École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologi

École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques Héraclite à son fourneau Louis Robert Citer ce document / Cite this document : Robert Louis. Héraclite à son fourneau. In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1965-1966. 1965. pp. 61-73; doi : https://doi.org/10.3406/ephe.1965.4897 https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1965_num_1_1_4897 Fichier pdf généré le 17/05/2018 HERACLITE A SON FOURNEAU UN MOT D'HERACLITE DANS ARISTOTE {PARTIES DES ANIMAUX, 645 A) Un mot attribué à Heraclite nous a été conservé par Aristote et il figure dans les témoignages relatifs au philosophe d'Éphèse, à côté des fragments de ses œuvres (1). Aristote l'a rapporté, Parties des Animaux, 645 A, à la fin du livre I et de l'introduction méthodologique, dans une page d'un bel élan scientifique. Il faut reproduire ce passage en le reprenant assez haut, à la fois pour la beauté de l'inspiration et pour apprécier exactement le raisonnement et le contexte. Le voici dans la traduction de Pierre Louis (éd. Budé 1956, p. 18). « II nous reste à parler de la nature vivante, en veillant autant que possible à ne négliger aucun détail, qu'il soit de médiocre ou de grande importance. Car même quand il s'agit d'êtres qui n'offrent pas un aspect agréable, la nature, qui en est l'architecte, réserve à qui les étudie de merveilleuses jouissances, pourvu qu'on soit capable de remonter aux causes et qu'on soit vraiment philosophe. Il serait d'ailleurs illogique et étrange que nous prenions plaisir à contempler les reproductions de ces êtres, parce que nous considérons en même temps le talent de l'artiste, peintre ou sculpteur, et que nous n'éprouvions pas plus de joie à contempler ces êtres eux-mêmes tels que la nature les a organisés, quand du moins nous réussissons à en apercevoir les causes. Aussi ne faut-il pas se laisser aller à une répugnance puérile pour l'étude des animaux moins nobles. Car dans toutes les oeuvres de la nature réside quelque merveille. Il faut retenir le (1) Ainsi H. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker (1903), p. 63, n° 9; dans la 5e édition (1951), p. 146, n° 9. 62 LOUIS ROBERT propos que tint, dit-on, Heraclite à des visiteurs étrangers qui au moment d'entrer s'arrêtèrent en le voyant se chauffer devant son fourneau; il les invita, en effet, à entrer sans crainte en disant que là aussi il y avait des dieux. On doit, de même, aborder sans dégoût l'examen de chaque animal avec la conviction que chacun réalise sa part de nature et de beauté. » Le texte grec de la phrase sur Heraclite est celui-ci : Kal xa0à— sp 'HpàxXsiTOç XéysTOU 7rpoç touç £évouç eiizzïv toÙç (3ouXo[jtivouç evTU^etv aùxco, ot IttsiSt] TipoatovTsç elSov ocÙtov 0£p6(X£vov Trpoç tw tavco è'cjTTjcjav (êxéXsus yàp aùxoùç eicnévai 0appouv-raç * slvat yàp xal èvxauôa Osoûç), oûxcoç xal Tzpoç r/]V ÇTjnqaiv 7cspl sxàaTOU tcov Çcocov Trpocnévai Set xxX. On a rendu le sens de cette anecdote en traduisant aussi (1) : « On dit qu'Heraclite, à des visiteurs étrangers qui, l'ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, fit cette remarque : Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine » (2). Le récent éditeur a expliqué ainsi la scène (éd. Budé, p. 173, n. 4 et 5) : « Le mot Itzvoç désigne particulièrement le four du boulanger (cf. Hérodote, V, 92, 7, texte relatif à Périandre de Corinthe qui vivait à la fin du VIIe siècle et au début du VIe). Mais il s'emploie aussi en parlant du fourneau domestique (cf. Aristoph., Guêpes, 139). — Le mot attribué à Heraclite n'est qu'une variante de Tcàvxa ttXtjpy) 0scov (Lois, 899 b 9) que Platon cite sans nom d'auteur : la formule est généralement attribuée à Thaïes. Cependant Diogène Laerce (IX, 7) met au compte d'Heraclite cette affirmation proche de celle citée par Aristote : 7ràvT<x ^uycov slvai xal Soufxovcov TrX^pvj». Telle est en effet l'explication courante. « C'est dans ce sens panthéiste que nous aurons sans doute à comprendre aussi ce qu' Aristote raconte, à savoir qu'Heraclite cria à des étrangers qui avaient scrupule à lui faire visite dans la cuisine, stcuévou 0appouvxaç, sîvou yàip xal £VTaG0a 0îouç. Cf. Diog. IX, 7 : ^uj<c5v slvai xal Saifxovcov TrXyjpv) ». Voilà ce qu'en disait (1) J.-M. Le Blond, Aristote philosophe de la vie, Le livre premier du traité sur les Parties des Animaux, Texte et traduction avec introduction et commentaire (Paris, Aubier, 1945), p. 119; cf. aussi p. 53, 70, 185. (2) Bonne traduction et explicitation encore chez W. Ogle, The works of Aristotle translated into English, V (Oxford, 1911) : « and as Heraclitus, ^vhen the strangers who came to visit him found him warming himself at the urnace in the kitchen and hesitated to go in, is reported to hâve bidden them not to be afraid to enter, as even in that kitchen divinities were présent, so... ». HERACLITE À SON FOURNEAU 63 Ed. Zeller (1). Selon J. Burnet (2), « Platon cite le mot Tràvxoc ttXtjP"/) 0£cov dans les Lois..., sans mentionner Thaïes. Le mot attribué à Heraclite ... paraît n'être qu'une variante de celui-ci. Dans Diogène on met sur le compte d'Heraclite cette affirmation : tzzv-x ^i%wv sîvai xal 8at|i,6v(ov TrX^pyj ». Même formulation et mêmes rapprochements dans H. Cherniss, selon qui « le dicton peut dès lors être un de ceux qui étaient attribués indistinctement aux ' sages ' et peut, comme le dit Burnet, signifier seulement que rien n'est plus divin que rien d'autre » (3). Ces explications peuvent donner un sens raisonnable, mais elles ne rendent pas compte de la pointe ni d'aucun des détails : le fourneau, les étrangers qui viennent rendre visite, leur hésitation. C'est ce vague qui amena un helléniste de Cambridge, D. S. Ro- bertson, à une interprétation d'une grande précision (4). « Dans l'histoire d'Heraclite transmise par Aristote... 6ep6(i.£vov Tzpbç Toi [t:vc5, s'il est pris littéralement, est singulièrement plat comme illustration de la nécessité de surmonter un dégoût instinctif dans la recherche de la beauté et de la vérité » (5). Certes, le mot est un peu ' plat ' d'apparence et, je l'ai dit, on n'en voit guère la portée et le rapport précis avec une doctrine telle que —devra ^u/^wv xal Sai[xov(ov TrX^pvj. Cette histoire plate a été ' relevée ' par le savant anglais avec le raisonnement suivant, que je traduis ci-après. « Pollux, V, 91 et Hésychius 5. v . assurent tous les deux qu'Aris- (1) Die Philosophie der Griechen, I4 (1876), 611. (2) L'aurore de la philosophie grecque, éd. fr. A. Raymond (1952), 51, n. 1. (3) Aristotle's criticism of presocratic philosophy (1935), 296, n. 26 : « The story he tells to warn rauch students from ' squeamishness ' in biological stu- dies attributes much the same sentiment [à savoir rrâvToc Tzkr^i) 0ecôv] to Heraclitus who told friends who hesitated to come into the kitchen were he was warming himself to ' come cheerily in, for there are gods hère too ' ». W. K. C. Guthrie, A history of Greek philosophy, I, The earlier Presocratics and the Pythagoreans (Cambridge, 1962), à propos de Thaïes et de «tout est plein de dieux», p. 65, juge, note 2, que «Burnet's référence to Arist... seems irrelevant, and his statement that ' Hère too there are gods ' means only that nothing is more dhine than anything else, is surely extraordinary ». Pour lui, il estime que « even if this anecdote were true, it would be diffi- cult to know what philosophical significance to attache to it». Il affirme pourtant que c'est de cette anecdote que Diogène Laërce a tiré que «tout est plein de dieux et d'âmes». (4) Proceedings of the Cambridge Philol. Society, fasc. 169-171 (1938, paru en 1939), 10. (5) «... 0sp., if taken literally, is singularly flat as an illustration... ». 64 LOUIS ROBERT tophane employait tavoç dans le sens de xoTrpcov (Hésychius précise que c'était dans le Cocalus). Cela signifie probablement qu'une expression du genre de kc, tôv itcvov ipyzadca remplaçait le èç tov xoTrptovoc è'p^saôai de Thesmoph. 485, qui était intentionnellement grossier. Une telle installation était souvent en fait dans la cuisine ou auprès (voir les dictionnaires de Smith et de Daremberg et Saglio et le Pompeii de Mau, trad. anglaise, p. 267), et 0£p6(jt,svov Ttpoç tS ittvco est un euphémisme naturel. La variante ittvov dans Paix 536 illustre peut-être le même usage; voir aussi Callimaque fr. 216 Schneider. Cette interprétation donne beaucoup plus de sel à l'histoire : la déclaration d'Heraclite qui est rapportée, eTvoci fà.p xal svxauBa Osouç, peut être un coup contre les superstitions encouragées en de telles matières par deux prédécesseurs détestés, Hésiode et Pythagore». D. S. Robertson faisait encore cette addition ultime : « Rapprocher aussi les gloses, etc. qui assimilent culina avec latrina réunies dans le Thésaurus Lingu. Lat., s. v. culina, et par Hagen dans Gradus ad criticen 1879, p. 101 ; ces références sont dues à Mr. H. T. Deas ». Certes on pourrait admettre sans doute que « uploads/Philosophie/ heraclite.pdf

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