3 | 2000 : La métaphysique Entretien avec Michel Henry VIRGINIE CARUANA ET MICH
3 | 2000 : La métaphysique Entretien avec Michel Henry VIRGINIE CARUANA ET MICHEL HENRY p. 69-80 Résumé Cet entretien réalisé le 30 novembre 1999 à Paris présente l’évolution de la philosophie de Michel Henry, depuis L’essence de la manifestation jusqu’à l’Incarnation. Il s’agit de présenter le projet, la place et la centralité de L’essence de la manifestation dans l’œuvre de M. Henry, puisque c’est dans cet ouvrage qu’il a mis au jour les présuppositions de sa phénoménologie de la vie et de l’intériorité subjective, présuppositions qu’il fera travailler dans tous les ouvrages qui lui succéderont, ceci jusqu’à L’incarnation. Elle s’oppose à une phénoménologie du monde, de l’extériorité et de l’objectivité. Son concept central, celui de chair, pense la matière affective du Soi, c’est-à-dire du corps subjectif. Il est inséparable d’une thèse : à savoir que la corporéité (rapport au corps) est antérieure à l’intentionnalité (rapport au monde). Une phénoménologie du corps subjectif est donc apte à saisir la vie dans son immanence. Elle conduit à une archéologie de la chair dans l’Incarnation, analyse de la matière constituante de la vie qui précède et habite toute intentionnalité Entrées d’index Mots-clés : soi, chair, corps, corporéité, immanence, vie Notes de l’auteur Note 1 : Entretien réalisé par Virginie Caruana, le 30 novembre 1999 à Paris Texte intégral V. Caruana : La lecture de l’Essence de la Manifestation laisse s’interroger sur la présence du corps. Quel est le rapport entre la vie et le corps ? Comment la vie s’incarne-t-elle ? Michel Henry : Le projet de l’Essence de la Manifestation est une critique de la subjectivité classique, celle de Kant qui me semblait être une subjectivité purement formelle et vide, où la vie n’était pas présente. C’était uniquement la subjectivité kantienne d’un « je pense » qui est vide, qui est simplement formé par des catégories d’appréhension du monde et qui est donc tourné vers le monde. Mon projet a été de montrer que la subjectivité était une subjectivité concrète. Le philosophe que j’admirais était Kierkegaard dont la philosophie était faite d’angoisse et qui n’avait rien à voir avec la philosophie du sujet compris uniquement comme sujet de la connaissance, c’est-à-dire objectivement. A ce moment là, dans le projet de l’Essence de la Manifestation, j’ai commencé par travailler un chapitre sur le corps pour Entretien avec Michel Henry http://philosophique.revues.org/230 1 sur 8 01/07/2013 12:31 S’il faut distinguer deux types de corporéité, comment se rapportent-elles l’une à l’autre ? Quel est le rapport de la vie à son autre : le monde ? montrer que le corps était quelque chose, que la subjectivité était corporelle, qu’elle était corps. Ou si vous voulez que le corps était subjectif. Or, l’auteur qui m’a servi à ce moment là est Maine de Biran, et l’Essai sur l’ontologie biranienne est donc initialement un chapitre de l’Essence de la Manifestation. Le corps et la vie sont alors devenus un morceau détaché, voilà pourquoi on n’en parle pas dans l’Essence de la Manifestation. L’Essence de la Manifestation est un travail purement phéno-ménologique où j’ai mis à jour mes présuppositions phénoménologiques, ma phénoménologie, c’est- à-dire une phéno-ménologie qui repose sur le dualisme de la phénoménalité ek-statique du monde qui est celle de Heidegger et d’une phénoménalité totalement différente qui est celle de la vie. On peut parler de la duplicité ou de la dualité de l’apparaître, de deux modes de phénoménalisation de la phénoménalité pure. Dès ce moment, j’ai voulu faire travailler ces présupposés sur la philosophie de Marx puis sur la culture, dans la Barbarie, puis sur l’art avec Kandinsky. J’ai fait également travailler ces présupposés sur Husserl. Phénoménologue en possession de ma phénoménologie j’ai relu Husserl, qui est pour moi de loin le meilleur des phénoménologues. J’ai ensuite fait travailler la phénoménologie sur l’inconscient dans la Généalogie de la psychanalyse. La réponse c’est qu’il y a d’abord la chair, c’est la même chose que le Soi transcendantal, parce que la chair c’est la matérialité phénoménologique du Soi transcendantal, c’est-à-dire que ce soi a une matière qui n’est pas de la matière, ce qui serait absurde, mais qui est ce qui fait qu’il est souffrance, joie etc. La chair est comprise comme une auto-impressionalité, qui est une matière affective, et cette auto-impressionalité c’est la chair de l’auto-affection qui n’a pas besoin du monde. Ce rapport de la corporéité au monde c’est que la vraie corporéité est une auto-affection pathétique. Elle est cette chair vivante où il n’y a pas de monde. Le rapport au monde est très complexe parce que le « je peux » biranien où le « je peux » déploie son corps organique qui est encore de la subjectivité pure et vient buter sur le continu résistant qui est le monde atteint de l’intérieur, qui est un monde où il n’y a pas encore de monde, est quelque chose d’extraordinaire, mais tout ça est vu de l’extérieur sous la forme d’un corps qui prend, qui touche, etc. Alors que mon corps objectif ne peut pas prendre, mon corps objectif ne peut pas toucher, Heidegger le dit, la table ne touche pas le mur, la lampe ne touche pas ce sur quoi elle est posée, c’est de l’anthropomorphisme de dire cela. Ma main touche la table, mais ma main ne la touche pas dans l’objectivité, elle la touche dans ce corps organique de Maine de Biran qui n’appartient pas au monde. A ce propos j’ai fait une théorie de l’érotisme dans mon prochain livre2. L’érotisme c’est la prise des corps. Il faut pouvoir décrire tout cela, et pas de façon superficielle dans l’objectivité, il faut le décrire dans l’invisible où ça se passe, c’est ce que j’ai fait. La thèse de mon dernier livre, l’Incarnation, est qu’il y a la chair et que de façon paradoxale pour le christianisme la chair est le lieu du salut, Corpus Christi, mais la chair est aussi le lieu de la perdition, c’est le lieu du péché et il ne faut pas oublier que le péché commence avec la Genèse, il y a un mal originel sinon radical. Or quand on parle de l’érotisme aujourd’hui, quand on en fait une sexualité objective, dont l’acte inaugural est le déshabillage, on la réduit à un projet dans lequel une subjectivité veut se montrer dans le monde pour qu’on puisse la toucher là où elle se touche elle-même. Ce projet est donc contradictoire si la vie s’éprouve dans son immanence intérieure, ne touche jamais à soi comme on touche à un objet. Le rapport de la vie et du monde est donc très difficile parce que c’est un rapport qui ne se réduit pas à l’extériorité : il se trouve que moi qui suis invisible je m’apparais de l’extérieur, dans le monde, c’est une apparition purement extérieure, mais auparavant il y a une sorte de rapport dans l’invisible à un monde, à un continu résistant, qui est lui-même invisible. Cela est Entretien avec Michel Henry http://philosophique.revues.org/230 2 sur 8 01/07/2013 12:31 Est-ce que la vie a besoin du monde ? Quels rapports l’Essence de la Manifestation entretient-elle avec les deux grandes oeuvres que sont l’Etre et le Néant et la Phénoménologie de la perception ? dans Marx aussi. Non, et d’ailleurs je ne comprends pas pourquoi il y a un monde. Que les gens ne sachent pas ce que c’est que la vie ce n’est pas un problème pour eux, pour moi c’est un problème. Mais là je fais de la phénoménologie, je décris. Il y a un philosophe qui a essayé de poser cette question et d’y répondre : c’est Jacob Böhme. Pourquoi Dieu crée le monde ? Dieu crée le monde pour se manifester, pour se révéler. Il dit cela en précurseur de l’idéalisme allemand parce qu’on ne connait de révélation que l’objectivité. En fait, il y a une autre révélation que celle de l’objectivation qui est celle du monde. Pourquoi y a-t-il aussi un monde ? Je ne sais pas. La phénoménologie se contente de décrire. Comment formuler une critique de Sartre, quel « danger » dénoncer ? Comment critiquer le statut du corps chez Merleau- Ponty ? Lier la conscience au corps, au monde, est-ce suffisant ? Que pensez-vous de cette naturalité de la conscience ? L’Essence de la Manifestation ne tient pas compte de l’Etre et le Néant sinon comme d’une anti-thèse. L’Essence de la Manifestation se définit déjà par rapport à Maine de Biran et Descartes, elle se définit par rapport à Hegel, par rapport à Heidegger et par rapport à Husserl. Et dans son travail on peut le dire, l’Etre et le Néant et la Phénoménologie de la perception sont déjà mis hors jeu. Je les prends pour des auteurs secondaires il faut bien le dire. Je vous renvoie aux passages sur la situation. A ce moment là Merleau-Ponty est celui de la Phénoménologie de la perception, puisque celui du Visible et l’invisible n’a pas encore vu le jour. Or, la critique de la perception est assez claire, elle consiste à dire qu’il y a un uploads/Philosophie/ entretien-avec-michel-henry.pdf
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- Publié le Nov 17, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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