LA FIN DE LA PSYCHANALYSE (1939) Georges Politzer La mort de Sigmund Freud
LA FIN DE LA PSYCHANALYSE (1939) Georges Politzer La mort de Sigmund Freud replace devant notre esprit la psychanalyse qui, en fait, appartient déjà au passé. L'intérêt pour les conceptions et les méthodes liées au nom de Freud n'a cessé de diminuer, surtout durant les dix dernières années. Il a même disparu dans les milieux scientifiques réellement avancés. L'histoire de la psychanalyse révèle, en effet, trois périodes : une période d'élaboration, une pédiode de grandes controverses et de prestige croissant, enfin la période d'insertion dans la science officielle et de décadence scolastique. Pendant la décade qui suivit les travaux de Freud postérieurement à sa rupture avec Breuer, la psychanalyse, peu connue, est combattue par les représentants de la psychiatrie universitaire. Les discussions deviennent de plus en plus vives à mesure que le « freudisme » se répand, non seulement parmi les médecins, mais parmi les écrivains et le « public cultivé ». Durant les années qui ont suivi la guerre, le prestige de la psychanalyse est à son apogée. Puis les discussions passionnées cessent; la « résistance » des psychiatres classiques tombe; la psychanalyse s'intègre à son tour dans la science officielle, cependant que, chez ses représentants « authentiques », elle prend l'allure d'une véritable scolastique: libido, complexe, surmoi, etc., deviennent autant de clichés, et les travaux psychanalytiques tournent en rond en ruminant constamment les mêmes thèmes. Si, durant les dix années qui ont précédé la guerre de 1914-1918, la psychanalyse était déjà assez célèbre dans les pays d'Europe centrale et assez connue dans les milieux scientifiques des pays anglo-saxons, elle était par contre à peu près ignorée en France. La réfutation tentée par Yves Delage de la théorie freudienne du rêve est une tentative assez isolée. La diffusion de la psychanalyse en France a commencé au lendemain de la guerre. Ce furent d'abord, là aussi, de la part des représentants de la science officielle, des polémiques acerbes, au moyen d'arguments qui n'étaient pas toujours scientifiques. Le regretté Charles Blondel, alors professeur à l'Université de Strasbourg, n'écrivait-il pas, dans un opuscule destiné à réfuter la psychanalyse, que les idées et les pratiques qui la caractérisent, pouvaient bien convenir à l'esprit germanique, mais n'étaient pas compatibles avec le génie latin ? Cependant la diffusion de la psychanalyse a continué en France aussi, et, aujourd'hui, elle cohabite également dans ce pays avec les méthodes et les théories classiques que, d'après ses partisans, elle était appelée à éliminer. Les changements survenus dans les destinées de la psychanalyse ont été notés par Freud lui-même. 1. La Pensée, numéro 3, octobre-novembre-décembre 1939, pp. 13-23; signé du pseudonyme de Th. W. Morris. Il a signalé, en 1932, que la psychanalyse est « considérée comme une science »; qu'elle a « conquis sa place à l'Université »; que si « les combats engagés autour d'elle ne sont pas encore terminés », « c'est avec moins d'âpreté qu'ils se poursuivent » (Nouvelles Conférences sur la psychanalyse, p. 189). Rien n'indique que le droit de cité fut accordé à la psychanalyse à cause des apports réellement positifs qu'on pourrait inscrire à son actif, notamment en psychiatrie. Sans vouloir insister dans cette étude sur une discussion détaillée de la psychanalyse en tant que thérapeutique, on peut noter qu'il est certain désormais que la méthode de Freud n'a pas justifié les grands espoirs qu'elle a suscités. Beaucoup de médecins se réclament dans les cliniques, de la psychanalyse. Mais ils pratiquent, en fait, une méthode éclectique dans l'immense majorité des cas, et il n'a pas pu être établi d'une manière réellement scientifique que les résultats pratiques obtenus par les procédés spécifiquement freudiens représentent un progrès effectif de nos moyens d'action sur les maladies mentales. Les résultats obtenus ne sont pas supérieurs à ceux que l'on peut obtenir! par d'autres méthodes, dites de médication psychologique, et il subsiste, d'autre part, toujours un doute sur la nature du procédé par lequel le résultat a été, en fait, obtenu. Il est du reste caractéristique que dans ses derniers ouvrages Freud a déclaré, parlant de l'efficacité de la psychanalyse, qu'elle n'était, comparée aux autres méthodes, que prima inter pares. Le fait est que nos moyens d'action en psychiatrie restent, après la psychanalyse, aussi insuffisants qu'auparavant. Le problème qui se pose dans ce domaine dépasse très vraisemblablement les cadres aussi bien des médications psychologiques et physiologiques prises séparément, que des méthodes qui se bornent à les combiner, en faisant abstraction des conditions historiques objectives au milieu desquelles se développe l'homme psychopathe en tant que phénomène social, et de la nécessité d'une action sur ces conditions elles-mêmes. Nous ne nous étendrons pas davantage sur un autre aspect de la psychanalyse qui parut, lui aussi, tout d'abord sensationnel, à savoir ses applications pédagogiques. Là aussi, il apparaît aujourd'hui clairement que les espoirs mis dans la psychanalyse étaient entièrement injustifiés. La prétendue preuve par les « résultats » que proposent, avec leur imprécision habituelle, les psychanalystes, est sans portée. Comme en matière de psychothérapie, les procédés effectivement appliqués par les psychanalystes en pédagogie sont de deux sortes. Il y a des procédés qui sont bienfaisants, mais qui n'ont rien de spécifiquement freudien. Ce sont des procédés qui réagissent contre la part de barbarie que comporte notre système traditionnel d'éducation. C'est ainsi que la condamnation de la méthode qui consiste à vouloir résoudre par la violence les problèmes que pose la formation du caractère de l'enfant, n'a rien de spécifiquement psychanalytique. Quant aux procédés spécifiquement psychanalytiques, ils sont, dans le meilleur des cas, inefficaces. Ils sont, plus exactement, nuisibles dans la mesure même où il s'agit de procédés qui axent l'éducation sur l'attention aux conflits d'ordre sexuel. Il existe une réalité physique et sociale dont la vie n'est nullement déterminée par les mécanismes familiers aux psychanalystes. La réalité au sein de laquelle doivent vivre filles et garçons leur pose des problèmes en termes autrement, objectif s que ceux dont sont faits les complexes d'Ariane et d'OEdipe. Considérer que la liquidation de ces complexes ou la résolution des conflits qui les constituent, forme la tâche essentielle, ou l'une des tâches essentielles de l'éducation, c'est fausser chez l'enfant « l'attention à la vie » pour reprendre l'expression d'un célèbre philosophe. En tant que méthode ainsi orientée, la pédagogie psychanalytique s'inspire évidemment de la position de ceux pour qui les problèmes objectifs, économiques et autres, sont résolus, et pour qui le monde semble effectivement graviter autour des conflits sexuels. Il existe, certes, des milieux sociaux où il y a une base matérielle pour une telle abstraction, et en ce sens la psychanalyse contient une part de vérité, mais les grandes masses, par exemple, se trouvent en présence de préoccupations d'une objectivité autrement décisive que les rapports entre le Ich et •le Es. C'est la raison, sans doute, pour laquelle il y a eu quelques tentatives pour compléter la pédagogie psychanalytique individuelle par une pédagogie sociale conçue selon les mêmes principes. En fin de compte, la psychanalyse est plus intéressante comme fait historique qu'en tant que mouvement scientifique, et elle est plus instructive par les faits sociaux dont elle contient les reflets que par le contenu des théories au moyen desquelles elle a voulu nous instruire. Cependant, si la psychanalyse a perdu l'essentiel de son prestige, si, même au point de vue littéraire, les thèmes à libido et les personnages à complexes sont sans rendement, c'est encore le contenu proprement théorique du mouvement issu de Freud qui suscite, relativement, le plus d'illusion. Il n'est pas inutile, à notre avis, de nous étendre plus longuement sur cet aspect du problème. La contexture théorique de la psychanalyse est celle d'un éclectisme très hétéroclite. Le reproche d'éclectisme adressé à Freud peut surprendre, puisque c'est de dogmatisme surtout qu'il fut accusé par ses disciples dissidents, et le fait est qu'il est allé jusqu'à affirmer que la psychanalyse, telle qu'il avait l'habitude de la concevoir, constituait Un tout dont il ne fallait enlever aucune pièce essentielle. Mais dogmatisme et éclectisme ne s'excluent nullement. L'histoire des idées en fournit la preuve constante. Victor Cousin, chef de l'Ecole éclectique, ne fut-il pas dogmatique au point de vouloir imposer une philosophie officielle à l'Université ? C'est que le dogmatisme n'exprime pas la fermeté du penseur qui 'n'accepte d'autre règle que la conformité des idées aux faits. Il exprime l'acharnement à maintenir un échafaudage idéologique, le cas échéant, contre les faits. Les représentants de tous les systèmes inconséquents et incohérents sont dogmatiques, et ce sont eux qui ont besoin de l'être. Une pensée réellement approfondie, n'ayant d'autre ambition que de serrer de près le réel, s'adapte tout naturellement aux faits nouveaux et aux situations nouvelles. Pour le savant et le penseur authentiques, le fait nouveau, la découverte nouvelle sont toujours d'heureux événements, tandis que le faux savant et le penseur qui vit sur des idées mal ajustées, se dressent avec d'autant plus de fureur contre les novateurs qu'ils sont davantage dérangés par eux dans leur quiétude éclectique. Freud fut dogmatique et éclectique, et son éclectisme fut déterminant pour les destinées de uploads/Philosophie/ georges-politzer-la-fin-de-la-psychanalyse.pdf
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- Publié le Jan 26, 2021
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