Russell La définition de “[la] vérité” [1] « La question de la définition de [la]
Russell La définition de “[la] vérité” [1] « La question de la définition de [la] vérité est l’une de celles sur lesquelles la question de la vérité dans les écrits de Russell j’ai écrit à deux époques différentes. Quatre essais sur ce sujet, écrits dans les années 1906–19091, furent réimprimés dans Essais philosophiques (1910). J’ai repris de nouveau le sujet à la fin des années trente, et ce que j’avais à dire comme résultat de cette seconde recherche est paru dans Une enquête sur la signification et la vérité2 (1940) et, légèrement modifié, dans La connaissance humaine3 (1948). [2] A partir du moment où j’abandonnais le monisme, je n’avais aucun doute que la vérité doit être définie par quelque sorte de relation au fait, mais ce qu’est exactement cette relation doit dépendre du caractère de la vérité concernée. Je deux théories de la vérité combattues par Russell commençai par combattre (controvert) deux théories avec lesquelles j’étais radi- calement opposé ; d’abord, celle du monisme ; et ensuite, celle du pragmatisme. La théorie moniste était exposée dans le livre de Harold Joachim, La nature de la vérité (Oxford, 1906). J’ai traité de ce livre dans un chapitre antérieur4 pour autant qu’il défendait le monisme en général, mais je vais maintenant considérer plus spécialement ce que le monisme a à dire en ce qui concerne la vérité. [3] Le monisme définit la “vérité” au moyen de la cohérence. Il soutient théorie de la vérité-cohérence et monisme qu’aucune vérité n’est indépendante de toute autre, mais chacune, établie dans toute sa plénitude et sans abstraction illégitime, finit par être la vérité entière (whole) sur l’univers tout entier (whole). La fausseté, selon cette théorie, consiste dans l’abstraction et en ce qu’il traite les parties comme si elles étaient des touts (wholes) indépendants. Comme le dit Joachim, “la croyance assurée du sujet errant en la vérité de sa connaissance caractérise l’erreur de façon distinctive, et transforme une appréhension partielle de la vérité en fausseté”. En ce qui concerne cette définition, j’ai dit : [4] Cette conception a un grand mérite, en ce qu’elle fait que l’erreur consiste entièrement et seulement dans le rejet de la théorie moniste de la vérité. Aussi longtemps que cette théorie est acceptée, aucun jugement n’est une erreur ; dès qu’elle est rejetée, tout jugement est une erreur. Mais il y a quelques objections à soulever contre cette conclusion confortable. Si j’affirme, avec une “confiance assurée en 1Ces quatre articles sont les suivants : “The nature of truth”, Mind, nouvelle série, vol. 15, p. 528–533 ; “On the nature of truth”, Proceedings of the aristotelician society, nouvelle série, 7, p. 28–49 ; “Transatlantic truth”, Albany review, 2, p. 393–410 ; “Pragmatism”, Edinburgh review, 209, p. 363–388. (Note de l’éd.) 2Traduit en français par Philippe Devaux sous le titre Signification et vérité, 1969, “Champs”, Flammarion, 1969. (Note de l’éd.) 3Traduit en français par Nadine Lavand, “Textes philosophiques”, Vrin, 2002. (Note de l’éd.) 4A savoir dans le chapitre 5 du présent ouvrage, intitulé “Révolte contre l’idéalisme et pluralisme”. Ce chapitre reproduit 8 pages de l’article “Sur la nature de la vérité” de Russell, mais le passage cité est essentiellement consacré à ce que Russell considère à l’époque comme le cœur de l’idéalisme absolu, — dont découlent les autres théories, comme celles de la vérité comme cohérence, — à savoir la doctrine des relations internes. Mais Russell montre bien comment la théorie moniste de la vérité découle de la théorie logique centrale des relations internes. (Note de l’éd.) 1 la vérité de ma connaissance” que l’évêque Stubbs5 avait coutume de porter des guêtres épiscopales, c’est une erreur ; si un philosophe moniste, se rappelant que toute vérité finie est seulement une vérité partielle, affirme que cet évêque Stubbs fut pendu pour un meurtre, ce n’est pas une erreur. Ainsi il semble clair que le critère de H. Joachim ne fait pas de distinction entre des jugements vrais et faux comme on les entend d’ordinaire, et que son incapacité a faire une telle distinction est une preuve de son défaut. (Essais philosophiques, p. 155). Je concluais que : [5] Il y a un sens dans lequel une proposition telle que “A tua B” est vraie ou fausse ; et qu’en ce sens la proposition en question ne dépend pas pour sa vérité ou sa fausseté, de la question de savoir si elle doit être considérée comme une vérité partielle ou non. Et ce sens est, me semle-t-il, présupposé dans la construction du tout (whole) de la vérité ; car le tout de la vérité est composé de propositions qui sont vraies en ce sens, puisqu’il est impossible de croire que la proposition “l’évêque Stubbs fut pendu pour meurtre” est une partie du tout de la vérité. (Essais philosophiques, p. 155-6) [6] La théorie moniste de la vérité n’est plus beaucoup maintenant largement défendue6 mais la théorie pragmatiste, que je critiquais au même moment, a la thèse pragmatiste de la vérité 5Pourquoi ce nom ? William Stubbs (1825–1901) fut historien et évêque anglican de Chester et d’Oxford. Ce que Russell en dit à son propos dans cet exemple destiné à réfuter de manière presque ad hominem la thèse philosophique de l’idéalisme moniste et, par voie de conséquence, la conception cohérentiste de la vérité qui s’y rattache, est purement fantaisiste ou fictionnel. (Note de l’éd.) 6On admet généralement que la théorie cohérentiste de la vérité trouve son origine dans la philosophie hegélienne (voir par exemple la Phénoménologie de l’esprit), pour laquelle les vérités factuelles hic et nunc sont des faussetés en dehors d’un instant contingent et éphémère. La seule vérité stable est celle du savoir absolu, vérité globale qui subsume toute vérité partielle. Mais il conviendrait d’attribuer la paternité de la théorie cohérentiste de la vérité à Leibniz. Pour celui-ci, tandis que les vérités analytiques sont vraies dans tous les mondes possibles, les vérités empiriques sont relatives à un monde donné. Or le monde réel a été choisi par Dieu parmi tous les mondes com- possibles. Dieu, ne pouvant pas créer un monde contradictoire, devait le choisir parmi les mondes satisfaisant à la condition de cohérence ou de consistance. Mais Leibniz sait bien que la cohérence de l’ensemble des énoncés constituant un monde possible ou un système d’énoncés compossibles, ne suffit pas à déterminer un monde réel, i.e. la vérité empirique d’un ensemble d’énoncés. Le principe logique de non-contradiction est une condition nécessaire de tout monde possible, mais pas une condition suffisante d’un monde réel. C’est la raison pour laquelle Leibniz invoque également un autre principe, physique, celui de raison suffisante, qui est une sorte de principe de moindre action. En cela, Leibniz n’est pas purement cohérentiste, dans la mesure où il reconnaît que la condition de cohérence ne peut pas fournir une condition suffisante pour déterminer les vérités empiriques. C’est à un seul des hegeliens anglais de la fin du XIXe siècle, et pas le plus connu, que Russell considère d’ailleurs plutôt comme moniste (tous les hegeliens le sont), que Russell attribue la doctrine du cohérentisme. Mais d’autres idéalistes absolus anglais à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle ont soutenu une conception cohérentiste de la vérité : F.H. Bradley (Appearance and rea- lity), Bernard Bosanquet (Implication and linear inferance, 1920), Brand Blanshard (The nature of thought, 1939). Russell devait les connaître, mais il n’en parle pas ici. De plus, contrairement à ce que Russell semble suggérer, la théorie cohérentiste de la vérité n’est pas intrisèquement liée au monisme ontologique, et réfuter le monisme ne suffit pas à réfuter la théorie cohérentiste de la vérité. A l’époque où Russell écrit le présent ouvrage (milieu des années 1950), d’autres formes de cohérentisme avaient surgi, sans lien avec le monisme, mais plus proche d’une forme de holisme, défendant que les vérités, — que ce soit nos systèmes de croyances ou les théories scientiques, bien que chacune d’elles soit exprimable par des propositions syntaxiquement indépendantes, — ne sont pas des amas de vérités isolées dont chacune devrait être testée isolément par confrontation avec l’expérience, mais que ces vérités sont liées et forment un système dont la propriété nécessaire, minimale, est la cohérence globale. Ce qu’on pourrait reprocher à cette théorie, c’est que la consis- tance d’un système de croyances ou d’une théorie scientifique n’est pas une condition suffisante de la vérité de chacun des énoncés qui le ou la constituent. Une théorie consistante peut avoir plusieurs modèles non isomorphes ; un système de croyances cohérent ne décrit pas, en général, un monde 2 encore des partisans énergiques. J’ai écrit deux articles sur ce sujet ; le premier était une recension de Le pragmatisme : Un nouveau nom pour quelques vieilles manières de penser de William James7, tandis que le second publié dans le Edinburgh Review, avril 1909, traitait du pragmatisme en général8 . [7] Le point essentiel à propos duquel je diffère du pragmatisme est celui-ci : le pragmatisme soutient qu’une croyance doit être jugée vraie si elle a certaines sortes d’effets, tandis que je soutiens uploads/Philosophie/ b-russell-la-definition-de-quot-la-verite-quot-pdf.pdf
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- Publié le Mai 14, 2021
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