Langue française La Grammaire générative et transformationnelle : sur quelques

Langue française La Grammaire générative et transformationnelle : sur quelques modes de transmission et de réemploi dans l'institution universitaire et scolaire française Jacqueline Bastuji Citer ce document / Cite this document : Bastuji Jacqueline. La Grammaire générative et transformationnelle : sur quelques modes de transmission et de réemploi dans l'institution universitaire et scolaire française. In: Langue française, n°53, 1982. La vulgarisation. pp. 78-91; doi : 10.3406/lfr.1982.5117 http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1982_num_53_1_5117 Document généré le 13/06/2016 Jacqueline Bastuji, Rennes-II LA GRAMMAIRE GENERATIVE ET TRANSFORMATIONNELLE : SUR QUELQUES MODES DE TRANSMISSION ET DE RÉEMPLOI DANS L'INSTITUTION UNIVERSITAIRE ET SCOLAIRE FRANÇAISE La grammaire generative (et) transformationnelle, que d'aucuns abrègent en grammaire generative ou appellent grammaire chomskyenne, est une « théorie spécifiée » (Milner, 1975) qui nous vient des États-Unis, et à laquelle nous nous référerons désormais par le sigle G. G. T. Importée vers 1965-1967 dans des conditions que nous examinerons plus loin, elle a joui en France d'un prestige considérable, mais limité à certains cercles de linguistes et/ou de pédagogues. En effet, et sauf pour quelques notions simples et d'un usage idéologique direct comme la compétence et son corollaire la créativité, sa haute technicité et son intérêt dominant pour la syntaxe la rendaient inaccessible au grand public. Rien de « mondain » ni de divertissant dans sa diffusion. On ne saurait donc parler de vulgarisation au sens strict, mais plutôt de pratiques discursives d'appropriation et de reformulation destinées à la recherche fondamentale en linguistique, et à son application à un enseignement « rénové » du français. Dans le cadre étroit de cet article, nous tenterons de définir une problématique, puis nous présenterons successivement deux analyses : une macroanalyse caractérisant les principaux textes parus entre 1967 et 1975, manuels scolaires exceptés, puis une micro-analyse sur trois notions-clefs, la créativité, \aphrase minimale dite encore phrase nucléaire ou phrase de base, enfin la Transformation. 1 . Problématique d'ensemble 1.1. Le domaine de référence Un domaine, même spécifié, n'a pas de limites franches parce que toute recherche s'inscrit dans une histoire sociale longue et complexe. Ainsi la 78 G. G. T. réutilise, en les portant à un niveau très supérieur de systématisation, quelques hypothèses et méthodes formulées et appliquées depuis des siècles. Plus directement, elle procède d'une double tradition américaine qui continue de coexister avec elle : d'une part Yanalyse en constituants immédiats, illustrée notamment par Bloomfield, Wells et Hockett, et base de la « grammaire syntagmatique »; d'autre part le distributionnalisme de Harris, avec qui Chomsky travailla quelques années avant de rejeter avec quelque fracas les méthodes « taxinomiques » de son maître. « Chomsky a toujours tenu à souligner sa dette envers Harris, et réciproquement» (Ruwet 1967, p. 223). Toute théorie relève donc d'un interdiscours, en même temps qu'elle se fonde sur ce qu'on appelle depuis Bachelard une « rupture épistémologique ». C'est ainsi qu'on parle de la <r révolution » chomskyenne — le mot apparaît notamment chez Ruwet et chez Lyons, et qu'on peut même lui assigner une date : celle de ce manifeste, fondateur d'une nouvelle école, qu'est Structures syntaxiques paru en 1957. Diffuser/vulgariser la G. G. T., c'est donc partir d'un corpus de livres et articles écrits par Chomsky et ses disciples, Lees, Kuroda, Katz, Postal, etc., parfois appelés générativistes. Or notre corpus français permet de dégager une équivalence distributionnelle entre deux types de SN : d'une part Chomsky et exceptionnellement Noam Chomsky (une occurrence dans Nique, 1974), d'autre part grammaire generative (et) transformationnelle, grammaire transformationnelle ou plus souvent grammaire generative par ellipse de la seconde épithète. Cette synonymie référentielle peut relever d'une interprétation stylistique : abrègement du SN et diversification du vocabulaire. Mais elle signale aussi une identification entre une théorie et celui qui en est le principal auteur et garant. La linguistique moderne n'ignore pas le culte de la personnalité — hier Saussure, aujourd'hui Harris ou Chomsky — , et on peut s'interroger sur la portée scientifique et idéologique de cette personnalisation du savoir (cf. Foucault, L'ordre du discours, pp. 28-29). Enfin la G. G. T. est une théorie exceptionnellement dynamique qui ne cesse de se « falsifier », c'est-à-dire de corriger et de renouveler le stock de ses hypothèses. Si Structures syntaxiques définit un « premier état », Aspects de la théorie syntaxique paru en 1965 en constitue un second, ultérieurement baptisé <r Théorie standard ». Depuis on assiste à une prolifération de révisions un peu commodément recouvertes sous l'appellation de Théorie standard étendue ou Théorie generative étendue. La vulgarisation y perd évidemment son souffle. Elle est toujours en retard sur la recherche puisqu'il faut du temps pour s'informer, assimiler une doctrine dans sa cohérence et dans ses manques avoués ou secrets, enfin écrire et publier. Plus une théorie évolue rapidement, plus il devient difficile de la transmettre au-delà du cercle étroit des spécialistes qui fréquentent les séminaires ou peuvent lire directement les textes anglais. Certes Nique présente la théorie standard étendue dans le dernier chapitre de son livre de 1974, puis dans celui de 1978, Grammaire generative : hypothèses et argumentations. Mais pour le reste, il s'agit plutôt de traductions d'ouvrages récents (Chomsky, 1972, Questions de sémantique, 1975, Réflexions sur le langage, 1977, Essais sur la forme et 1. C. Hacece. qui a écrit un violent réquisitoire contre la G. G. T., La Grammaire generative, réflexions critiques, P.U.F., 1976, conteste ce qu'il appelle « le mythe de la révolution » : « la publicité et le goût du sensationnel ont fait plus que le contenu lui-même. Pour qu'il y ait révolution, il faut qu'il y ait, dans la recherche, une forme de consensus. Or c'est un des objets du présent ouvrage de faire apparaître les résistances de certains linguistes et leurs causes », pp. 28-29. Même dans l'histoire des sciences, faut-il qu'il y ait я consensus » pour qu'on puisse parler de révolution? 79 le sens), ou d'hypothèses, par exemple sur le Complémentiseur, le nœud Expression ou l'anaphore, que les chercheurs français intègrent directement dans leurs articles ou leurs thèses (cf. Milner, Huot, Guéron, 1975 à 1978). Par contraste avec cette intégration dans la communauté scientifique internationale, on citera, comme attribués à Chomsky, ces Dialogues avec Mit- sou Ronat (1977), où le maître est sollicité de vulgariser lui-même son œuvre politique puis linguistique en la situant « dans la géographie de la pensée contemporaine » (p. 8). La transmission de la Théorie étendue a ainsi des propriétés spécifiques qui suffiraient à justifier une étude indépendante. Nous nous limiterons donc aux deux premiers « états » de la G. G. T., en y adjoignant l'hypothèse lexi- caliste de 1968 dont nous avons besoin pour rendre compte du travail de Guilbert sur la créativité lexicale. On remarquera qu'en France les deux premiers états ont toujours été présentés conjointement, mais avec des stratégies de choix, de pondération, voire d'infidélité créatrice qui varient beaucoup d'un ouvrage à l'autre et justifient une analyse comparée. 1 .2. Les conditions de production et le champ énonciatif La transmission du « message » — ici une théorie spécifiée avec son exploitation linguistique et métalinguistique — s'inscrit dans un schéma de communication reliant la personne qui sait — le locuteur-scripteur — au public qu'elle entend informer, dénonciation, que depuis vingt ans on s'efforce d'intégrer dans la linguistique et d'articuler avec l'analyse du discours, n'est pas seulement cet « acte individuel d'utilisation de la langue » tel que le concevaient Saussure — la parole — ou Benveniste. Le sujet énonciateur ne peut construire des formes et des significations que par référence aux images sociales qu'il se donne de lui-même et de ses interlocuteurs, réels ou virtuels; et Culioli parle pertinemment de co-énonciateurs là où presque tous, y compris en analyse de discours, privilégient la production aux dépens de la réception. D'autre part le sujet est support plutôt que source de sa parole. Ses « conditions de production » (Pécheux, 1970) sont déterminées par son histoire personnelle, dont il n'a qu'une conscience biaisée et lacunaire, par les institutions sociales dans lesquelles il s'inscrit, et par V interdiscours comme ensemble des discours déjà tenus ou proférables dans une conjoncture historique déterminée (Fuchs-Pécheux, Langages, 37, pp. 9-22). Ainsi, dans cette vulgarisation de haut niveau que nous avons choisie pour la G. G. T., les énonciateurs sont nécessairement des linguistes. Sans formation scientifique spécialisée, on ne saurait évaluer ni ses enjeux théoriques et méthodologiques, ni les exemples anglais sur lesquels elle se construit et s'argumente. De plus, on ne peut soutenir un tel effort théorique sans vouloir aussi l'exploiter pour l'avancement de ses travaux personnels. La transmission n'est pas seulement informative mais créatrice, et le linguiste diffuseur de la G. G. T. satisfait au modèle universitaire français de l'« enseignant-chercheur ». Il faut aussi écrire pour être lu, et donc s'adapter à la demande et au savoir présumés des destinataires. Et comme on ne peut publier sans garants ni espérances de diffusion, il faut bien se plier aux règles des institutions sociales. Dans ce pays où la « grammaire » a toujours été tenue pour une discipline d'abord destinée à la formation des enfants et uploads/Philosophie/ grammaire-generative-27-pdf.pdf

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