Groupe d’études « La philosophie au sens large » Animé par Pierre Macherey 11/0

Groupe d’études « La philosophie au sens large » Animé par Pierre Macherey 11/03/2009 Le Hegel husserliannisé d’Axel Honneth Réactualiser la philosophie hégélienne du droit La version originale du livre d’Axel Honneth, dont une traduction française réalisée par Franck Fischbach est parue en 2008 aux éditions La Découverte sous le titre Les pathologies de la liberté – Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, était intitulée, de manière fort énigmatique à première vue, Leiden an Ungestimmtheit (Leipzig, éd. Reclam, 2001), c’est-à-dire littéralement « Souffrir d’indétermination ». Nous aurons à nous demander en quoi le fait de « souffrir d’indétermination » représente ce que le traducteur français a choisi de rendre, sans doute avec l’accord de l’auteur, à l’aide de l’expression « pathologies de la liberté », dont la signification n’est guère plus manifeste, et, en tous cas, ne répond pas à l’attente que devrait en principe satisfaire un titre d’ouvrage, à savoir donner immédiatement accès à son contenu. La clarification indispensable apportée par la version française consiste en l’ajout de la précision «Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel », qui restitue effectivement la démarche suivie par Honneth dans les trois chapitres de son livre, « La Philosophie du droit du Hegel comme théorie de la justice » (1), « Le lien entre la théorie de la justice et le diagnostic d’époque » (2), « La doctrine de l’éthicité en tant que théorie normative de la modernité » (3), où il est procédé à une relecture suivie de l’ouvrage de Hegel paru en 1821, tout au début de sa période berlinoise, les Principes de la philosophie du droit, dans lesquels celui-ci avait systématisé sa philosophie politique, en développant les thèmes qu’il avait préalablement abordés dans la troisième partie, intitulée « L’esprit objectif », de son Encyclopédie des sciences philosophiques, ouvrage publié en 1817 à Heidelberg en vue de servir de manuel pour son enseignement universitaire de la philosophie. Ce livre, les Principes, issu de ses cours, est la dernière publication de Hegel, qui y a concentré, dans une perspective didactique, l’essentiel de ses réflexions sur le monde humain et son histoire : c’est en en étudiant, en 1843, la plume à la main, tout un pan de la troisième partie de la troisième partie, consacrée à l’Etat, que Marx, dans un manuscrit rédigé à Kreuznach avant son départ pour Paris où il a ensuite séjourné jusqu’en 1845, a accompli l’un des pas décisifs qui l’ont conduit à élaborer son « matérialisme historique », dont sa confrontation critique avec la pensée hégélienne a ainsi constitué une source essentielle. C’est dire qu’une relecture des Principes de la philosophie du droit ne peut être une entreprise neutre, intemporelle, uniquement soumise à des critères académiques d’exactitude, ce que traduit, de la part de Honneth, l’intention d’en « réactualiser » le contenu, qui laisse entendre que l’entreprise consistant à prendre connaissance de celui-ci en l’état est aujourd’hui privée de sens, ou tout au moins n’est pas totalement satisfaisante. Que veut dire au juste « réactualiser » un contenu doctrinal ? Le verbe « réactualiser », qui fait sens sans problème bien qu’il ne figure pas dans le dictionnaire, présente un caractère redondant : il dit en fait la même chose qu’« actualiser », le préfixe « ré- » n’ayant d’autre fonction que de souligner la nécessité de revenir (re-venir) encore une fois sur un texte dont l’importance théorique est reconnue, pour porter sur lui un regard différent, qui en éclaire la portée d’une lumière nouvelle. Porter un regard neuf sur un texte, cela peut vouloir dire deux choses. Soit on suppose que le texte en question n’a pas encore livré tous ses secrets, d’où il résulte qu’il reste quelque chose à lire en lui qui n’a pas été jusqu’ici aperçu, du moins de façon suffisamment claire : il s’agit alors, si on peut dire, de l’actualiser de l’intérieur de lui- même, en le forçant à rendre un ensemble de significations qu’il recélait dès l’origine mais qui attendent toujours d’être portées au grand jour. Soit on suppose que le texte, tel qu’il se présente littéralement, ne se suffit pas ou ne se suffit plus à lui-même, ce qui devient manifeste lorsqu’on le confronte à des enjeux « actuels » en ce sens qu’ils appartiennent à une autre actualité que celle de sa composition : alors, il apparaît que, loin de présenter l’apparence homogène à laquelle il pouvait prétendre au départ, il est traversé par un clivage entre ce qui, en lui, est devenu périmé et ce qui présente encore un intérêt au présent, et justifie l’effort en vue de le relire, sous condition que soit effectué le tri entre ce que Croce, à propos de Hegel justement, avait appelé « ce qui est vivant » et « ce qui est mort », entendons ce qui, pour nous aujourd’hui, constitue l’essentiel et ce qui, le temps de l’histoire ayant passé, est indigne d’être conservé. C’est manifestement la seconde option qui est celle de Honneth : il considère qu’il y a, dans les Principes de la philosophie du droit, des choses qui ont cessé d’être acceptables ou ne tiennent plus la route, comme par exemple la conception de la famille parentale bourgeoise, ou la défense de l’ordre des guildes médiévales présenté comme solution aux problèmes de la « société civile », ou la sacralisation de l’Etat bureaucratique sur le modèle prussien, des thèmes qui ont aujourd’hui perdu leur crédibilité, ce qui rendrait les analyses menées par Hegel définitivement obsolètes s’il n’y avait pas aussi dans ces analyses autre chose qui, lui, mérite d’être sauvé, sous condition d’être extrait du contexte initial à l’intérieur duquel il a été avancé. Mais, cet « autre chose », qui permet de restituer à la démarche de Hegel une actualité, quel est-il ? et même existe-t-il ? Ne faut-il pas, une fois reconnu le caractère historiquement dépassé des références objectives sur lesquelles s’appuie la philosophie hégélienne du droit, tout simplement la laisser tomber dans l’oubli et se tourner d’un autre côté pour chercher les bases d’une philosophie du droit valable pour aujourd’hui ? Au début de son livre, Honneth part d’un constat qui va dans ce sens, lorsqu’il remarque que « la philosophie du droit de Hegel est demeurée jusqu’ici sans aucune influence sur les débats contemporains en philosophie politique » (p. 21), affirmation justifiée par le fait que son livre s’appuie du début à la fin sur des recherches menées en langue anglaise et allemande, à l’exclusion de toute autre référence, ce qui suggère que ces recherches représenteraient à elles seules « les débats contemporains en philosophie politique », ce qui ne peut manquer de surprendre un lecteur français. C’est un fait que, à l’exception notable des livres de Charles Taylor (Hegel, 1978, et Hegel and Modern Society, 1979), mentionnés en note par Honneth p. 22, Hegel est tout simplement sorti du champ de regard de la plupart des philosophes importants de l’univers culturel anglo-saxon et germanique, qui ne lui consacre plus, dans une perspective antiquaire, qu’un intérêt académique, et où il a été supplanté par d’autres références, la principale étant la Théorie de la justice de John Rawls (Harvard University Press, 1971), considérée comme authentiquement fondatrice pour une réflexion sur les problèmes de la démocratie moderne, des problèmes que la tradition hégélienne auraient complètement ignorés et sur lesquels elle n’a en conséquence rien d’intéressant à dire. A cet égard, Honneth adopte une position différente : refusant de traiter Hegel « en chien crevé », pour reprendre la formule que Marx avait utilisée en vue de caractériser la situation du hégélianisme après 1850, il considère que, quoi qu’en dise un certain air du temps, la philosophie hégélienne, sous condition de sa « réactualisation », garde quelque chose à dire, et à nous dire à nous, à propos même de problèmes qui n’étaient pas réellement les siens, ou dont elle a sous-estimé l’importance, comme ceux de la démocratie, ce qui justifie qu’on y revienne à nouveau, en vue de forcer sa philosophie du droit à exprimer ce qu’elle était retenue de dire spontanément, et qui, aujourd’hui encore, peut servir pour penser ces problèmes, alors même que, semble-t-il, étant de son propre aveu dans l’incapacité de « sauter par-dessus son temps », elle n’était pas du tout en mesure, d’elle-même, de les penser, du moins directement. En conséquence, la « réactualisation » du texte hégélien à laquelle procède Honneth, considérée sous cet angle, ne consiste pas seulement à scinder ce qui en lui est vivant et ce qui est mort, de manière à extraire ce qui peut aujourd’hui retenir encore notre attention, opération d’épuration négative dans son principe. Mais, ce qui va dans un tout autre sens, elle doit se préoccuper, non de soustraire de ce texte ce qui ne peut plus nous convenir, mais plutôt de lui ajouter quelque chose que, de fait il ne contenait pas, du moins en propres termes, mais qui, néanmoins, injecté à son organisation spéculative, lui restitue un supplément de sens, ce qui est uploads/Philosophie/ honneth.pdf

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