(Extrait du torae LIV des Mémoires couronnés et autres Mémoires publias par 1*A

(Extrait du torae LIV des Mémoires couronnés et autres Mémoires publias par 1*Académie royale de Belgique. — 1896.) C ^; i / U Bruxelles. — Hayez, imprimeur. «s. I » ÀVANT-PROPOS. Le titre de cette petite étude causera, sans doute, quelque surprise à plus d'un de nos lecteurs. Un traité d'anthropologie, c'est ce qu'on ne s'attendait point à rencontrer chez les discoureurs de l'empire qui occupe le milieu du monde. Mais aussi, si Ton pensait trouver ici quelque chose qui ressemblât à nos manuels européens, on se tromperait étrangement. Il n'est pas besoin de le dire, l'esprit de systématisation n'existe point chez les Chinois même philosophes, et la plupart de leurs livres ne sont que des dissertations où les auteurs suivent le cours fluctuant de leur pensée, de leur imagination, inconscients de la nécessité de baser leurs thèses sur un principe dont on déduit les conséquences nécessaires et de donner au dévelop- «A pement des idées un ordre logique qui prémunisse contre ;V>^ les écarts du raisonnement et la fantaisie. Le syllogisme et ses déductions rigoureuses sont choses inconnues aux théoriciens du Yïn et du Yang, aux adeptes du Feng-shui; et la nécessité de se tenir dans les bornes du sujet que l'on traite n'est point du tout sentie chez les successeurs des Kong-tzeet des Lao-tze. Souvent la table des matières d'un livre indique un ordre méthodique des sujets, un procédé logique de discussion; et l'on est très surpris, en parcourant l'ouvrage, d'y trouver un pêle-mêle d'idées dans lequel on a bien de la peine à saisir un fil conducteur; trop souvent l'on ne peut en découvrir aucun. Aussi cette fois ne nous proposons-nous point de traduire (4) un ou plusieurs livres philosophiques quelconques traitant de la matière qui doit nous occuper, mais de recueillir dans tous les ouvrages dont nous avons pu disposer, les traits épars qui, réunis, peuvent donner une idée aussi complète que possible des doctrines régnant parmi les Chinois relativement à la nature de l'homme. Avec ces membres, ces parties éparses, nous avons tâché de constituer un corps de doctrines qui puisse renseigner et satisfaire suffisamment des lecteurs européens sans dénaturer les idées que nous avions à leur faire connaître. Pour faciliter l'intelligence de ces conceptions parfois bizarres, nous avons essayé de combiner dans le texte toutes les données diverses, évitant de couper l'attention par des notes multipliées qui entravent la lecture suivie et souvent empêchent de se faire du sujet trailé une vue d'ensemble adéquate. Nous avons écarté, de ces pages, ces explications d'une subtilité qui touche au ridicule et qui déparent trop souvent les œuvres d'hommes qui ont l'intention d'être sérieux. Certes, comme nous l'avons dit en commençant, ce ne sera point un fragment d'un de nos manuels philosophiques occidentaux; mais cependant, systématisé de cette façon, ce petit traité ne sera pas, je l'espère, absolument indigne d'une lecture attentive. On ne doit point oublier qu'il s'agit ici des idées régnant chez un peuple qui forme la portion la plus considérable de l'humanité et dont l'histoire n'est dépourvue ni d'intérêt ni d'enseignements. ESSAI D'ANTHROPOLOGIE CHINOISE Bon nombre de philosophes chinois ont cherché à analyser le corps humain, à déterminer sa nature et celle de ses composants, tout comme les penseurs européens. Mais leur analyse a été naturellement ce que sont en général leurs recherches scientifiques : assez superficielle et mal dirigée par les principes de la logique. Les Chinois, semblables en cela aux autres peuples orientaux, vont rarement au fond des choses et ne contrôlent guère à la lumière des faits ce que leur inspire leur imagination, les idées qui leur viennent à Tesprit. Ils s'arrêtent généralement à des apparences, à des mots qu'ils tiennent pour des idées, à des ressemblances qu'ils considèrent comme des identités, ou des fondements de disposition syllogistique. La plupart du temps, il est très difficile de se rendre compte de l'idée qui apparaît à leur esprit sous tel et tel terme. Nos intelligences, développées d'une autre manière que celles des Chinois, peuvent difficilement se renfermer dans leur cadre et se façonner dans leur moule que n'a point formé la droite raison. Puis quand ils s'avisent de définir un terme, les Chinois le font le plus souvent par un caractère accessoire de son objet, par une analogie plutôt que par une définition proprement dite Aussi les mêmes termes philosophiques reçoivent souvent chez eux les sens les plus divers, et quand on veut les définir avec précision, on ne sait par quel côté les prendre. La plupart du temps ils nous laissent dans le vague, soit parce que, dans leur logique, ils s'expriment d'une manière inadéquate, soit parce qu'ils n'ont eux-mêmes que des idées mal déterminées. (6) Si vous demandez, par exemple, à un sage de Tempire des Fleurs ce que sont ce Yin et ce Yang qu'il pose au fondement de tout être, il vous répondra que le second est Télément lumi -neux, léger, pur, actif de l'univers, tandis que le premier en est la partie obscure, lourde, impure, passive ou réactive. Si, peu content de cette énumération de prédicats, vous insistez et voulez savoir ce qu'est l'essence de ces éléments cosmiques, votre docteur vous regardera étonné d'une curiosité qu'il n'a point prévue et n'aura pas un mot à vous répondre. Pour lui, ces images, ces mots qu'il a fait miroiter devant son imagination l'ont entièrement satisfait. C'est surtout le respect de l'antiquité, la conviction de la sagesse parfaite de ses aïeux qui a maintenu le Chinois dans cette torpeur dont il ne sort qu*à grand'peine. Il s'est habitué à se contenter d'explications qu'il ne comprenait pas et à les tenir pour les fruits les plus précieux d'une science quasi surhumaine. Si cela est vrai en général de la philosophie chinoise, il eu est ainsi tout spécialement de la psychologie qui a des arcanes impénétrables aux philosophes européens et chrétiens eux-mêmes; à bien plus forte raison aux chercheurs de l'Extrême-Orient. Nous ne pouvons pas prétendre scruter leurs conceptions plus profondément qu'ils ne le font eux-mêmes, car ce serait substituer nos idées aux leurs. Nous devrons donc laisser plusieurs points obscurs, parce qu'ils le sont également pour ceux que nous avons à étudier sur le terrain choisi. On ne s'étonnera pas que les explications données par les sages de la Chine diffèrent parfois notablement les unes des autres. Rien n'est moins réel que cet immobilisme dont on fait un caractère distinctif de l'esprit chinois. Tous ceux qui connaissent suffisamment l'histoire de la Chine pour suivre le mouvement des idées chez les Fils de Han, savent que les annales de leur civilisation sont celles d'un flux continuel qui les a poussés des croyances primitives au taoïsme, au bouddhisme, au naturalisme, à travers mille extravagances. Il suflSt pour s'en convaincre de parcourir le savant ouvrage de feu le pro- ( 7 ) fesseur de Lacouperie : Western oiigin of the Chinese civiUsa-lion (London, 1894), dont la partie historique est vraiment digne d'éloges. - L'immobilisme est de date récente; il est né sous la double influence de la crainte qu'inspire l'étranger et de l'amour-propre national qui se refuse à reconnaître une infériorilë quelconque en quelque matière que ce soit. . C'est là, je le répète, un phénomène récent en ce qui concerne le progrès des idées; jusqu'au XVII« siècle et à la lutte contre le christianisme il s'est fait constamment en Chine un mouvement d'idées religieuses et philosophiques plus grand peut-être que chez nous depuis l'ère chrétienne ^. Toutefois, dans l'école moderne,—dont nous nous occupons spécialement dans celte étude, — l'accord quant au fond est presque général, les détails seuls varient à l'infini; il y a du moins certains principes qui sont admis par tout le monde, ou peu s'en faut. Aussi nous ne pouvons penser à faire connaître entièrement cette variété si multiple dont beaucoup de détails sont, du reste, dépourvus d'intérêt et d'importance. Nous nous bornerons donc au principal, et pour le distinguer, nous suivrons les Chinois eux-mêmes en puisant les faits dans leurs grands recueils philosophiques, tels que le Sing-li tsitig-i, les Erh'Shi-erh'tze et les encyclopédies appelées Tushu-isih- tcheng, Ynen-kien-lei-han, Se-lei-fu, etc. Nous ne prétendons pas non plus avoir fait un exposé complet des idées philosophiques des sages de Han. L'essayer même serait bien difficile et dangereux; car les renseignements adéquats nous font défaut et nous serions exposés à nier des faits inconnus bien que réels ou à faire des hypothèses dont * Jusqu'au règne du souverain connu sous le nom de Yong-tcheng (1723-1736), les empereurs chinois-mandchous favorisèrent le christianisme. Le fils de Kang-hi, élevé dans des idées réactionnaires, fut irrité par le décret pontifical qui interdisait les rites du culte ancestral chez les chrétiens et commença la persécution. C'est ce qui entraîna tous ses sujets dans cet esprit d'antagonisme contre l'étranger qui maintient depuis lors l'Extrême-Orient dans l'immobilisme anti-européen. (8 ) l'avenir démontrerait la fausseté — ce dont nous avons une invincible horreur. Notre but est simplement d'exposer les idées qui ont principalement cours en Chine, en réduisant ce chaos, aussi vaste qu'informe, à de justes proportions et à une disposition uploads/Philosophie/ essai-d-anthropologie-chinoise-pdf.pdf

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