L'ÉVOLUTION DE LA NOTION DE SYSTÈME AXIOMATIQUE par Andrés R. RAGGIO Université
L'ÉVOLUTION DE LA NOTION DE SYSTÈME AXIOMATIQUE par Andrés R. RAGGIO Université de Cordoba ... « C'est un livre, on n 'a pas bcsoin de savoir !ire pour ]e !ire; c'est un livre - jc veux vous dire - qui se Jit tout seu!. » (Le Diable à Joseph cn !ui montrant un livre magique), L'Histoire du soldar, de RAM UZ-STRAWIN- SKY. Les critiques de la raison théorique sont un lieu commun de la philosophie contcmporaine Mais généralement elles utilisent de tres :mcicnnes idées tou- chant la 11al11rc de la connaissance théorique, de sorte que beaucoup d'analyses d dc uJ11trovcrscs manquent de véritable signification, parce que les attit~des q 11 '' lk:s prétcndcnt attaquer ou défendre ne sont que des fantasmcs historiques 111or1s dcpuis déjà beaucoup de siecles. Courageuses et hardies, elles s 'embarqucnt po11r combattrc dcvanl Troic, ignorant que Troie n'existe plus, et même que , chlicma11n !'a rcdécouvcrtc. La notion ele systemc axiomatique est cruciale pour comprendre le fonc- tionnement et la signification de Ja connaissance théorique. Un exposé des principales étapes par lesquelles cette notion est passée, depuis les Grccs jusqu'à nos jours, peut éclairer plus d'un chapitre de la philosophie actuelle. Bien sur nous ne prétendons pas en donner une analyse exhaustive, tâche impos- sible si nous tenons compte de la complexité du processus historique concret. Au contraire nous nous limiterons en foisant des coupures synchroniques à des moments-clés de l'bistoire de la science théorique et de la réflexion philo- sophique qui s'y rapporte, en essayant de décrire les structures fondamentales et surtout les moments de ces structures qui sont particulierement importants pour comprendre le processus diachronique total. Nous n'ignorons pas les risques que nous courons - surtout si l'on tient compte du discrédit dans leque) sont tombés, des essais similaires d'inspiration bégélienne ou heidegge- rienne - mais l'urgence du probleme ne nous laisse pas d'autre alternative. L'AGE DE LA SCIENCE, VOL. III, Nº 3 o 208 ANDRÉS R. RAGGIO I AruSTOTE ET LA NOTION CLASSIQUE DE SYSTEME AXIOMATIQUE Dans ses Analytiques Postérieurs, Aristote a exposé ce que l'on appelle la conception classique des systémes axiomatiques. Bien que, ces derniers temps, lcs historiens de la mathématique grecque - surtout Arpad Szabo (1) - rencontrent de sérieuses divergences entre cette conception classico-aristoté- 1 icienne et les idées qui guidérent les mathématiciens grecs dans l'édification des premiéres théories axiomatiques, sa vigueur extraordinaire en durée et en profondeur en fait un objet obligatoire de notre exposition. Ou en d'autres terrnes : en dépit des doutes que nous pouvons avoir quant à la fidélité de cette conception à l'égard de la science de son époque et également des difficultés d'interprétation qu'elle suscite dans le systéme aristotélicien, l'importance de l'aristotélisme - dont elle est l'un des piliers - en fait un point de départ nécessaire dans la série de coupures synchroniques que nous nous proposons de faire. Notre tâche est rendue beaucoup plus facile qu'on aurait pu l'espérer par l 'article de Heinrich Scholz : Die Axiomatik der Alten (2), qui satisfait à la fois lcs exigences les plus sévcres de la rigueur philosophique et de la théorie logiq ue. Scholz détermine les trails principaux de la notion classico-aristotélicienne de systcme axiomatique de la façon suivante : A. Une science dans le sens aristotélicien est un ensemble d'énoncés relatifs à un même domaine (-rzvoc;) qui posscde les propriétés suivantes : 1. Les énoncés se divisent en axiomes et théorémes. 2. Les concepts qui composent les énoncés se divisent en concepts fonda- mentaux et dérivés. B. Les axiomes doivent être : 1. Immédiatement évidents, et pour cette raison indémontrables. 2. Suffisants pour qu'on puisse déduire à partir d'eux, et en utilisant uni- quement les regles de la logique, tous les théoremes. C. Les concepts fond amentaux doivent être : 1. Immédiatement compréhensibles et pour cette raison indéfinissables. 2. Suffisants pour qu'on puisse définir à partir d 'eux, et selon les regles de la logique, tous les concepts dérivés. D. Les axiomes doivent être des énoncés nécessaires. (') Cf. Arpad SzABú ; A11Jã11ge des euklidischen Axiomensystems, Archive for history of exact sciences, vol. 1, n° 1, p. 72 et 104. (') Cf. Heinrich S'CHOLZ, Mathesis universa/is, Darmstadt, 196 1 p. 27 et suivantes. Égale- ment dans Biarte für Deutsche Phi/osophie, vol. 4, l 930/ 1931. Le livre de E. Beth The Founda- tions of Mathematics contient aussi une exccllcnte exposition dcs idées de Scholz. L' AGE DE LA SCIENCE L'ÉVOLUTION DE LA NOTION DE SYSTE:'v!E AXIOMATIQUE 209 Compte tenu de l'évolution ultérieure des systemi:s axiomatiques, nous analyserons les points suivants du schéma fondamental de Scholz. 1) L'exigence d'homogénéité ontologique : toute science possede une réfé- rence ontologique univoque. Bien qu'Aristote n'ignore pas l'importance d'une pensée théorique qui opere avec des formes vides de contenu ontologique, il assigne à cette derniere un rôle secondaire (1). Ce n'est pas par hasard que la fameuse µs-rá ~cx.crtc; sic; 11ÀÀo yÉvoç serait, selon le Stagirite, une des erreurs typiques dans la constitution d 'une science. D'un point de vue syntaxique et en utilisant une terminologie moderne, l'exigence d'homogénéité ontologique a pour conséquence que les axiomes et lcs théorémes, pour Aristote, ne peuvent contenir, en dehors des mots spécifiquement logiques, que des constantes, au travers desquelles se réalise la dite homogénéité ontologique. Par exemple, dans l'énoncé de géométrie élémentaire « Si a est entre b et e, alors a est entre e et b », Ie seu! mot extralogique est la constante « être entre », qui spécifie à elle seule la référence ontologique à !'espace. De cet énoncé, nous pouvons passer à une fonction propositionncllê sans aucune référence ontologique, en remplaçant cette constante par une variable : Si « aRb et e alors aRc et b ». C'est également pour cette raison que les axiomes peuvent être vrais ou faux; cela n'arriverait pas si, à la place des constantes extralogiques, il y avait des variables. Mais Aristote ne se résigne pas à l'idée que les axiomes pourraient avoir une valeur de vérité déterminée : au moyen de 2) l'exigence d'éi·idence et de nécessité, il postule que cette vérité serait accessible d' une manicre spéciale. L'évidence de la vérité des axiomes dérivc, selon Aristote, directemcnt de l'intellection des concepts qui les composent (~ -:-ouc; Õpovç yvwplÇoµe:v) ce qui constitue, dit Scholz le précédent historique essentiel de ce que l'on appelle evidentia ex terminis. Ajoutons que, selon cette conception aristotéli- cienne, lcs axiomes deviennent des vérités analytiques, puisqu'en accord avec l'acception moderne de ce mot les énoncés analytiques sont ceux dont la vérité se déduit de la vérité des concepts qui les composent. Ce résultat, bien qu'un peu surprenant, s'integre três bien dans la conception aristotélicienne qui essaie d 'unir et non de séparer les évidences formelles et les évidenccs matérielles; leur séparation, au contraire, est une caractéristique de la pensée contem- pora.me Aristote arrive à cette exigence d 'évidence en partant de deux présupposés de base de sa philosophie : premiérement que la relation de déductibilité entre pré misse et conclusion ( ou des relations paralleles de définissabilité entre concepts) est absolue, et n'est pas, comme on la considere habituellement aujourd'hui, relative à un systeme théorique ou à un systéme de régles de déduction. Deuxiémement, la prémisse - et en général, une cause - d'une conclusion correctement inférée possede un plus haut degré d'évidence que cette (') Cf. Analy tica posteriora, I, 5. VOL. Ili, Nº 3 210 ANDRÉS R. RAGGIO derniere. De cette façon, à la hiérarchie absolue induite par la relation de déductibilité correspond une hiérarchie également absolue d'évidences. Enfin, Aristote précise davantage le statut logique des axiomes en exigeant qu 'ils soient nécessaires; il introduit de la sorte un concept modal, bien carac- téristique de toute sa philosophie, pour différencier les déductions correctes d'une science des déductions également correctes des arguments dialectiques. Les premieres, possédant des prémisses nécessaires, produisent également des conclusions nécessaires; dans les secondes au contraire, il n'y a pas de garantie de la nécessité des conclusions parce qu'elles partent de prémisses simplement hypothétiques. 3) Le caractere implicite de la logique sous-jacente est typique de la notion classico-aristotélicienne de systeme axiomatique. Aristote semble identifier parfois la notion générale de déductibilité logique avec celle de déductibilité syllogistique; d'autre part il nous parle simplement de ce qui suit des prémisses (h -rwv Ke:iµÉvwv), mais jamais le probleme n'est posé de définir la notion générale de déducribilité logique. Enfin un trait bien caractéristique de la pensée du Stagirite et qui, nous le verrons, a été l'aspect le plus solide desa conception est : 4) L'exigence de finitude. Aristote s'oppose volontairement aux théories de la science qui identifient les énoncés scientifiques aux énoncés démontrables. Cela n'est possible - si l'on exclut la circularité - qu'en admettant !'existence d'un regressus ad infinitum dans la série ascendante des prémisses. Mai~ Aristote est clair à ce sujet : « les énoncés dont la démonstration exige une infinité de prémisses ne sont pas démontrables; ils le sont seulement Iorsqu'un nombre fini des prémisses suffit » (Analytica posteriora, I, 24 p. 86 uploads/Philosophie/ raggio-1970-l-x27-e-volution-de-la-notion-de-syste-me-axiomatique2.pdf
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- Publié le Nov 24, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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