L’ouverture exemplaire de Hegel : pour un usage fécond du scepticisme / B.QUENT

L’ouverture exemplaire de Hegel : pour un usage fécond du scepticisme / B.QUENTIN 1 Intervention du vendredi 19 mars 2010 / Reims « L’ouverture exemplaire de Hegel : pour un usage fécond du scepticisme » Bertrand Quentin Auteur de Hegel et le scepticisme, Paris, L’Harmattan, 2008. Bertrand.Quentin@ac-paris.fr Plan détaillé prévu initialement : I Le scepticisme fait partie de la philosophie (il vainc les illusions de l’empirisme naïf) : 1-1 Un éloge inattendu du scepticisme. 1-1-1 « Le scepticisme est un avec toute philosophie vraie ». 1-1-2 Le scepticisme (des 10 tropes d’Enésidème) n’est pas dirigé contre la philosophie mais contre le dogmatisme de la conscience commune. 1-1-3 Le scepticisme est donc un passage obligé vers la philosophie vraie. 1-2 La qualité de la lecture hégélienne des textes sceptiques. 1-2-1 Le scepticisme pyrrhonien n’est pas une philosophie du doute. 1-2-2 Les Sceptiques sont plus réactionnaires qu’asociaux. II Le scepticisme a vaincu la philosophie d’entendement. 2-1 La parade de la philosophie d’entendement au scepticisme est le principe de contradiction. 2-2 Le principe de contradiction est faux (analyse hégélienne de la réponse d’Aristote au protoscepticisme). 2-2-1 Le principe de contradiction présenté par Aristote est faux pour la raison. 2-2-2 Logique explicite et logique implicite d’Aristote. 2-3 La philosophie d’entendement est convaincue d’impuissance, mais tout discours doit-il l’être ? 2-3-1 Le scepticisme religieux initial de Hegel devant le discours d’entendement. 2-3-2 L’abattement psychologique vécu par Hegel devant l’impuissance du discours d’entendement.. III Seule la philosophie spéculative peut prendre acte des « acquis » du scepticisme sans s’enfoncer dans la paralysie 3-1 Le scepticisme livré à lui-même se perd : entre paralysie et radotage… 3-2 La marche patiente de la philosophie spéculative. 3-2-1 Ne pas en rester à l’isosthénie sceptique. 3-2-2 L’invention d’un nouveau langage philosophique. 3-2-3 L’auto-motricité du Concept. 3-2-4 Vers une « totalité-mouvement ». 3-2-5 La Phénoménologie nous permet de distinguer le scepticisme comme « figure », « introduction » et « moment ». NB : les parties de l’intervention qui n’ont pas pu être délivrées, faute de temps, peuvent être complétées par la lecture de notre ouvrage Hegel et le scepticisme, L’Harmattan, 2008. L’ouverture exemplaire de Hegel : pour un usage fécond du scepticisme / B.QUENTIN 2 INTRODUCTION : Hegel est un philosophe qui n’est pas toujours bien servi par nos collègues de philosophie devant leurs élèves ou leurs étudiants. Pour aller vite en besogne, on en fait un auteur revendiquant un déterminisme intégral dans la réalité. Quoi que les individus veuillent, une « ruse de la raison » ferait malgré eux advenir la rationalité dans l’histoire. A cela s’ajoute le terme d’ « idéalisme » pensé rédhibitoirement comme péjoratif. La matière serait, de façon fantastique, une production de l’esprit chez ce penseur teuton, illustrant les dangers que court la philosophie à tomber dans les délires du panlogisme. L’intellectuel moderne a été nourri d’histoire de la philosophie et a terminé ses études par les « philosophies du soupçon ». Dès lors il ne veut plus « se faire avoir ». D’où le lustre facile d’un Kant par rapport à un Hegel. Avec Kant, « on ne se ferait pas avoir » ; ce dernier serait suffisamment prudent pour que l’on ne prenne pas des vessies métaphysiques pour des lanternes. Mais avec Hegel il y a toujours ce soupçon : qu’est-ce qui prouve que l’on n’est pas dans un délire de l’imagination ? La difficulté d’accès à l’œuvre hégélienne est la raison première de ces contresens nombreux. Les écrits du philosophe souabe peuvent être bien âpres, exiger une patience à toute épreuve et un bagage technique important en terme de vocabulaire philosophique, germanique et en terme de logique du système. Des mots comme « concept », « esprit », « raison » impliqueraient plusieurs pages d’explication préalable. De ce fait, il est bien difficile d’aborder sérieusement Hegel en classe de Terminale. A part certains textes de l’Esthétique, peu de passages de l’œuvre sont lisibles pour une personne de 17 ans. Mais il se trouve qu’outre Hegel, des auteurs sceptiques font partie de la liste des auteurs susceptibles de tomber au baccalauréat (Sextus Empiricus pour l’Antiquité, mais Montaigne peut aussi y trouver également une place). L’occasion est donc belle de faire ici « d’une pierre deux coups » : conjurer la difficulté de Hegel en étudiant sa manière d’aborder le scepticisme. Lever certains contresens à propos de Hegel en montrant concrètement ce qu’il nous apporte dans le travail philosophique. Remarquons d’emblée que le scepticisme n’est pas un mouvement philosophique parmi d’autres, au sein de cours où Hegel parlerait chronologiquement de tous les philosophes de l’histoire. Le scepticisme est bien un mouvement privilégié dans l'œuvre hégélienne. En 1802 Hegel a 32 ans. Il n’est pas encore un grand philosophe : il n’a rien publié de majeur. Il n’est pas professeur à l’Université. C’est un étudiant attardé qui a fait quelques années comme précepteur pour gagner sa vie. C’est pourtant à cette époque qu’il publie un article dense et informé sur le scepticisme antique et moderne, dans le Journal critique de la philosophie qu'il vient de fonder à Iéna avec Schelling. Cinq ans après, le premier ouvrage majeur de Hegel, La Phénoménologie de l'esprit (1807) fera du scepticisme un moment essentiel de la vie de la conscience. La Science de la logique (1812-1816), l'Encyclopédie (1817-1830), ses cours des années 1820 à l’Université de Berlin, aborderont également ce mouvement - preuve que l'œuvre hégélienne entière est jalonnée de liens relatifs au scepticisme. Il reste à savoir ce que l’on appelle scepticisme. Cassirer reconnaissait à ce propos la difficulté d’une caractérisation unifiée de ce terme : « le concept du scepticisme (…) est flottant et indéterminé. Au cours de l’histoire, ce sont tantôt l’empirisme, tantôt la mystique, tantôt une pure philosophie des faits, tantôt la philosophie de la croyance, qui revendiquèrent pour leur propre compte les arguments sceptiques et qui par là rendirent équivoque sa tendance spécifique même »1. On pourrait ajouter à l’énumération de Cassirer un sens psychologique qui caractérise notre manière d’être au monde. Qu’en est-il pour Hegel ? Le premier Sceptique est celui qui a perçu l'incertitude du sensible et cela remonte vraisemblablement à fort loin : 1820 Texte 2 : « La naissance du Scepticisme est très ancienne, si nous prenons ce terme en son sens tout à fait indéterminé, tout à fait général. L'incertitude du sensible est une conviction ancienne tant dans le public non-philosophique que parmi les philosophes qui ont existé jusqu'ici »2. L'intuition initiale qui va amener à la théorisation philosophique sceptique est donc déjà présente au sein du public non- philosophique : on ne peut faire totalement confiance au « réel » que nous percevons. Ce « réel » est fugace. Il est important pour Hegel que ces affirmations ne soient pas seulement des élucubrations de penseurs se situant bien en dehors du monde réel. A partir du moment où le public non-philosophique peut en avoir l'intuition et a eu ces intuitions, cela veut dire que le scepticisme est bien un moment de la conscience humaine du réel et - dans l'optique idéaliste hégélienne - un moment du réel. Le courant historique du scepticisme est un courant de pensée issu de Pyrrhon (-365 / -275). Mais un certain nombre de penseurs qui sont bien antérieurs à Pyrrhon peuvent être reconnus comme ayant par un biais ou un autre émis des doutes sur la capacité de la pensée à rendre compte du réel ou sur la consistance même du réel. Nous qualifierons donc de « protosceptiques » tous les penseurs de ce type. Il ne s'agit pas d'en faire de nouveaux pères fondateurs de ce qui serait le scepticisme universel ; leur démarche peut en effet s'avérer différente de celle des futurs sceptiques historiques et ceux-ci ne se reconnaîtraient bien souvent pas comme leurs héritiers. Il s'agit néanmoins de cibler par ce vocable un certain nombre de penseurs qui dans l’histoire de la pensée n’ont pas suivi une voie « consensuelle » (si tant est que la pensée puisse l’être). Ces pères du scepticisme ne sont pas seulement ceux qui ont remis en question les certitudes sensibles ; ils ont aussi montré l'inanité des concepts finis : « Homère (...) Archiloque, Euripide, Zénon, Xénophane, Démocrite, (...) en bref, ceux dont Diogène (Laërce) répète les propos, avaient su voir qu'une vraie philosophie a nécessairement en même temps un côté 1 CASSIRER, Das Erkenntnisproblem in der philosophie und Wissenschaft der neueren Zeit, (1920) t. III Die nachkantischen System ; Le problème de la connaissance dans la philosophie et la science des temps modernes III (noté désormais : Problème-connaissance, III ) Les systèmes postkantiens, trad. Collège de philosophie, revue par C.Bouchindhomme, Paris, Les éditions du cerf, 1999 ; p.58. 2 HEGEL, Leçons-hist-philo T4, p.762 ; G18, p.541. L’ouverture exemplaire de Hegel : pour un usage fécond du scepticisme / B.QUENTIN 3 négatif dirigé contre tout ce qui est limité et par là contre l'amas de faits de conscience et leur certitude irréfutable, ainsi que contre les concepts bornés »3. Deux éléments se dégagent donc uploads/Philosophie/ hegel-et-le-scepticisme.pdf

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