Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 13-14 | 2004 Foucault

Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 13-14 | 2004 Foucault : usages et actualités Paul Ricœur et Michel Foucault Rose Goetz Édition électronique URL : http://leportique.revues.org/639 ISSN : 1777-5280 Éditeur Association "Les Amis du Portique" Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2004 ISSN : 1283-8594 Référence électronique Rose Goetz, « Paul Ricœur et Michel Foucault », Le Portique [En ligne], 13-14 | 2004, mis en ligne le 15 juin 2007, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://leportique.revues.org/639 Ce document a été généré automatiquement le 30 septembre 2016. Tous droits réservés Paul Ricœur et Michel Foucault Rose Goetz 1 Ricœur et Foucault ? Peut-on associer aujourd’hui – et, si oui, de quelle façon – deux pensées restées longtemps étrangères l’une à l’autre, oscillant, l’une à l’égard de l’autre, entre ignorance et hostilité ? Le lecteur des ouvrages publiés par les deux philosophes au cours des années 1960 et 1970 ne pouvait guère imaginer entre eux de rapports autres que d’indifférence ou d’antagonisme latent. Ce n’est donc pas sans surprise que ce même lecteur découvre, dans plusieurs textes postérieurs à la mort de Foucault, l’hommage appuyé que lui rend Ricœur. 2 Dès 1985, dans Temps et récit III, on note une prise en compte de L’Archéologie du savoir – très critique, il est vrai – qui érige Foucault en interlocuteur reconnu par Ricœur alors soucieux de réfuter la thèse selon laquelle la continuité de la mémoire serait une illusion idéaliste. Concernant la nécessité même d’une archéologie du savoir opposée à l’histoire des idées, ce dialogue reprendra en 2000, dans la Mémoire, l’histoire, l’oubli, où Foucault apparaît, avec Michel de Certeau et Norbert Elias, en « maître de rigueur » pour l’historiographie contemporaine. Mais la discussion engagée en 1985, à propos du concept de « formation discursive », se déploie encore largement dans le sillage de la réprobation que les Mots et les Choses avait inspirée à Ricœur en 1966 et qu’il évoque, en 1995, dans La Critique et la Conviction : « L’idée que l’homme est une invention récente me paraissait tout simplement fabuleuse. Je pense par exemple à l’“Ode à l’homme” dans l’Antigone de Sophocle [...]. Comment oublier aussi le souci stoïcien, la maîtrise des désirs et des passions, auxquels précisément Foucault revient à bien des égards dans ses derniers textes, que j’admire beaucoup, L’Usage des plaisirs et Le Souci de soi. Mais justement, c’est presque une autre philosophie que celle qu’il avait développée dans les Mots et les Choses. J’étais très réservé à l’égard de ce livre. L’idée des épistémè qui se remplacent les unes les autres avec des transitions aléatoires, non seulement me semblait inintelligible, mais surtout je trouvais qu’elle ne reposait pas sur une richesse de contenu assez grande pour chacune de ces épistémè. Foucault me paraissait faire à chaque fois un prélèvement trop limité pour être probant » 1. Le passage de cette “réserve” envers le premier Foucault à l’admiration éprouvée pour le dernier est porté au compte d’une mutation de sa Paul Ricœur et Michel Foucault Le Portique, 13-14 | 2007 1 philosophie : “C’est dans la mesure où Foucault s’est éloigné de lui-même, avec ses deux derniers livres, que je me suis senti plus proche de lui” » 2. 3 Dans un entretien paru dans le quotidien La Croix le 26 février 2003, et reproduit dans le récent Cahier de l’Herne qui lui est consacré, Ricœur réaffirme superlativement son admiration pour Foucault, associé cette fois à Deleuze. Évoquant une période où lui-même n’était pas encore tenu pour un philosophe important, mais où, enseignant heureux et estimé, il ne souffrait pas de ce manque de reconnaissance, il précise : « Je ne ressentais donc pas de ne pas être jugé l’égal de Deleuze, de Foucault, pour nommer les deux penseurs que, par ailleurs, j’ai le plus admirés » 3. Peut-être antérieure à la lecture de L’ Usage des plaisirs et du Souci de soi, cette admiration de Ricœur pour Foucault s’est liée, en 1984, à un sentiment de proximité de pensée que n’élucide guère le passage de La Critique et la Conviction, que j’ai commencé à citer : « C’est dans la mesure où Foucault s’est éloigné de lui-même, avec ses deux derniers livres, que je me suis senti plus proche de lui ; mais sans avoir l’occasion de le lui dire. C’est une rencontre qui n’a pas eu lieu. Certainement que lui n’en attendait rien, et moi j’étais sur des chemins où je le rencontrais peu, sinon par des intersections très ponctuelles » 4. Ce rapprochement s’étant manifestement produit à l’occasion de l’exploration par Foucault du souci de soi dans l’Antiquité gréco- romaine, le lecteur est tenté d’en rechercher quelques signes dans les ouvrages de Ricœur portant sur le soi, essentiellement Soi-même comme un autre (1990) et Parcours de la Reconnaissance (2004). 4 Aucune référence ne le guidera dans sa recherche. Foucault apparaît bien une fois, dans la Préface de Soi-même comme un autre , mais en simple caution de la justesse d’une observation grammaticale attestant que le pronom « soi » désigne le réfléchi de tous les pronoms personnels, et même des pronoms impersonnels tels que « chacun », « quiconque », « on », de la même manière que le pronom « se » rapporté à des verbes au mode infinitif : « C’est cette valeur de réfléchi omnipersonnel qui est préservée dans l’emploi du “soi” dans la fonction de complément du nom ; le “souci de soi” – selon le ‐ titre magnifique de Michel Foucault » 5 (éloge peut-être excessif, le titre de Foucault n’étant que la traduction de l’epimeleia heautou des Grecs). Sur ce que Foucault entend par « souci de soi », Ricœur ne dit mot : silence moins insolite qu’il peut sembler à première vue, l’analyse de la problématisation des comportements sexuels dans les textes grecs et latins des deux premiers siècles de notre ère n’entrant pas dans le cadre des études qui composent son livre. 5 C’est bien pourtant leur commun souci du souci de soi, source de leurs interrogations concernant le sujet et la subjectivité, l’exégèse de soi, la constitution de soi par soi, qui, pour le lecteur des deux philosophes, les relie l’un à l’autre. Ce lecteur doit, certes, se défier de la trompeuse parenté des thèmes traités ici et là. Intégrés dans des problématiques hétérogènes, ils y prennent des sens différents. Un parcours hâtif des derniers ouvrages de Foucault et de ses Cours au Collège de France dans les années qui en précédent de peu la parution (ne s’y aventure-t-il pas sur le terrain de l’herméneutique ?) pourrait faire croire que c’est lui qui s’est alors rapproché de Ricœur. Il n’en est rien sans doute. Les voies qui les conduisent à l’objet de leur commune préoccupation ne se croisent pas (sauf en quelques « intersections très ponctuelles » ?). C’est donc à emprunter patiemment ces voies distinctes que doit s’astreindre le lecteur désireux de confronter ces deux approches du sujet et d’en dégager, à ses risques et périls, ce qui a pu motiver chez Ricœur le sentiment d’un rapprochement avec le dernier Foucault. Paul Ricœur et Michel Foucault Le Portique, 13-14 | 2007 2 6 Mais on peut adopter une autre attitude envers leurs œuvres respectives : les considérer comme des « boîtes à outils », en extraire des instruments aptes, en certains cas, à s’agencer les uns aux autres, s’en servir à des fins théoriques et pratiques que ne concerne plus le respect scrupuleux des problématiques. Se laissent ainsi configurer – pour le lecteur – plusieurs terrains de rencontre entre Ricœur et Foucault. 7 Je relèverais d’abord une conjonction fructueuse des regards neufs que leur souci du souci de soi leur fait porter sur l’Antiquité grecque. Ils s’intéressent rarement aux mêmes auteurs et, quand ils le font, ils n’en donnent pas la même lecture, ne mettent pas l’accent sur les mêmes concepts. Mais l’attention qu’ils portent à l’usage du pronom réfléchi hautô/heauto dans les textes les mène à ouvrir ensemble un vaste champ de réflexion sur le rapport de soi à soi dont il est question dans ces textes. Pour en prendre la mesure, le lecteur peut associer avec bonheur l’analyse par Foucault de l’Alcibiade de Platon 6 et les analyses par Ricœur de maints chapitres de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, association non exclusive de bien d’autres possibles. L’un et l’autre, chacun à sa manière, montrent que si les Grecs ont ignoré nos concepts de volonté, de liberté, de conscience de soi, tels que les ont spéculativement élaborés les Modernes, se maintiennent, ou se redécouvrent, entre eux et nous, de fortes accointances au plan de la conception des mœurs, des expériences et des comportements, au plan d’une sagesse (ou d’une quête de sagesse) autoréflexive d’ordre pratique. Au-delà de son intérêt historico-philosophique, qui n’est pas mince, ce double éclairage projeté sur des textes anciens a une portée éthique et politique actuelle. On peut en tirer de précieuses leçons de vie au sein des situations qui sont les nôtres, uploads/Philosophie/ goetz-rose-paul-ricoeur-et-michel-foucault.pdf

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