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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1983 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 26 fév. 2023 12:21 Laval théologique et philosophique Hegel et Kierkegaard : l’ironie comme thème philosophique Camillia Larouche-Tanguay et Lionel Ponton Volume 39, numéro 3, octobre 1983 URI : https://id.erudit.org/iderudit/400047ar DOI : https://doi.org/10.7202/400047ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Larouche-Tanguay, C. & Ponton, L. (1983). Hegel et Kierkegaard : l’ironie comme thème philosophique. Laval théologique et philosophique, 39(3), 269–282. https://doi.org/10.7202/400047ar Laval théologique et philosophique, 39, 3 (octobre 1983) HEGEL ET KIERKEGAARD : L'IRONIE COMME THÈME PHILOSOPHIQUE Camillia LAROUCHE-TANGUAY et Lionel PONTON Aucune objectivité n'était comme cette auto-détermination. Ironie ! Frédéric SCHLEGEL RÉSUMÉ. — C'est à propos de l'ironie socratique que se manifestent des divergences entre Kierkegaard et Hegel. Pour Hegel, l'ironie de Socrate est « un moment contenu », pour Kierkegaard, elle est l'ironie « en son effort total ». Les deux philosophes s'entendent toutefois lorsqu'il s'agit de définir et de rejeter l'ironie romantique. Ils considèrent aussi tous deux, mais diversement, que l'ironie socratique fraie la voie à l'éthique. D ANS les Lignes fondamentales de la philosophie du droit de Hegel, l'ironie constitue la dernière étape de la dégradation de la moralité subjective, c'est- à-dire le moment où la subjectivité s'appréhende et s'exprime dans sa négativité absolue. L'ironie est précédée par la conviction, entendue comme pure certitude subjective, qui en est la préparation et le point d'ancrage. À l'analyse, la conviction se manifeste en effet comme exposée à l'erreur et par suite comme arbitraire. Il est facile de conclure de ce que la conviction ne mérite pas d'être prise au sérieux et de ce que le bien n'est qu'un produit du moi et n'a de consistance que grâce à lui « que je suis le maître du bien et que je puis le faire apparaître ou disparaître comme il me plaît ». Cette déduction est accomplie par l'ironie qui, dans la mesure où elle correspond à une émancipation achevée à l'égard du bien objectif et à l'exaltation suprême de la subjectivité, doit être considérée, selon Hegel, comme l'hypocrisie « dans son essence universelle ». Dans la description qu'il en fait, Hegel insiste sur l'éloignement du bien objectif, l'auto-détermination du sujet et la connaissance qu'acquiert celui-ci de sa propre vanité : 269 CAMILLIA LAROUCHE-TANGUAY et LIONEL PONTON La pointe extrême de la subjectivité se donnant comme terme suprême, que nous avons encore à envisager, ne peut être que ceci: se connaître comme ce qui conclut et décide sur la vérité, le droit et le devoir... Elle consiste donc en ceci : connaître sans doute l'objectivité morale, mais au lieu de s'enfoncer dans ce qu'elle a de sérieux et d'agir en la prenant pour principe, en s'oubliant et en renonçant à soi, la tenir au contraire à distance de soi dans son rapport avec elle et se connaître comme ce qui veut et décide ceci ou cela, mais peut aussi décider tout autrement. Vous admettez une loi en fait et honnêtement, comme existant en soi et pour soi, je suis moi aussi au niveau et dans le cadre de cette loi, mais je suis encore plus loin, je la déborde et je peux la faire telle ou telle. Ce n'est pas la chose qui est au premier rang mais moi : je suis le maître souverain et de la loi et de la chose, dont je joue à mon gré et dans cet état de conscience ironique dans lequel je laisse s'abîmer le plus élevé, je ne jouis que de moi '. Ainsi que le fait observer Kierkegaard2, l'ironie est toute différente de l'hypocrisie vulgaire. Bien qu'il soit méchant, l'hypocrite veut paraître bon et pour y arriver il emprunte les dehors ou les apparences du bien. L'ironiste, lui, ne dissimule que pour se sentir libre. De plus, l'ironie doit être distinguée du jésuitisme qui accorde une grande liberté au sujet moral dans le choix des moyens pourvu que son intention soit bonne. Dans l'ironie, le sujet est affranchi de toute intention. Il veut sortir complètement de l'objectivité et rester à l'égard de tout dans une indépendance négative. Plus les réalités lui apparaissent vaines, plus sa subjectivité « s'allège, se creuse, s'estompe. » L'ironie est en elle-même sa propre fin. Kierkegaard ne donne pas à l'ironie un caractère moral mais métaphysique et contemplatif. Il en a saisi cependant les traits essentiels. Il reprend à son compte la définition hégélienne de l'ironie romantique « la négativité infinie, absolue » et il en propose l'explication suivante : « Elle est négativité, car elle nie seulement ; elle est infinie, car elle ne nie pas tel ou tel phénomène ; elle est absolue, car ce en vertu de quoi elle nie est un quelque chose plus haut qui, pourtant, n'est pas. »3 Kierkegaard se livre ensuite à une enquête qui emprunte plusieurs de ses considérations aux exposés de Hegel. Le terme « ironie » renvoie étymologiquement à « questionnement » et le ques- tionnement renvoie lui-même à un objet et à un « questionné », un interlocuteur, à l'égard duquel le questionnant se comporte d'une certaine manière, c'est-à-dire fait montre de savoir ou affecte de ne pas savoir. La question peut n'avoir qu'une relation accidentelle à l'objet sur lequel elle porte comme elle peut être intégrée au savoir de cet objet. La question répétée peut faire voir que l'objet n'est pas encore pleinement compris, mais elle peut aussi en montrer l'evanescence et la vanité. Il n'est pas indifférent que ce soit avec Socrate, le questionnant, que le concept d'ironie ait fait son entrée dans le monde. « Le nom, dit Hegel, est emprunté à Platon qui l'employait pour caractériser la méthode socratique »4. Il nous paraît donc utile, à la suite de Hegel et de Kierkegaard, de remonter le cours du temps jusqu'à Socrate pour 1. Philosophie du droit, par. 140, Rem., Kaan, pp. 186-187. 2. Le concept d'ironie constamment rapporté à Socrate, Œuvres complètes, tome II, pp. 231-232. Traduction de Paul-Henri Tisseau et Else-Marie Jacquet-Tisseau. Hd. de TOrante, 1975. 3. Le concept d'ironie, p. 236. 4. Ph.D., par. 140, Rem., Kaan, p. 183. 270 HEGEL ET KIERKEGAARD dégager les implications premières de ce concept et en retracer ensuite à grands traits l'évolution jusqu'à sa consécration par les romantiques. 1. L'ironie socratique comme figure subjective de la dialectique C'est dans la République que Platon fait allusion pour la première fois à l'ironie socratique. Thrasimaque la décrit comme une simulation de l'ignorance associée à un refus de répondre aux questions posées : « O Héraclès, voilà bien l'ironie habituelle de Socrate. Je le savais, je l'avais prédit à ces jeunes gens que tu simulerais l'ignorance et que tu ferais tout plutôt que de répondre aux questions qu'on te poserait »5. En général, Hegel rattache la méthode de Socrate ou sa façon de procéder à sa personnalité et à son projet philosophique. C'est en fonction du principe du philosopher de Socrate qu'il faut, selon lui, définir sa méthode. Or, Socrate se propose la connaissance du bien comme absolu, surtout relativement aux actions et son projet est si exclusif que Socrate écarte de sa recherche tout ce qui concerne les sciences de la nature et de l'esprit. Le bien dont il s'agit doit avoir la valeur d'un but véritable et être reconnu comme tel par moi. Il y a donc dans la perspective socratique un moment qu'on pourrait caractériser par l'éveil de la subjectivité et de la conscience de soi. Être présent dans tout ce que je pense est le véritable penser. Le second moment concerne le contenu du penser qui ne doit pas être subjectif mais objectif. Le penser doit s'ouvrir à l'université spirituelle et prendre appui sur les véritables principes. En langage moderne, on parlerait d'une unité du subjectif et de l'objectif. Il faut penser par soi-même mais ne jamais s'écarter de la vérité. La moralité à laquelle on parvient est une moralité abstraite mais objective. Dans la mesure où elle remet en question les mœurs, les coutumes, ou les valeurs établies, cette moralité pourra passer comme l'expression d'un refus. C'est cet aspect qui retient surtout l'attention de Kierkegaard comme nous le verrons plus loin. Le principe du philosopher de Socrate étant connu, sa méthode semble aller de soi. Dans le deuxième moment de celle-ci, qu'on nomme maïeutique ou art d'accoucher les esprits, il s'agit de partir de cas concrets — de quelque chose qui a le consentement de l'interlocuteur — et d'amener progressivement celui-ci à extraire de ces cas concrets l'universel et uploads/Philosophie/ironie 1 .pdf

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