THÉORIE DES MATRICES ET DES ETYMONS APPLIQUÉE AU BERBÈRE : NOUVELLE HIÉRARCHISA
THÉORIE DES MATRICES ET DES ETYMONS APPLIQUÉE AU BERBÈRE : NOUVELLE HIÉRARCHISATION DU LEXIQUE. Résumé : Dans le lexique berbère, représenté de manière traditionnelle par le croisement d’une racine et d’un schème, on peut repérer de grands groupes d’unités lexicales présentant deux radicales communes et une radicale variante, ainsi qu’un sens commun. Nous proposons ici, en nous appuyant sur la théorie TME mise en place par G. Bohas pour l’arabe, une autre représentation possible du lexique berbère, représentation qui met en avant des liens profonds entre sémantique et phonétique dans le lexique. Mots-clés : Description des langues berbères, structuration du lexique, sémantique, phonétique, matrices, étymons, racines. L’un des traits morphologiques communs aux langues afro-asiatiques est que chaque unité lexicale soit le produit du croisement d’une « racine » et d’un « schème ». Ce que l’on appelle racine n’a rien à voir avec la racine « étymologique » : il s’agit d’une consonne ou d’une succession de consonnes ordonnées appartenant au lexique, « véhiculant une notion sémantique générale à l’état brut » (Cadi, 1987). Cette racine s’encastre dans un schème, sorte de moule formé de voyelles et de consonnes, procurant à la racine un statut grammatical. Si l’on considère le paradigme suivant, en tachelhit (langue du sud du Maroc, transcrite en API) : [s´V] « acheter » ; [amsaV] « acheteur », [ms´V] « être acheté », on s’aperçoit que la présence des deux radicales [s] et [V] est corrélée à l’apparition du sens « acheter », ces deux consonnes étant considérées comme la racine de ces mots. Ce sens général est actualisé par un moule grammatical, formé ici soit de voyelles, soit d’une consonne [m]. Ce qui nous intéresse ici, nous situant dans le champs de la description de la langue berbère et de la représentation du lexique, est une intuition qu’ont eu de nombreux auteurs berbèrisants tels que Lionel Galand (1988), Miloud Taïfi (1992), Abdallah El Mountassir (2004)…, intuition qui n’a jamais vraiment été approfondie et qui permettrait de dépasser le niveau de la racine, de proposer une organisation différente du lexique berbère. En effet, on peut facilement remarquer qu’en berbère, de grands groupes de lexèmes ayant deux radicales communes et une radicale variante véhiculent une notion sémantique semblable : beaucoup d’auteurs parlent, en plus de la racine, de rapprochements sémantiques plus « profonds » (Miloud Taïfi, 1992) qui expliqueraiant « l’existence de racines de sens très voisins et ne diférant entre elles que par une consonne sur trois » (Cohen, 1988). Il est vrai que si la racine est conçue comme un lien entre des consonnes radicales communes véhiculant un sens primordial, modifié et actualisé par un schème, on se rend compte dans ces groupes de lexèmes à une radicale variante que le lien entre sens primordial et consonnes radicales ne concerne pas toujours la racine dans son ensemble. Aussi, en utilisant le même raisonnement que celui qui a permis de mettre en place la notion de racine, on se rend compte qu’on peut la dépasser et mettre en évidence des groupes binaires de consonnes assez importants, véhiculant une notion sémantique large, qui mettent mieux en - - 2 valeur l’organisation interne du lexique, ainsi qu’une organisation sémantique plus complexe mais plus pertinente à l’intérieur même de ces groupes. Ainsi, on peut se demander, sur la base de nos observations et de celles de nombreux auteurs, si le lexique berbère est vraiment structuré en racines, si cette représentation rend vraiment compte du lexique berbère ou si elle tend à le simplifier. Il nous semble en outre grand temps d’éclaircir le statut de ces termes à une seule radicale variante véhiculant un sens commun, et de voir si ce phénomène est valable pour l’ensemble du lexique. D’un point de vue comparatiste, il est intéressant d’observer que des remarques similaires ont été faites depuis longtemps pour l’arabe, et que, malgré la doxa bien établie selon laquelle les racines arabes sont forcément trilitères, une observation plus poussée des données permet là encore de dépasser le niveau de la racine et d’individuer de grands groupes de mots ayant seulement deux radicales communes et un sens commun primordial plus général, l’ensemble du lexique présentant cette organisation. Aussi, une théorie a été mise en place par Georges Bohas, se basant sur la stricte observation d’une grosse masse de données arabes. Il s’agit de la théorie TME, « théorie des matrices et des étymons ». Cette théorie exclue donc la notion de racine pour l’arabe et propose une nouvelle hiérarchie du lexique. Sans entrer dans les détails de la théorie, que nous reprendrons en partie lors de notre présentation, notons simplement que Bohas (1997, 2000) pose trois niveaux pour le lexique, du plus concret au plus abstrait. Une unité lexicale serait ainsi composé d’un radical (lexème auquel on soustrait suffixes et préfixes) à un premier niveau ; les « composés binaires de phonèmes consonantiques non ordonnés » (Bohas, 1997) qu’il est possible de mettre en évidence pour le berbère comme pour l’arabe, sont enfin reconnus, et sont baptisés « étymons ». Enfin, à un niveau très abstrait, on peut remarquer que plusieurs étymons comportant des traits articulatoires semblables véhiculent un « invariant notionel », véritable signification commune primordiale : nous arrivons au niveau de la « matrice ». Dépassant le niveau du phonème et celui de la racine, cette théorie offre une classification du lexique arabe très différente de la classification traditionelle, même si toutes deux se basent sur un raisonnement semblable. Avec la TME, des relations phonético-sémantiques très profondes du lexique sont dégagées. En outre, elle permet aussi une réelle explication de l’homonymie et d’un phénomène typique de l’arabe, encore mal expliqué : l’Addad. - - 3 Ce que Bohas définit comme étymon pour l’arabe semble pouvoir s’appliquer au berbère pour ces groupes de termes dont nous avons parlé, ayant deux radicales semblables, une radicale variante et un sens commun ; et nous avons formulé l’hypothèse que l’ensemble de la théorie TME fonctionne pour le berbère. Grâce à un assez grand nombre de bases de données de diverses variétés du berbère dont nous disposons personnellement, telles que le tachelhit, le tarifit, le zénaga ou le tetserret, mises en place grâce à des lexiques existants (Destaing, 1920 ; Serhoual, 2002 ; Khamed Attayoub, 2001…), et vérifiées dans certains cas par un travail de terrain, nous avons pu lancer une étude sur une masse de lexique assez importante pour pouvoir repérer plusieurs de ces bases bilitères véhiculant un sens commun, pour pouvoir proposer une structuration de ces groupes d’un point de vue sémantique. Nous avons ainsi montré la validité de la théorie TME en berbère et montré qu’une autre représentation du lexique est possible, basée sur des relations entre phonétique et sémantique beaucoup plus profondes que celles mises en évidence par la racine, proposant une étude poussée des intuitions de nombreux berbèrisants. Nous espérons aussi, grâce à la mise en évidence de différents étymons pour le berbère, montrer en quoi cette théorie peut améliorer l’explication de l’homonymie pour les langues afro-asiatiques. Références. BOHAS, Georges, 1997. Matrices, étymons, racines, éléments d’une théorie lexicologique du vocabulaire arabe. Paris, Louvain, Peeters. BOHAS, Georges, 2000. Matrices et étymons, développements de la théorie. Lausanne, Editions du zèbre. CADI, Kaddour, 1987. Système verbal rifain, forme et sens. Paris. COHEN, David, 1988. Les langues Chamito-Sémitiques in Les langues dans le monde ancien et moderne. Paris : CNRS. DESTAING, Emile, 1920. Lexique français-berbère, Etude sur la Tachelhit du Sous. Paris, E. Leroux. EL MOUNTASSIR, Abdallah, 2004. Etude d’un champ morpho-sémantique en berbère : le cas de l’étymon BR. A paraître. - - 4 GALAND, Lionel. 1988. Le berbère in Les langues dans le monde ancien et moderne. Paris : CNRS. KHAMED ATTAYOUB, Abdoulmohamine, 2001. La tetserret des Ayttawari Seslem : identification socio-linguistique d’un parler berbère non documenté chez les touaregs de l’Azawagh (Niger) ; Mémoire de maîtrise sous la direction de M. Salem Chaker. Paris, Inalco. SERHOUAL, Mohamed, 2002. Dictionnaire tarifit-français, Thèse de doctorat d’état ès lettres, Option Linguistique, dirigée par F. Bentolila (Paris V) et M. Taïfi (Fès). Tetouan, Université Abdelmalek Essaâdi. TAIFI, Miloud, 1992. Dictionnaire tamazight-français (parlers du Maroc Central). Paris : L’Harmattan. - - 5 uploads/Philosophie/ bohas.pdf
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- Publié le Nov 23, 2022
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