LE GRAPHE DE JACQUES LACAN Gérôme Taillandier PRESENTATION DU GRAPHE DE J. LACA

LE GRAPHE DE JACQUES LACAN Gérôme Taillandier PRESENTATION DU GRAPHE DE J. LACAN GERÔME TAILLANDIER 16 octobre 1986 Ce texte est une nouvelle frappe du texte de 1986. Les machins que vous avez au tableau, ce n’est pas la crucifixion du Christ, donc vous n’êtes pas obligés d’adorer. Il s’agit au contraire d’expliquer. Nous sommes en psychanalyse et dans ce domaine règne l’explication. Ce que vous avez au tableau, c’est un instrument de travail destiné à des psychanalystes, par conséquent nous sommes dans un champ où règne l’explicable. Le graphe, il n’y en a pas trente-six, il n’y en a qu’un en un certain sens ; ce que Lacan appelle par ailleurs des schémas, c’est autre chose. Sça me fait d’autant plus plaisir d’exposer sur ce sujet, -commençons par les choses amusantes, après on entrera dans le corps du travail-, qu’un des premiers exposés publics de Juan David Nasio en 1970 à Vincennes, ce devait être au printemps, portait sur le graphe, au séminaire de Serge Leclaire, dans le grand amphithéâtre. Je trouve amusant de recommencer sur la même question un peu après. Je voudrais commencer par un préambule que je ne crois pas inutile. Le graphe est un objet de la psychanalyse : nous nous proposons de l’expliquer. C’est dire que la psychanalyse relève de la rationalité. Cette affirmation nous place devant un paradoxe ou un problème : c’est que, curieusement, le graphe dans l’œuvre de Lacan, il n’y a strictement rien qui l’explique et surtout pas « Subversion du Sujet » qui est tout ce qu’on veut sauf une explication du graphe. Cet article présente le défaut ordinaire des écrits de Lacan, d’être écrit après coup par rapport au séminaire, avec les conséquences qui en résultent : c’est que dans ses écrits, Lacan efface ses traces et rend illisible le travail de constitution que le séminaire représente. De sorte que la pire des méthodes pour vous introduire à la question du graphe est de lire « Subversion du Sujet ».Si vous voulez adopter une meilleure méthode, il faut vous référer à des textes qui eux-mêmes n’expliquent rien, nous allons le voir, mais au moins ces textes fondateurs vous laissent des traces et grâce à elles, il est possible de faire un certain travail de reconstruction. Etant donné ce défaut d’explication dans l’œuvre de Lacan concernant ce graphe, nous sommes devant l’obligation de faire une reconstruction, qui, faute de documents, va nous obliger à produire une explication tout à fait fictive. Notre construction ne va suivre n rien la démarche historique de Lacan. Cela nous permet de faire une mise au point concernant la rationalité. Je la considère d’une manière spéciale, je ne suis ni hypothético-déductif ni empirico-inductif ; premièrement je ne pense pas que la rationalité consiste à construire des hypothèses et à en déduire des conséquences, ni à faire des expériences pour en induire des résultats. Ces deux conceptions de la rationalité ne me conviennent pas. Je pars d’une autre idée qui est que la rationalité survient comme une nuée dont l’explication rationnelle serait la pluie. Si vous pensez qu’il s’agit d’une métaphore poétique, vous vous trompez, ou plutôt vous ne poussez pas suffisamment loin la réflexion qui est de remarquer que le Dichten, le fait de poétiser, est l’acte rationnel inaugural. Il est toujours présent dans l’explication, qui en tire les marrons du feu. Mais au départ de l’acte rationnel, il y a toujours un Dichten un acte poétique. Il me semble que c’est le sens qu’on pourrait donner à l’article de Heidegger Pourquoi des Poètes ? Dans cet article vous pourriez trouver une démarche de rationalité comparable à la mienne. Au départ, le fait rationnel premier, c’est le Dichten, de sorte que dans cette perspective, il n’y a rien qui s’explique moins bien que le rationnel. Puisque le rationnel surgit d’abord comme un fait, comme une nuée et que l’explication vient comme une simple conséquence de ce surgissement. Ces remarques n’auraient aucun intérêt si le graphe n’avait dans l’œuvre de Lacan, ce statut de Dichten, de poésie, sans aucune fondation puisqu’il est lui- même fondateur de l’explication ; il demande à être expliqué, certes mais au départ le graphe n’a, je le répète, aucune explication et nous allons devoir partir à la recherche, non pas d’une explication du graphe , mais une tentative de reconstruction d’un mythe originel permettant de considérer le graphe comme la chose qui nous pendrait au dessus de la tête. * Le texte de référence pour suivre ma démarche sera la leçon inaugurale du séminaire sur les Formations de l’Inconscient. Dans cette leçon, Lacan part de deux axes de référence : Une réinterprétation du schéma constitutif de la langue selon De Saussure ; une théorie de l’après-coup ou du point de capiton. Nous y ajouterons en temps voulu quelques éléments de plus. Premier point, réinterprétation du schéma de la constitution de la langue selon Saussure, par Lacan. Saussure se donne un mythe fondateur, qui est de distinguer premièrement, « le royaume flottant de la pensée », qui n’est qu’une masse « amorphe et indistincte ». C’est ce que désignent dans son schéma les dits flux indifférenciés qui constituent les flux de la pensée. « Prise en elle –même », nous dit Saussure,-n’oublions pas que nous avons affaire à un linguiste qui cherche à constituer l’objet de la linguistique-, « la pensée est comme une nébuleuse où rien n’est nécessairement délimité », il n’y a pas d’idées préétablies et rien ne les distingue, rien n’est distinct avant l’apparition de la langue. Nous avons affaire au premier des royaumes flottants de Saussure, qu’il situe en haut dans son schéma. En face de ce royaume flottant de la pensée, Saussure définit un deuxième royaume flottant : le royaume des sons, en remarquant que « la substance phonique n’est pas plus fixe ni plus rigide que la pensée », c’est une « matière plastique », non moins indéterminée que celle des pensées. Sons et pensées constituent donc deux royaumes flottants, deux registres de flux indéterminés. Ce schéma initial n’est pas sans présupposer l’existence d’une pensée indépendante du langage et d’autre part, question que m’a posée Agnès Constantin, l’existence d’une sorte de registre intermédiaire vide qui pose problème : quel est le sens de cette distinction entre le royaume des pensées et des sons ? Le problème auquel Saussure se trouve confronté est donc le suivant : -Comment la langue intervient-elle et se constitue-t-elle par rapport à ces registres des pensées et des sons ? -Réponse de Saussure : « Le rôle caractéristique de la langue est de servir d’intermédiaire entre la pensée et le son ». Mais comment la langue intervient- elle ? Comment se crée le registre du signifiant et par conséquent le registre du signifié ? La réponse de Saussure est la suivante, à partir de certaines analogies sur lesquelles nous passerons : C’est que les signifiants se constituent par l’intervention de divisions, de subdivisions intervenant sur ces deux royaumes fluctuants : divisions que Saussure représente par ces petits tirets verticaux qui viennent créer des discontinuités homologues correspondantes dans les deux registres de la pensée et du son. Il en résulte la constitution de ce que Saussure appelle –si nous prenons cette coupure ou cet intervalle, cet élément discret entre deux coupures-, il en résulte la constitution d’un signifiant dans le registre des sons, le signifiant étant un élément discret de son mis en correspondance, -ne nous compromettons pas-, avec un autre élément discret du royaume de la pensée : un élément de signifié (Sinn). Vous voyez que l’intervention de ces tirets qui définissent le rôle de la langue, nous amène à la constitution du célèbre schéma de Saussure que j’écris : signifié sur signifiant et non pas signifiant sur signifié. A cet égard mon article comporte une erreur : J’ai mis dans le schéma de Saussure les sons en haut et la pensée en bas. Nous nous trouvons devant le schéma du signe. Cette coupure dans le royaume des sons crée « une image acoustique », tandis que la coupure dans le royaume des pensées a créé le « concept ». Vous remarquerez que ce schéma, d’inspiration stoïcienne, ne fait pas allusion à la référence (Bedeutung) ou aux choses. Il n’est question dans la structure du signe, que du signifiant et du signifié, pas du référent, lequel se promène ailleurs, il ne nous concerne pas. Pour nous résumer, « le rôle caractéristique de la langue est de servir d’intermédiaire entre la pensée et le son dans des conditions telles que leur union aboutit nécessairement à des délimitations réciproques d’unités ». C’est ici qu’interviennent les transformations de Lacan. Chez Saussure, le flux ou la ligne, -je commence à glisser délibérément-, la ligne des sons, n’est pas la ligne des signifiants : c’est la création de coupures qui produit des signifiants, alors que chez Lacan, ce qui va constituer le signifiant sera la ligne elle-même des signifiants. Les signifiants seront cette ligne dans laquelle Saussure disait ne voir au départ que celle des sons. uploads/Philosophie/ gerome-taillandier-le-graphe-de-jacques-lacan.pdf

  • 52
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager