ACTE DE LANGAGE OU PRAGMATIQUE ? Sandra Laugier Presses Universitaires de Franc
ACTE DE LANGAGE OU PRAGMATIQUE ? Sandra Laugier Presses Universitaires de France | « Revue de métaphysique et de morale » 2004/2 n° 42 | pages 279 à 303 ISSN 0035-1571 ISBN 9782130544616 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2004-2-page-279.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Cavell dans son récent livre Un ton pour la philosophie, une capacité de la théorie d’Austin à repenser la notion d’acte elle-même, et l’idée d’agency du sujet. ABSTRACT. — The article means to examine some ways to make use, today, of J. L. Austin’s definition and theory of speech acts. Beyond Austin’s theories’ relevance for a reconception of a theory of truth, as showed by C. Travis, it is here suggested, following some of Stanley Cavell’s insights in his recent book A Pitch of Philosophy, that Austin’s ideas could help us in reconstructing the very notion of an act, and the notion of a subject’s agency. Quel usage peut-il être fait d’Austin aujourd’hui 1 ? Peut-être faut-il, pour commencer à répondre à la question, différencier l’héritage d’Austin et la prag- matique. La pragmatique a toujours revendiqué Austin comme père fondateur, mais un peu comme une politesse, et sans toujours prêter une grande attention à ses textes. Austin est peut-être aujourd’hui le philosophe du langage dont le nom est le plus connu et l’œuvre la plus méconnue. Il a de toute façon toujours eu une place à part dans la philosophie contemporaine, et notamment analy- tique : en France, outre Jacques Bouveresse 2, seul François Récanati 3 lui a accordé une véritable attention, et aux États-Unis, dans des styles différents, Stanley Cavell 4 et Charles Travis 5 constituent des exceptions dans leur façon de prendre réellement au sérieux la philosophie d’Austin et la radicalité de ses thèses sur le langage, la vérité, ou encore la perception. Même en Grande- Bretagne, on a peine à trouver trace de l’héritage d’Austin et de la philosophie 1. Une première version de ce texte a été présentée au colloque « Figures de l’acte », organisé par G.-F. Duportail à l’université Rennes I en 1999. Il a également bénéficié d’un travail effectué avec Étienne Balibar sur l’agency. Je remercie, pour les discussions que nous avons eues à ce sujet, Félix Duportail, Isabelle Thomas-Fogiel, Stéphane Haber, Emmanuel Halais, Bruno Ambroise, et Jocelyn Benoist. 2. La Parole malheureuse, Paris, Éd. de Minuit, 1971. 3. Dans ses ouvrages classiques, Récanati 1978, 1981. 4. Par exemple, Cavell 1969. 5. Travis 1989, 2000, 2003. Revue de Métaphysique et de Morale, No 2/2004 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.121.33.250) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.121.33.250) d’Oxford, si importante au milieu du siècle dernier 6 ; bien que les thématiques d’Austin aient encore été présentes, comme un filon caché, d’abord dans l’œuvre de son collègue P. F. Strawson, puis de Donald Davidson, John McDowell et Gareth Evans, et dans le travail plus récent, par ex., de Quassim Cassam, Mike Martin, Tim Williamson. Il semble que l’influence d’Austin, aujourd’hui, se limite au champ de la philosophie de la connaissance, où ses doctrines sur la perception jouent toujours un rôle – ne serait-ce que de provocation 7. Dans le champ de la philosophie du langage, Austin a quasiment disparu. On a certes reparlé d’Austin lors d’une polémique à plusieurs étages, née entre Jacques Derrida et John Searle à propos d’un texte de Marges de la philosophie consacré à Austin 8 ; mais si une chose au moins est claire à propos de ce débat, c’est qu’il n’y a quasiment jamais été question d’Austin. Hériter Austin aujourd’hui, c’est d’abord le lire comme philosophe, pas comme linguiste (même si la fortune dans le champ linguistique de sa théorie des performatifs fut considérable) et pas même comme philosophe « du lan- gage ». L’invention des performatifs, si on en examine les conséquences, semble déborder en effet le cadre du langage, ou faire exploser le cadre traditionnel du « langage » en transformant la définition de la vérité ; car en effaçant à la fin de sa réflexion la dichotomie entre les énoncés constatifs et les énoncés per- formatifs, Austin a transformé le rapport entre sens et vérité. Mais cela va plus loin : car il a mis en cause non seulement la conception classique du langage et du sens, mais – et là est sans doute une de ses découvertes les plus importantes – la définition même de ce qu’est un acte, qui ne saurait en effet demeurer intacte dès lors qu’il y a acte de langage. ACTE ET SENS La théorie des actes de langage a été présentée et vulgarisée dans de nombreux ouvrages et dans plusieurs champs, notamment littéraire et linguistique. Il est hors de question de la reprendre en détail ici. Nous allons simplement montrer comment elle ne peut être séparée des autres œuvres d’Austin et en particulier de ses articles sur « La vérité », « Feindre », et les « Excuses ». On sait qu’Aus- tin présente sa théorie des performatifs, dans How to do Things With Words, en isolant une catégorie d’énoncés ou plus spécifiquement un « phénomène » (il 6. Voir sur ce sujet le travail à paraître de C. Alsaleh, J. L. Austin et le problème du réalisme. 7. Ibid. Voir aussi Laugier, 2003. 8. Voir J. DERRIDA, « Signature, événement, contexte », Marges de la philosophie, Paris, Éd. de Minuit, 1972. Et J. SEARLE, « Reiterating the difference : a reply to Derrida », Glyph I, Johns Hopkins University Press, 1977 ; trad. J. Proust, Combas, Éd. de l’Éclat, 1991. 280 Sandra Laugier © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.121.33.250) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.121.33.250) qualifie, dans « Excuses », son travail de « phénoménologie linguistique ») « très répandu, évident » mais auquel on n’a pas accordé suffisamment attention. Et il attaque d’emblée le représentationnalisme de la philosophie analytique classique, qu’il appelle « illusion descriptive », et selon laquelle la première fonction des énoncés serait de décrire la réalité. Le représentationnalisme est certes beaucoup plus ancien que la philosophie analytique, mais il a été explicité, de manières diverses, à partir de Frege, de Russell et du premier Wittgenstein, puis dans les œuvres du cercle de Vienne. C’est la mise en forme (l’analyse) logique de dire si une proposition est pourvue de sens, et en ce cas seulement, si elle est vraie ou fausse, c’est-à-dire si elle dépeint ou non la réalité. Le plus beau modèle d’une telle conception se trouve dans le Tractatus logico-philo- sophicus de Wittgenstein. Le monde est la totalité des faits (1.1) et nous nous faisons une image (Bild) des faits (2.1), plus précisément une image logique, qui est la pensée (3). La pensée est la proposition pourvue de sens (4), dont seule on peut demander si elle est vraie ou fausse. Il ne peut donc absolument pas, par ex., y avoir de propositions éthiques (6.42). C’est pour cette raison que la première philosophie analytique avait exclu les jugements éthiques ou esthé- tiques, mentionnés au début de How to do Things With Words, du champ du langage. Ce n’est pas qu’on puisse les analyser comme dépourvus de sens ; ce ne sont PAS des propositions du tout. La démarche analytique, après Wittgen- stein, se définit comme devant éliminer, par une clarification logique du langage, ces énoncés dépourvus de sens, ce qui signifie, dans la doctrine du cercle de Vienne, qui diffère sur ce point de celle de Wittgenstein, en analyser le contenu empirique. Ce qui a conduit la première analyse à exclure certains énoncés, non seulement des limites du sens, mais du domaine du langage – du langage pourvu de sens. Seules sont vraies ou fausses les phrases qui décrivent un état de choses ou uploads/Philosophie/acte-de-langage-ou-pragmatique.pdf
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- Publié le Mar 27, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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