connue est l'expérience de pensée EPR (Einstein, Podolski, Rosen 1935), qui fait intervenir des systèmes quantiques corrélés (par exemple deux particules issues d'un même atome) et qui le demeurent après leur séparation, quelle que soit leur distance. Cette propriété spécifiquement quantique sera mise en évidence, à la suite des travaux d'Einstein et de Bohr, par Bell (1964), et testée expérimentalement (expériences d'Aspect). Sur ces circonstances et sur l'interprétation de l'inséparabilité quantique, voir par ex. Paty 1982, 1985, 1986 a, 1988 a. 3 Voir Paty 1993 a, chapitre 9. 4 Einstein, lettre à Michele Besso du 30.11.1949, in Einstein, Besso 1972, lettre n° 165; cf. Einstein 1949. 5 Einstein partageait le ‘Deus sive Natura’ de Spinoza (voir Paty 1986 b). MICHEL PATY 4 adéquation de la représentation théorique à la réalité. Elle exprime la nécessité pour la théorie de rendre compte de tous les éléments de réalité qu'il est possible de caractériser par la pensée. A un élément caractérisé de la réalité doit correspondre une grandeur théorique définie dans une théorie complète6. Le troisième temps est consacré à la recherche d'un moyen de caractériser un système physique réel indépendamment du fait qu'on l'observe ou non: la uploads/Philosophie/ einstein-bohm.pdf

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