www.thomisme.fr © Traduction Philibert Secretan CH - Genève Franz Brentano THOM
www.thomisme.fr © Traduction Philibert Secretan CH - Genève Franz Brentano THOMAS D’AQUIN1 ‹1908› Le texte ouvre sur des considérations que l’on peut rapporter à l’auteur lui-même. Il s’agit pour l’essentiel d’un hommage à la mixité culturelle telle qu’elle fàvorise la création intellectuelle et telle qu’il l’a partagée en tant que sujet de l’empire multiculturel de l’Autriche-Hongrie ; puis plus particulièrement au croisement entre latinité et germanité qu’il a sans doute porté en lui de par ses origines à la fois italiennes et autrichiennes : Franz Brentano. (Résumé par Philibert Secretan) « Comment différentes nationalités peuvent conjuguer leurs forces dans une œuvre scientifique : voila ce qu’illustre d’une manière éclatante Thomas d’Aquin dans sa relation avec Albert le Grand ».... « Albert et Thomas ont renouvelé la compréhension de la philosophie aristotélicienne, qui représentait le sommet de la spéculation antique ; et cela d’une manière telle que son influence a pénétré la pensée de toute l’Europe alors rajeunie. Lewes dit une fois d’Aristote que son influence sur l’histoire de l’humanité fut aussi colossale que justifiée. Nulle influence (celle de quelques fondateurs de religions mise à part) n’est comparable à celle d’Aristote. Mais ajoutons que cette influence n’aurait jamais été aussi profonde sans le travail de transmission dû à Thomas d’ Aquin. » Brentano dénonce ensuite une thèse, à son sens absurde, selon laquelle ce serait en corrigeant Aristote, voir en le trahissant, que Albert et Thomas auraient créé une œuvre autrement retentissante. Ou encore, que n’étant pas parvenus à commenter Aristote, ils aurait atteint un autre but, bien supérieur. « Non, les deux grands commentateurs médiévaux d’Aristote n’avaient en vue que de le comprendre ... » « Si l’on demande comment cela fut possible, il faut d’une part rappeler que Thomas disposait de plus de moyens qu’on ne le pense en général. On voit que Themistius, avec ses fragments épars de Théphraste, Simplicius, Alexandre d’Aphrodisie et autres commentateurs antiques, sert à commenter certains passages particulièrement difficiles. Mais Thomas a aussi à ses côtés le frère Guillaume de Moerbeke, qui, maîtrisant le grec, a cherché à corriger d’anciennes versions fautives et à établir un texte fiable. D’autre part, Thomas utilise une méthode qui seule peut conduire au succès lorsqu’il s’agit de passages brefs, parfois fragmentaires et ambigus dans le détail. Thomas a toujours sous les yeux le tout de la doctrine d’Aristote, dans laquelle vit sa propre pensée, et il cherche à comprendre le détail à partir de l’ensemble. Cela exige plus qu’un talent philologico-critique, cela exige une congénialité philosophique. » L’auteur établit ensuite un parallèle avec la méthode de Cuvier reconstituant un animal à partir d’un vestige, ou d’un sculpteur capable de rétablir le tout d’une statue à partir de fragments épars. « Pourtant, même ainsi armé, il n’était pas facile au Moyen-Âge de pénétrer et de propager une telle doctrine. L’histoire montre les résistances que provoquait l’introduction de cette pensée. C’était d’abord l’obstination conservatrice d’une ancienne école de théologie, qui ne reconnaissait que la philosophie augustinienne née du contact avec le néoplatonisme, puis la méfiance que les autorités de l’Eglise opposaient à tout innovation, même lorsqu’elle représentait un véritable progrès. » * * * 1 Ecrit en mars 1908, le jour d’anniversaire de la mort de Thomas d’Aquin ; publié dans : « Neuen Freien Presse », Vienne, le 18 avril 1908. Pour la traduction : Franz Brentano, Die vier Phasen der Philosophie und ihr augenblicklicher Stand : nebst Abhandlungen über Plotinus, Thomas von Aquin, Kant, Schopenhauer und Auguste Comte ; mit Einleitung, Anmerkungen und Register hrsg. von Oskar Kraus, Leipzig : Verlag von Felix Meiner, 1926, pp. 61-80. www.thomisme.fr © Traduction Philibert Secretan CH - Genève « Lorsqu’au tournant du XIIe et du XIIIe siècle, dans l’Occident chrétien, s’ajoutent aux écrits logiques d’Aristote, connus depuis plus ou moins longtemps, ses autres ouvrages, transmis par les Arabes, un décret de 1210 en interdit l’étude. Le concile de la province de Paris, tenu à Sens, interdisait sous peine d’excommunication la lecture des ouvrages de science naturelle d’Aristote, c’est-à-dire leur interprétation dans des cours publics ou privés. Et cinq ans plus tard, le légat du pape, Robert de Courçon, renouvelait le même interdit notifié aux écoles parisiennes. En 1231, Grégoire IX adoucit quelque peu ces condamnations, certes en maintenant l’interdit sur ces ouvrages, mais en laissant entrevoir pour plus tard une étude partielle de ces œuvres, lorsqu’on aurait eu le temps de séparer le bon du dommageable. Ce tri ne fut jamais fait et ne pouvait pas être fait en raison de la nature même de la chose. Ainsi l’interdit papal restait en vigueur. De droit, mais pas de fait. Car même à cette époque, où Rome exerçait une autorité incomparablement plus grande qu’aujourd’hui, le pape ne pouvait pas arrêter un puissant courrant de pensée. L’étude des ouvrages mis à l’index se poursuivit, voire se généralisait. Preuve en soit le règlement universitaire de la nation anglaise en 1252, qui exigeait de tout bachelier qui aspirait au grade de maître qu’il ait suivi les cours sur les trois livres de l’âme, et celui de 1255 qui posait comme condition d’admission la connaissance des ouvrages de physique et de métaphysique, et des traités De anima, De sensu et sensibili, De memoria et reminiscentia, De somno et vigilia, De juventute et senectute, De vita et morte, De coelo et mundo, De generatione et corruptione, et d’autres ouvrages en partie authentiques, en partie faussement attribués à Aristote. Puis parut en 1263, en signe du maintient de l’interdit, et de ce que tout cela se passait contre la volonté de Rome, un nouvel avertissement d’Urbain IV, qui rappelait les dispositions de Grégoire IX. Mais là encore sans succès. Ce sont au contraire les efforts d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin pour apaiser progressivement les craintes de la curie romaine, voire pour la rendre favorable à un mouvement de réforme philosophico-théologique, qui l’emportèrent. Comme on l’a dit, ce n’est pas seulement siège pontifical mais plus encore un parti théologique rétrograde et assis sur son héritage qui se complut dans une résistance acharnée contre le mouvement moderne. C’est ainsi que quatre ans avant sa mort, Thomas se vit sommé, lors d’une disputatio en Sorbonne, par tout ce qui lui était saint, de répudier certaines thèses péripatéticiennes jugées dangereuses. Toujours affable, il reçut ces reproches sans humeur et en déclarant de si bonne foi disposition à obéir à l’Eglise que ses adversaires interprétèrent sa conduite comme si, par là même, il leur donnait raison. Mais nous le retrouvons qui, dans ses écrits, soutient ces thèses controversées avec la même assurance qu’auparavant. Aussi longtemps que vivait Thomas, la faculté de théologie de la Sorbonne demeura hostile à ses innovations. Seule la faculté des Arts, où se trouvaient réunies les sciences profanes, suivait ses impulsions. C’est celle-ci qui, lorsque Charles d’Anjou l’appela à Naples pour donner un élan à l’Université nouvellement créée, en appela au chapitre de l’Ordre des Prêcheurs pour que celui-ci ne les prive pas trop longtemps d’un Maître si apprécié. Et lorsque cette prière ne fut pas entendue et qu’une mauvaise fièvre emporta, en Italie, celui qui n’avait pas atteint sa quarante-huitième année d’âge, nous les entendons écrire une nouvelle missive, dans laquelle ils prient le chapitre de l’Ordre réuni à Lyon, de pouvoir au moins garder le corps de cet homme merveilleux, afin qu’il repose là où il avait œuvré avec tant de fruit. Voila un exemple d’admiration, unique dans tout le Moyen-Âge. Il nous faut chercher plus près dans les temps modernes pour trouver quelque chose de comparable, à savoir le moment où la France demanda à la Suède le retour des cendres du grand Descartes qui reposaient dans la crypte royale de Stockholm. Ce n’était pas, ou s’en souvient, toute la Sorbonne, ni en particulier la faculté de théologie, mais la réunion des trois facultés des sciences profanes, qui prit l’initiative de cet hommage. 2 www.thomisme.fr © Traduction Philibert Secretan CH - Genève Et cela nous prépare un peu à ce qui se passa trois ans après la mort de Thomas. En 1277, l’évêque de Paris, Etienne Tempier, à l’occasion d’un fameux concile diocésain, fit condamner comme hérétiques non seulement une longue série de thèses grossièrement irrecevables, mais 20 propositions défendues par Thomas, menaçant d’excommunication tous ceux qui continueraient à les défendre. Ce n’est pas par hasard qu’il ait choisi pour ce faire le 7 mars, jour anniversaire de la mort de Thomas d’Aquin. Ainsi nous fêtons aujourd’hui non seulement l’anniversaire de sa mort, mais celui de la sévère condamnation de ses thèses par une haute autorité ecclésiale. Moins de 15 jours plus tard survint en Angleterre, par l’archevêque de Cantorbéry, Robert Kilwardby, bien que celui-ci ait appartenu au même Ordre des Prêcheurs, et sous une forme moins dure, une condamnation d’autres propositions de notre philosophe, que l’évêque de Paris se dépêcha de condamner à son tour. Les chroniques rapportent les plus sombres plaintes des milieux intéressés par les progrès de la science, regrettant les perturbations apportées aux études par le soupçon qui pesait, au uploads/Philosophie/ franz-brentano-thomas-d-aquin.pdf
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- Publié le Mar 23, 2022
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