1 Espacestemps.net Penser les humains ensemble. Hans-Georg Gadamer. L’herméneut

1 Espacestemps.net Penser les humains ensemble. Hans-Georg Gadamer. L’herméneutique : description, fondation et éthique. Par Christian Ruby. Le mercredi 16 octobre 2002 D’une certaine manière, Hans-Georg Gadamer (1900, Marbourg-2002, Heidelberg) est le premier philosophe à avoir utilisé le terme « herméneutique » – évoquant les notions d’interprétation (herméneuien en Grec) et de signification d’un point de vue non-dogmatique (sans a u t o r i t a r i s m e , n i r é f é r e n c e institutionnelle) – sous la forme d’un adjectif, pour l’accoler à « philosophie » afin de servir le dessein de redéfinir complètement l’objet de la philosophie moderne1. Cet usage du vocable « herméneutique », pour lequel Gadamer établit lui-même les sources qui l’arrangent2, donne d’emblée une indication précieuse sur les objectifs du philosophe. C’est une perspective globale, portant sur l’intelligence des actions humaines, qui s’y trame, dont les grandes lignes ne peuvent être résumées qu’à condition de faire l’impasse sur de nombreux sous-ensembles3. Cette philosophie herméneutique est une philosophie dont le dessein est, premièrement, de décrire la situation actuelle, de la condamner pour avoir abouti à la fois à la séparation de l’homme et de la nature, par fait de science et de techniques, et à la division de l’homme avec lui-même, par fait de sciences humaines, et, secondement, de tenter de montrer que la seule voie de sortie possible hors de cette réalité culturelle et historique est celle de la restauration d’un fond originaire unifiant, commun à l’humanité (le langage), en même temps qu’il est susceptible de réunifier l’homme avec soi-même. Ainsi la philosophie herméneutique est une philosophie qui décrit un état du savoir et ses effets (elle est une procédure), qui dévoile (elle est une recherche du vrai fondement « caché » de l’humanité) et qui propose, à partir de son résultat, une conduite unifiante ou réconciliatrice (elle est une éthique de la compréhension4. Gadamer ouvre presque tous ses travaux par une description détaillée du portrait d’une époque, d’une culture et d’une société aliénés. Selon les modes de pensée de la phénoménologie post-husserlienne (le projet de remonter en amont de l’objectivité scientifique), il montre que notre société et sa culture reposent sur une préconception systématique non élucidée, celle de la Espacestemps.net - 1 / 14 - 20.06.2015 2 domination sur toutes choses de la parole des experts et, en conséquence, celle de la séparation et de l’abandon à eux-mêmes des citoyens, et leur incapacité à décider quoi que ce soit sans céder aux intérêts séparateurs de la science et de la technique. Cette formulation gadamerienne de la condition humaine moderne vise à provoquer la prise de conscience de l’existence et des effets de la séparation, dans notre société – une partie se prend pour le tout, quelques experts dominent, nous ne nous rapportons à nous-mêmes que par des spécialistes (psychologues) -, et d’une séparation-domination, qui plus est aliénante, parce que la conscience de soi de l’époque et de chacun se trouve donc placée hors de soi-même (chez des experts et dans leurs convictions incontrôlables). En somme, quitte à être réducteur, l’objectif de Gadamer est de contribuer à montrer qu’il convient d’urgence de passer d’une « fausse » connaissance du monde et de nous-mêmes, appuyée sur les sciences et les techniques dont l’encyclopédisme positiviste est borné et dont l’ambition est de réduire la pratique à la technique sans finalité, à une « vraie » connaissance, à une expérience herméneutique du monde et de soi qui corresponde à une expérience « authentique » (VM, p. 511). Cette dernière doit faire reculer l’horizon limité ou borné qui était jusque-là le nôtre, en nous faisant accéder à la connaissance du tout (illimité), des anticipations de notre expérience du monde (finalité) et de nous-mêmes. En somme, à la connaissance de ce qui rapproche au lieu de séparer. C’est là le ressort de sa manière de se réclamer de l’herméneutique, de « la science des formes, des conditions et des limites de l’entente entre les hommes » (PH, p. 12). Par opposition au positivisme qui fait de la science (et de toutes sciences, de la nature et de l’esprit) la référence unique, l’herméneutique veut être une philosophie dont le champ n’est ni limité ni unilatéral : ce champ s’étend des sciences aux activités pratiques, ou de la théorie à la pratique (économie, droit, politique, religion, etc) si on reprend, comme nous l’avons fait ci-dessus, les termes de la division traditionnelle (en tout cas « moderne ») des domaines de la philosophie. Dans ce cadre, elle a pour objet l’universel, ce qui doit s’entendre d’abord sous la forme d’une approche du fondement commun de la dualité de la nature et des mœurs (de la théorie et d’une pratique non résorbée dans la technique) puis du fondement commun de l’humanité. Mais, afin d’exclure toute partialité, ce fondement ne peut être envisagé que par une référence au langage (Gadamer ne se réclame ni d’une théologie, ni d’un naturalisme, ni d’un culturalisme), dans la mesure où seul, pense Gadamer, il est le champ universel de notre connaissance humaine, disons en un sens très large, la forme vitale de la connaissance humaine (PH, p. 9). Dès lors, l’herméneutique fixe une tâche à la philosophie : « on peut donc affirmer que la tâche générale de la pensée philosophique est aujourd’hui de résister à ces aliénations, de les refondre au creuset d’un authentique effort de pensée » (PH, p. 11). L’aliénation positiviste. On peut aboutir à la définition de cette tâche par un autre biais. Pourquoi se réclamer du langage est-il essentiel aux yeux de Gadamer ? On pourrait évoquer des « causes » lointaines, tenant à l’histoire de la philosophie occidentale et à son approche du Logos. Gadamer le fait parfois et propose en général ses conclusions dans ces termes du rapport du Logos et de l’Ethos. Mais il insiste plus fréquemment sur une autre perspective. Elle puise ses raisons dans la description de la culture contemporaine. De nos jours, notre manière de parler du monde (sciences de la nature), de nous-mêmes (sciences humaines) et de notre histoire (science historique), ne s’accomplit plus que sous l’autorité anonyme de la voix de la science. Notre manière habituelle de Espacestemps.net - 2 / 14 - 20.06.2015 3 philosopher est, elle aussi, tombée sous la prétention unilatérale de la connaissance et de la méthode scientifique et technique. En conséquence, nous sommes aliénés, c’est- à-dire que nous sommes séparés de nous-mêmes, médiatisés par des méthodes et des techniques qui nous éloignent de nous et vouent nos existences à « l’utile »5. Dès lors, chercher à désaliéner les hommes, puisqu’il s’agit du projet de la philosophie herméneutique, c’est donc ressaisir si possible une puissance de lien, une puissance intrinsèque de solidarité entre les hommes, une sorte de vertu sociale de contact et de signification non formels. Cette puissance de lien et de signification, l’herméneutique de Gadamer pense la découvrir dans le langage. Elle affirme même qu’il s’agit-là de la fonction que remplit le langage, au premier chef, et qui le place au premier plan des analyses requises. Ainsi, dans ce contexte herméneutique, une première opposition se trouve justifiée : celle qui distingue la science limitée et aliénante et la philosophie ouverte et libératrice. Au demeurant, développe Gadamer, la philosophie moderne, non-herméneutique, est le résultat de la division du travail intellectuel qui sépare les objets et d’une domination de la science. La science domine, la technique la soutient, et la philosophie a pris le risque, depuis le 19e siècle, de nous faire perdre le sens du tout en se condamnant à se contenter de devenir la simple somme de tout ce qu’on peut savoir, une sorte d’encyclopédisme (sciences de la nature et sciences humaines), sans autre perspective que le gain. Tandis que la science, de son côté, s’est substituée à la philosophie en se faisant passer pour le savoir exclusif, notamment sous la forme du positivisme : « Notre concept de philosophie est en fait marqué par l’opposition et la différence entre la philosophie et la science nouvelle qui est apparue au 17e siècle et qui, depuis lors, détermine l’époque moderne jusque dans ses fibres les plus intimes » (PH, p. 2). On le voit, dans la perspective gadamerienne, la philosophie actuelle est entièrement soumise à la science. Les philosophes ne trouvent même plus de justifications internes à leur travail. Et, pire encore, ils sont liés aux « visions du monde », qui ont des prétentions à la totalité sans en avoir les moyens, et qui se réfugient dans le religieux. En réalité, Gadamer s’appuie ici, paradoxalement, sur une épistémologie de type kantien. Si la science est un système de question qui oblige la nature à lui répondre (Critique de la raison pure, 1781), alors pourquoi ne pas affirmer que si la science a sans doute raison dans son domaine, nous pouvons non moins affirmer que les bonnes questions à poser ne sont pas celles de la science. Ainsi l’optique kantienne d’une limite du pouvoir de l’entendement afin de faire place à uploads/Philosophie/ hans-georg-gadamer-lhermeneutique-description-fondation-et-ethique.pdf

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