Détails Écrit par Patrick Juignet Publication : 26 avril 2015 Mis à jour : 26 f

Détails Écrit par Patrick Juignet Publication : 26 avril 2015 Mis à jour : 26 février 2019 La méthode structurale de Claude Lévi-Strauss JUIGNET Patrick Claude Lévi-Strauss est connu pour être l’une des figures de proue du structuralisme, mais cet auteur a une position épistémologique originale. Pour lui, la structure manifeste un ordre dont il convient de rendre compte, mais cet ordre n’est pas auto-engendré, il est la marque de l’esprit humain. Pour citer cet article : Plan de l'article : 1. La genèse de la méthode 2. Vers une anthropologie générale 3. Les critiques épistémologiques possibles Texte intégral : 1. La genèse de la méthode L’auteur écrit en 1955 : « L’ensemble des coutumes d’un peuple est toujours marqué par un style ; elles forment des systèmes. Je suis persuadé que ces systèmes n’existent pas en nombre illimité et que les sociétés humaines, comme les individus dans leurs jeux, leurs rêves ou leurs délires, ne créent jamais de façon absolue, mais se bornent à choisir certaines combinaisons dans un répertoire idéal qu’il serait possible de reconstituer » (Tristes tropiques, p. 183). Le repérage dans la réalité de régularités, de différences, de discontinuités, de symétries donne à penser qu'elles sont causées par un ordre sous-jacent intelligible en terme de structure ou système. Les conduites humaines surtout collectives, les productions culturelles, les formes d’organisation sociale, les manifestations culturelles, derrière leur diversité et leur chatoiement esthétique, manifestent un ordre dont il convient de rendre compte. Pour Lévi-Strauss, cet ordre n’est pas auto-engendré, il est la marque de l’esprit humain. Bien entendu, cette intuition complexe n’est pas apparue brusquement à Lévi-Strauss. Lévi-Strauss, quoique peu prolixe sur ce sujet, explicite parfois certaines étapes de son cheminement intellectuel. Citons, par ordre chronologique, ses rencontres avec la géologie, la psychanalyse, la botanique, l’ethnographie, la linguistique. Au cours de ses promenades d’adolescent dans les Cévennes, il note que des effets de surface dans le paysage correspondent à une architectonique cachée. Par exemple, tel végétal côtoyant tel autre signe un changement de sol sur une ligne de faille. Une architecture profonde et invisible règle les manifestations visibles et, si on la connaît, les rend intelligibles. Au-delà de la description du paysage, une explication devient possible. La psychanalyse, qu’il découvre par l’intermédiaire d’un ami psychiatre (le Dr Marcel Nathan) alors qu’il est en classe de philosophie, lui évoque la même chose. Même ce qui se présente sous des apparences irrationnelles peut dissimuler une rationalité secrète. Des aspects visibles, apparemment incompréhensibles ou absurdes, sont symptomatiques d’un fonctionnement caché qui est, lui, compréhensible. La contemplation de fleurs des champs donne l’idée à Claude qu’il doit y avoir des lois d’organisation qui président à leur agencement compliqué ; cette idée lui vint alors qu'il lisait un ouvrage de Marcel Granet sur la parenté chinoise qui mettait en évidence une organisation, mais trop compliquée et confuse. Derrière le complexe, Lévi-Strauss a l’intuition qu’une architecture de base plus simple doit exister. Selon Lucien Scubla (Séminaire du CREA, mars 2007), Lévi-Strauss devrait plus à Granet qu’à la linguistique que nous allons aborder maintenant. Le moment de synthèse se produit lors de la rencontre avec Roman Jakobson. Lévi-Strauss en parle dans la préface à « L’introduction aux six leçons sur le son et le sens » du linguiste russe. Les conversations avec lui eurent un effet qui permit de « cristalliser en un corps d’idée cohérente » les intuitions nées en 1938. Derrière la diversité infinie des manifestations verbales, il y a une structure simple, en tout cas du point de vue phonologique, qui les détermine. Citons Philippe Descola qui résume ce moment : Lévi-Strauss « découvre dans la phonologie un modèle exemplaire pour mettre en œuvre son intuition. Ce modèle présente quatre caractéristiques remarquables : il abandonne le niveau des phénomènes conscients pour privilégier l’étude de leur infrastructure inconsciente ; il se donne pour objet d’analyse non pas des termes, mais les relations qui les unissent ; il s’attache à montrer que ces relations forment système ; enfin, il vise à découvrir des lois générales ». « Dès cette époque, Lévi-Strauss fait l’hypothèse que ces quatre démarches combinées peuvent contribuer à éclaircir les problèmes de parenté en raison de l’analogie formelle qu’il décèle entre les phonèmes et les termes servant à désigner les parents. Les uns comme les autres sont des éléments dont la signification provient de ce qu’ils sont combinés en systèmes, eux-mêmes produits du fonctionnement inconscient de l’esprit, et dont la récurrence en maints endroits du monde suggère qu’ils répondent à des lois universelles. » (La lettre du Collège de France, hors série, 2008, p.3). La méthode structurale de Claude Lévi-Strauss https://philosciences.com/philosophie-et-humanite/methode-et-paradi... 1 sur 4 22/07/2020 à 16:53 Ces principes ont été appliqués par Lévi-Strauss dans les domaines de la parenté, du totémisme, des religions, de la pensée et des mythes. Derrière la diversité chaotique des faits, il lui a semblé possible d’atteindre des principes simples et peu nombreux qui en explique l'existence. Un ordre simple serait repérable dans la diversité et la complexité des manifestations sociales et culturelles humaines. 2. Vers une anthropologie générale Du côté des faits Le champ factuel concerné Le champ empirique concerné par la recherche de Lévi-Strauss est très vaste. Il concerne les activités sociales et culturelles, telles que les croyances et coutumes, les règles de parenté, les mythes, les modes de pensée, mais aussi accessoirement les manifestations architecturales, picturales, la musique. Les régularités trouvées sont schématisées et théorisées sous forme d’ensembles composés d’éléments articulés entre eux. Les premiers travaux sur la parenté décrivent ses multiples formes ainsi que les coutumes correspondantes (les interdits et les prescriptions) avec en arrière-plan la fonction sociale effective : mettre en place l’échange et l’exogamie entre les communautés. À partir des années 60, Lévi-Strauss se lance dans l’étude des mythes des Indiens d’Amérique. Cela donnera Les mythologiques, suite d’ouvrages dans lesquels plus de 800 mythes d’Amérique du Sud et du Nord sont décrits et analysés. Avec La pensée sauvage, l’auteur analyse la manière de penser des cultures qui utilisent principalement une logique du sensible. Lévi-Strauss montre ainsi comment sont utilisées, comme guides pour la pensée, les formes données par l’environnement naturel. Du point de vue de la méthode, Lévi-Strauss propose une immersion de l’agent de la recherche dans les faits afin d’en avoir une compréhension profonde et intégrée. Il s’agit bien de compréhension, car il faut saisir le sens. À partir de là, le chercheur travaille pour aboutir à une description qui donnera le matériau de la recherche. Puis, vient une phase de transformation du matériau brut en lui faisant subir un premier degré d’abstraction, une schématisation, qui n’est pas propre à Lévi-Strauss, mais qu’il utilise. Le matériau brut est transformé en un certain nombre d’éléments thématiques pertinents. Les structures sont généralement méconnues. Les inflexions subjectives données par les utilisateurs et les variations circonstancielles sont sans importance. La réciprocité et l’échange, par exemple, peuvent être vécus sur un mode antagoniste, ou en termes amicaux, ou de prestance sociale. Ces interprétations ne changent ni la structure organisatrice ni la fonction sociale. Pour les mythes, il convient de recueillir un ensemble de versions afin de saisir ce qui leur est commun. En recueillant un corpus accueillant toutes les variantes, on comprend les transformations qui ont lieu et c’est justement cela qui permet d’accéder au noyau commun. La constitution des matériaux Un élément veut dire quelque chose par différence, par démarcation des autres. Claude Lévi-Strauss applique le principe structuraliste selon lequel les différences (formelles et de contenu) génèrent les significations et non l’élément lui-même. Par exemple, le cru n’a pas de signification directe, c’est l’ensemble d’opposition cru/cuit, cuit/brûlé, cru/cuisiné, etc., qui donne une signification au cru. Dans la parenté, ce sont les relations mari-femme, père-fils, frère-sœur, oncle maternel-fils de la sœur, etc., qui forment un système et sont à prendre en compte. Il faut aussi identifier le pourquoi et le comment de telle opposition ou de telle homologie afin de s’assurer que son repérage n’est pas erroné ou arbitraire. Les éléments des mythes peuvent venir de circonstances particulières en rapport avec l’environnement naturel (particularités géographiques, zoologiques ou botaniques). Dans les mythes, Lévi-Strauss opère une répartition des éléments sur des plans homogènes. Dans le mythe tel qu'énoncé par les informateurs, tout est mélangé, car l’énoncé du mythe est pris dans un processus narratif. Le déploiement est linéaire dans le temps, il écrase et confond les différentes strates (comme un morceau de musique polyphonique pendant le temps d’exécution). Il s’ensuit qu’un mythe doit être redéployé comme dans une partition orchestrale pour distinguer les divers plans qui le constituent. Donnons comme exemple le mythe d’Asdival propre à un groupe indien de la côte Nord-Ouest dont les divers mythèmes identifiables sont distribués sur quatre plans : géographique, technico- économique, sociologique et cosmologique. Ces plans, Lévi-Strauss les appelle les codes. Il s’agit de la nomenclature, du lexique, admis dans un domaine donné. Puis, concernant les éléments, il faut mettre en évidence leur organisation qui se fait selon les oppositions logiques de type spatial (haut/bas), de parenté (aîné/cadet), cosmologique (ciel/souterrain). Une uploads/Philosophie/ la-methode-structurale.pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager