1/33 « La fin de l'ésotérisme » ou une gnose éternelle ? - Ambiguïté du temps e
1/33 « La fin de l'ésotérisme » ou une gnose éternelle ? - Ambiguïté du temps et unité du savoir chez Raymond Abellio* Carlos H. do C. Silva (Lisbonne) Communication aux VIIe Rencontres de Seix / 1èresRencontres de Porto « L« Portugal sous le signe d’Abellio », Université Catholique Portugaise - Centre Régional de Porto, 26 juin 2010. ***** À Basarab Nicolescu «...si este castillo es el ánima, claro está que no hay para qué entrar, pues se es él mesmo; como parecería desatino decir a uno que entrase en una pieza estando ya dentro.». (Ste THÉRÈSE DE AVILA, Mor. I, I, 5 : [trad. «… l’âme c'est le château même, et vous voulez qu'elle y entre ? autant vaudrait dire a quelqu'un comment entrer dans la chambre où l’on est depuis toujours... »]) 1. Introduction : La fin de l'ésotérisme, le projet eschatologique et ses limitations. « Choisis ce temps qui n'est pas un temps parce qu'il est l'intervalle des temps, et qu'il vient toujours se résoudre dans un nombre vrai. » (LOUIS-CLAUDE DE St. MARTIN, L'homme de désir, (1790), Monaco, Du Rocher, 1979, p. 322) On sait que La fin de l'ésotérisme a été publié en 19731 sous la forme d'un essai (comme d'ailleurs La Structure absolue2). Abellio avertit d'avance du caractère circonstanciel des cinq exposés intégrés dans cette publication, dont le sujet concerne « la situation actuelle de l’ésotérisme », et qui apparaît comme la réponse à une demande d'un groupe d'amis. On pourrait juger la circonstance des années soixante et suivantes, où l'on voit surgir des intérêts variés pour l'orientalisme, l'occultisme New Age, mais aussi l'essor de plusieurs gurus et maîtres de vie, ou encore des courants spiritualistes hippies, etc.3 Cette nouvelle « invasion mystique »4 ne peut que constituer une nouveauté superficielle mais jamais l'actualité du problème de l'ésotérique pensé par Abellio.5 Ses points de référence lui font lire les “signes des temps” sous la perspective herméneutique d'une philosophie, non seulement de René Guénon6 et du traditionalisme, mais aussi de la phénoménologie «métaphysique » comme chez Martin Heidegger dans son œuvre Das Ende der Philosophie und die Aufgabe des Denkens7. 2/33 D'ailleurs, on connaît ce penchant historique de la pensée dialectique dirigée vers la fin, soit dans l'idéalisme de « La Phénoménologie de l'Esprit »8 de Hegel (l'image bien connue de la chouette de Minerve [qui] ne prend son vol qu'à la tombée de la nuit9), soit dans le nihilisme de Nietzsche et des « prophètes » de la décadence, soit aussi avec Oswald Spengler [Le déclin de l'Occident]10, ou même René Guénon [La Crise du monde moderne]11 et Julius Evola [Chevaucher le tigre].12 Toutes ces vues soulignent le malaise de l'Occident et du monde moderne devant l'essor technique de la révolution industrielle13 et des chemins de la science, lesquels dépassent déjà la synthèse traditionnelle de la religion et de la sagesse. En somme, c'est ce que Goethe fait dire à Méphistophélès dans le Faust : « au commencement...» ce n'est pas l'Esprit : la Parole ou la Pensée, «...in Anfang ist die Tat ».14 Raymond Abellio (de son vrai nom Georges Soulès, citoyen d'une vive sensibilité sociale qui au début a milité dans la gauche socialiste et, plus tard, a dérivé vers la direction extrême complémentaire...15), comme écrivain, a pratiqué cet activisme (quoique plus tard, dit du wou wei, ou du «non-agir»...)16. La source de sa réflexion sur « les fins des temps »17 n'a pas été directement Guénon ou d'autres ésotéristes (Martinistes. etc.)18 ni le soit disant nihilisme de la pensée heideggérienne.19 Ce ne sera qu'après sa rencontre décisive avec le mystérieux personnage Pierre de Combas (qui l'initie à l'ésotérisme pratique)20 qu'Abellio méditera l'œuvre de Husserl et, par cette voie théorique, fera aussi sa propre synthèse historique et phénoménologique sur la fin de l'ésotérisme.21 En prenant la définition du terme ésotérique d'Antoine Faivre : « L'attitude ésotérique, au sens “gnostique”, est donc une expérience “mystique” à laquelle viennent participer l'intelligence et la mémoire, qui toutes deux s'expriment sous une forme symbolique en reflétant divers niveaux de réalité. »22, il faut souligner le caractère toujours paradoxal de l’acte d'essayer de parler d’une connaissance secrète ou réservée.23 D'ailleurs, même pour les initiés à ce cercle intérieur, à ce « dedans » (ar. batîn)24 qui habite toutes les grandes religions et sagesses comme leur niveau le plus intérieur, il s'impose comme la disciplina arcani. Alors, il ne semble pas légitime qu'on parle ouvertement sur ce qui, par ‘sa propre nature est cryptique’ (cf. Héraclite d'Éphèse : “ phýsis krýptesthai phileî ”25). D'où le dilemme entre parler sur l'ésotérisme à partir des écrits ou des « révélations » et témoignages, comme le font les historiens et les études universitaires, et, par contre, le fait de faire silence (tace)26. C'est d'ailleurs ce silence qui fait preuve et qui permet de défendre l'œuvre en gestation dans ce vase alchimique. Cependant, il y a une autre possibilité, peut-être encore plus transformatrice: celle qui consiste à indiquer les signes possibles d'une compréhension réelle en ré-vélant, comme il arrive dans certains exercices spirituels (upaya, comme on dit en sanscrit, « stratagème », « expédient »), ou aussi en faisant semblant, ce que notre poète F. Pessoa appelait “faculté hétéronymique” ou « fingimento (déguisement) ».27 Malgré un certain mépris devant l'œuvre de René Guénon, Raymond Abellio en reçoit, pourtant, le timbre explicatif et « pédagogique ». Il se voit soi-même, surtout, comme le philosophe de l'ésotérisme qui discute donc à propos, et non directement à partir de ce domaine28. C'est sûr qu'il veut éclaircir, dans l'esprit de la modernité, qu'il ne s'agit pas d'être soumis à une pensée magique, de faire de l'occultisme (dont la tradition répercute la suspicion de perversité).29 Moins encore d'intégrer de façon syncrétique sous la forme de Théosophie toute une série de connaissances plus au moins disparates.30 3/33 Néanmoins, l'effort de l'auteur de La fin de l'ésotérisme reste encore hors de ce qui est peut-être l'essentiel, justement à cause de la circonstance désignée comme la fin31. Au contraire de M. Heidegger (dans Das Ende der Philosophie...)32, la notion de fin n'est pas approfondie par Abellio car il ne distingue pas toujours entre : le terme d'un processus et l'accomplissement (ou le but) de ce procès33, même s'il faut reconnaître qu’Abellio fut sensible à la conversion de la causalité efficiente en causalité finale.34 Pour Heidegger, qui a bien approfondi la leçon d'Husserl35 et qui, depuis son œuvre maîtresse: Sein und Zeit, n'a pas cessé de réfléchir sur ce caractère futurant de «l'ontologie fondamentale »36, das Ende correspond même à l'être oublié de l'époque de la métaphysique « dans son stade terminal ». Ende c'est ce terminal, ce lieu extrême d'une spatialisation du temps - Ort (rapproché par Heidegger du terme Ende), ou la congrégation de ce qui est l'essentiel sur cette place : « Fin comme achèvement signifie ce rassemblement en un seul lieu.»37 Or, c'est justement cette élection d'une convergence que l'on trouve encore répercuté dans l'œuvre d'Abellio, quoique ses fins soient plutôt désirées que fondées, comme c'est le cas d'affirmer à propos de Husserl qu'il est la fin de la philosophie : « le dernier philosophe de l'Occident. Mais non pas le dernier au sens où il liquide la philosophie - au sens, au contraire, où il la couronne.»38 Abellio a connu ces temps de dérision où le savoir moderne se fragmente jusqu'aux bornes des sciences et des techniques dépareillées. Ayant la phénoménologie de Husserl comme point de départ, il se met donc en convergence avec la thèse de Husserl et aussi de Heidegger sur l'appel central : zur Sache selbst (« vers la chose elle- même »). Laquelle deviendra la méthode de sa pensée.39 Cette tâche future qui, comme Heidegger l'affirme encore40, peut ne plus s'appeler philosophie, reste pour Abellio le chemin d'une différente Lichtung, « clairière » et éclaircissement41. C'est à travers la voie singulière d'une dialectique de l'histoire, comme celle qu'Alexandre Kojève propose à partir de Hegel42, qu’Abellio, lui aussi dialectiquement, prend l'essor de la pleine signification de l'ésotérique qui mène à la plénitude d'un Moi transcendantal, tel qu'il l’a reçu de Husserl.43 Il s'agit donc d'une voie intégrative du ‘problème de l'objet et du sujet’, une voie qui dépasse les apories classiques en passant « au-delà de la dualité » (FE, p. 18)44, mais qui, au contraire d'une lecture existentielle et ante-prédicative de la phénoménologie, reprend Husserl et le met en parallèle avec « l'homme intérieur de saint Paul, ou bien aussi avec le supramental d'Aurobindo, ou l'enstase de Mircéa Éliade »...(Ibid.)45. Donc c'est ce rythme du dépassement qui va définir « le propre de l'ésotérisme de transcender (celle-ci [la dualité]) par l'exercice des pouvoirs supérieurs de l'intelligence, sous quelque nom qu'on les désigne, l'intuition, l'illumination, ou encore cette vertu ineffable propre à l'homme intérieur...» (FE, p. 18)46 Plus tard il dira, contre Kant et son impossibilité de penser le Tout, que : « c'est cette interdépendance universelle qui est le fondement depuis toujours de l'ésotérisme, de la Tradition primordiale » (GO, p. 12).47 uploads/Philosophie/ fin-de-l-x27-esoterisme-ou-gnose-eternelle.pdf
Documents similaires
-
40
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 29, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3126MB