plutôt une diversité de droits différents re g roupés sous un seul vocable. Il
plutôt une diversité de droits différents re g roupés sous un seul vocable. Il pour- suit en expliquant que ces faisceaux de droits ne portent qu ’ i m m é d i a t e m e n t sur des choses. Un pro p r i é t a i re qui détient un droit à l’usage exclusif d’un bien l ’ e xe rce à l’exclusion d’autrui: la relation à l’objet exprime une relation entre des personnes. Ces deux thèses lui permettent de définir les droits de pro p r i é t é privée comme des faisceaux de ra p p o rts de souve raineté ayant pour enjeu l’usage des choses. Dans ce cadre, les droits de propriété intellectuelle sont décrits comme des procédés particuliers d’exe rcice du pouvo i r. Alors que le d roit de propriété classique se présente comme portant sur des choses tangibles, singulières (cet exe m p l a i re du livre), le droit de propriété intellec- tuelle apparaît comme portant sur des choses intangibles et génériques (le texte du livre). Pour fonctionner, le droit a besoin que soit construit un objet a b s t rait, par la médiation duquel il porte en pre m i è re analyse sur l’ensemble des exe m p l a i res correspondants et, en dernière analyse, sur les personnes qui en font usage. Un droit de propriété intellectuelle peut donc être défini comme un mode de contrôle des usages re p roductifs par le truchement d’un objet a b s t rait. Ce qui importe ici, c’est le fait qu’il se surimpose au droit de pro p r i é t é classique en limitant la liberté d’usage dont jouit son détenteur. Ce phénomène provoque des tensions énormes au sein du discours libéra l . Dans un contexte conceptuel où la propriété charrie analytiquement la l i b e rté, comment re n d re compte de ce cas para d oxal où la propriété elle- même vient limiter la liberté qu’elle est censée fonder? Les libertariens amé- ricains sont empêtrés dans ce genre de problème. Par exemple, Tom Pa l m e r essaie de dénouer la tension en niant que la propriété intellectuelle puisse ê t re reconnue comme une propriété véritable2. Un copyright sur un film télé- visé m’empêche d’exe rcer mon plein droit d’usage sur le magnétoscope que je possède; il empiète donc sur ma propriété et sur la liberté de jouir de mon bien. Á la limite, on pourrait même dire qu’il met une entra ve à la libre dispo- sition de mon corps, pre m i è re des propriétés et fondement primordial de la l i b e rté dans cette philosophie de l’individualisme possessif, puisqu’il m’em- pêche d’effectuer certains actes alors que je me tro u ve dans le petit monde de la propriété domestique. Autrement dit, la propriété intellectuelle est c o n t ra d i c t o i re avec la liberté conçue comme dérivée de la propriété corpo- relle. La conclusion s’impose: « Le système des droits de propriété intellec- tuelle n’est pas compatible avec un système de droits de propriété dans les objets tangibles » 3. Pour éviter la contradiction, la propriété intellectuelle doit être niée, à la fois théoriquement (il ne s’agit pas d’un droit de pro p r i é t é authentique) et pratiquement (abolition). On a là un premier grand type de critique, celle qui dénonce la propriété intellec- tuelle comme une entra ve à la liberté, entendue comme libre disposition de la C O N T ReTeM P S n u m é r o c i n q 3 9 3 8 D r o i t d ’ e x i s t e n c e e t d r o i t d e p r o p r i é t é G r é g o i re Chamayo u Agrégé de philosophie, ENS Fo n t e n a y. Le débat américain sur Liberté, innovation, domaine public. Les critiques de la propriété intellectuelle aux États-Unis. La critique de la propriété privée était enterrée. Là comme ailleurs, fin de l’histoire . Po u rtant, en ce moment, aux États-Unis, pas un mois ne se passe sans qu’ u n n o u vel article ou un nouveau livre, ne paraisse pour dénoncer les effets néfastes de la propriété intellectuelle. Jamais la critique d’un régime de pro- priété ne s’était montrée si pro l i xe. Quels sont les arg u m e n t s mobilisés, les a l t e r n a t i ves pro p o s é e s? Au nom de quoi ces critiques se formulent-elles? Á la lecture de ces textes, quelque chose m’étonne: les critiques de la pro p r i é t é intellectuelle ne s’articulent presque jamais à une critique de la propriété pri- vée « t ra d i t i o n n e l l e ». Curieusement, leur virulence sur la pre m i è re question s’accompagne d’une quasi indifférence sur la seconde. Á la réflexion, on n’ a p e u t - ê t re jamais critiqué autant et à la fois si peu la propriété privée qu’ a u j o u r- d’hui. Qu’est-ce qui permet, dans la formulation même de ces discours cri- tiques, de tenir séparées ces deux questions? Et, inversement comment peut-on établir un lien entre elles, dont l’enjeu serait la formulation d’une critique sociale de la propriété intellectuelle? La propriété intellectuelle comme entrave à la liberté Un premier grand type de critique s’énonce au nom de la liberté. On met en évidence un rapport conflictuel entre propriété intellectuelle et propriété cor- porelle. Si j’achète l’exemplaire d’un livre ou d’une machine, j’en suis proprié- taire, mais une série d’usages me sont interdits, par exemple d’en faire une copie et de la vendre. Ma liberté de disposer du bien est bornée par le déten- teur du copyright ou du brevet. Peter Drahos a produit une analyse de cette relation en termes de ra p p o rts de pouvo i r1. Re p renant une thèse familière dans la théorie juridique anglo- saxonne, il commence par montrer qu’un droit de propriété peut être décom- posé en un faisceau de dro i t s (bundle of rights). Il n’y a pas la propriété, mais Dans sa formulation minimale, la critique consiste à dire : « Chacun doit être libre d’utiliser les choses qu’il possède sans être soumis au contrôle de la pro- priété intellectuelle d’autrui ». Mais la liberté qu’on revendique demeure pure- ment formelle si on passe sous silence, en amont, la question des conditions concrètes d’accès à des biens inégalement distribués. Certains défendent la libre circulation de l’information dans le « cyberespace » en faisant comme s’il s’agissait d’une sphère détachée de toutes conditions matérielles. Ont-ils conscience que la moitié de l’humanité n’a jamais utilisé un téléphone6 ? Parce que la liberté de faire usage de sa propriété n’a aucun sens pour ceux qui ne possèdent rien, une critique libertaire de la propriété intellectuelle ne vaut que si elle intègre la question sociale de la distribution des richesses. La propriété intellectuelle comme entrave à l’innovation On justifie la propriété intellectuelle en disant que c’est la condition sine qua non de l’innovation: si les créateurs n’avaient pas la perspective de pouvoir exploiter commercialement leurs productions, ils ne se risqueraient pas à de tels efforts. En octroyant un monopole exclusif temporaire, les droits de pro- priété intellectuelle garantiraient une incitation indispensable. Cet argument reçoit une forme économique un peu plus élaborée. L’information est généra- lement classée comme un « bien public », c’est-à-dire non rival (une fois créée, son usage par un agent n’empêche pas son usage par un autre, elle peut être copiée, et à coût marginal faible), et non exclusif (son propriétaire ne peut exclure de manière efficiente qu’on en fasse usage, empêcher la copie est dif- ficile et coûteux). En raison de ce second caractère, comme il est difficile d’exclure les usages non-payants, des « passagers clandestins » peuvent bénéficier du bien sans avoir à supporter les coûts initiaux de production bien plus élevés que les coûts de copie. Les incitations à produire diminuent. L’innovation est mise en péril. C’est le « problème des biens publics » que la propriété intellectuelle est censée résoudre. Cette justification se heurte à des critiques plus ou moins radicales. Une pre m i è re stratégie consiste à faire appara î t re les effets pervers de la pro- priété intellectuelle sur l’innovation et la création. Elle part du constat qu’ a u- cune production intellectuelle ne procède ex nihilo: des matériaux intellectuels antérieurs sont toujours utilisés à un certain degré. C’est le cas de manière fla- g rante par exemple pour les musiques dont le s a m p l i n g est uploads/Philosophie/chamayou-gregoire-le-debat-americain-sur-liberte-innovation-domaine-public.pdf
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- Publié le Aoû 18, 2022
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