INTENSION OU EXTENSION ? (SUR LE STATUT DU CONCEPT CHEZ FREGE) Dominique Pradel
INTENSION OU EXTENSION ? (SUR LE STATUT DU CONCEPT CHEZ FREGE) Dominique Pradelle Éditions de Minuit | « Philosophie » 2004/4 n° 83 | pages 28 à 58 ISSN 0294-1805 ISBN 9782707318879 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-philosophie-2004-4-page-28.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de Minuit. © Éditions de Minuit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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On peut dire : le concept et l’objet – c’est le prédicat et le sujet. » Wittgenstein, Grammaire philosophique La réflexion logique et philosophique de Frege réactive une question héritée de la critique aristotélicienne de la doctrine platonicienne et transmise via la querelle des universaux : celle de la nature du concept. Un concept possède-t-il le statut d’objet, est-il caractérisé par une sub- sistance idéale – omnitemporelle, intersubjective et indépendante de la relation à des objets individuels – ou au contraire par une adhérence au domaine des objets singuliers ? Doit-on le comprendre en un sens extensionnel et l’identifier à la classe des objets vérifiant certaines pro- priétés caractéristiques, ou en un sens intensionnel et l’assimiler à l’ensemble des caractères conceptuels correspondant aux propriétés des objets qu’il subsume ? Les considérations logiques de Frege suffisent- elles à imposer une décision ontologique quant à l’essence du concept et à trancher entre points de vue extensionnel et intensionnel –, ou une telle décision relève-t-elle à d’une instance autre que la technique logi- que ? Par-delà la question de la nature du concept, c’est le rapport entre logique et ontologie qui est en jeu : les exigences propres à la constitution d’une logique dominée par l’assimilation des concepts à des fonctions de type mathématique et par l’exigence que soit toujours décidée la question de savoir si un concept subsume ou non un objet –, ces exi- gences suffisent-elles à imposer la thèse ontologique de la nature exten- sionnelle des concepts ? Plusieurs déclarations de Frege semblent trancher clairement en faveur de la conception extensionnelle, selon laquelle l’identité d’un concept est donnée avec la classe des objets qu’il subsume. Ainsi peut-on lire dans l’écrit posthume intitulé « Précisions sur “Sens et signification” » : « je rappelle un fait qui semble parler nettement en faveur des logiciens de l’extension, par opposition à ceux du contenu, à savoir que, sans pré- judice pour la vérité, dans toute phrase, des termes conceptuels peuvent se substituer l’un à l’autre s’il leur correspond la même extension de concept, que, par conséquent, également pour ce qui concerne l’inférence 28 © Éditions de Minuit | Téléchargé le 08/04/2021 sur www.cairn.info par Mohamed Chibouch via Université Paris 8 (IP: 77.207.17.46) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 08/04/2021 sur www.cairn.info par Mohamed Chibouch via Université Paris 8 (IP: 77.207.17.46) et pour les lois logiques, les concepts ne se comportent de façon différente que pour autant que leurs extensions sont différentes. » 1 Frege réactive ici l’idée leibnizienne d’équivalence logique comme substituabilité salva veritate : le fait de pouvoir, sans que cela altère la valeur de vérité, substituer l’un à l’autre des termes conceptuels dénotant des concepts de même extension, prouve que le comportement d’un concept au regard des lois logiques n’est relatif qu’à sa seule extension. Or, la logique étant la connaissance des lois idéales de l’être-vrai, le statut logique des concepts ne peut dépendre que de ce qui détermine la valeur de vérité des propositions, de sorte que l’identité d’un concept est déterminée par sa seule extension et assimilable à cette dernière. Le second argument tient au rejet par Frege de la distinction tradi- tionnelle entre sujet et prédicat et à son remplacement par les notions de fonction et d’argument. Ainsi lit-on, dans un passage où Frege pré- sente l’exigence de dégager le noyau de signification logique de sa gan- gue linguistique ou grammaticale, les déclarations lapidaires : « les catégories grammaticales de sujet et de prédicat ne peuvent avoir aucune signification pour la logique. » « nos livres de logique continuent à traîner plus d’une chose – sujet et prédicat, par exemple – qui n’a, à strictement parler, rien à voir avec la logique. » 2 1. [Ausführungen über « Sinn und Bedeutung »] in NS, p. 128 (trad. fr. par J. Bou- veresse in EP, p. 139). J. Bouveresse commente en note : « Frege se prononce donc ici pour la conception extensionnelle de la logique. » Cf. P. de Rouilhan, Frege. Les paradoxes de la représentation, Paris, Minuit, 1988, pp. 52 et 56. Abréviations et références : – BS : Begriffschrift, in Begriffschrift und andere Aufsätze, Hildesheim, Olms, 1964, trad. fr. par C. Besson, Paris, Vrin, 1999. – GA : Grundlagen der Arithmetik, Breslau, 1884, trad. fr. par Cl. Imbert, Les fonde- ments de l’arithmétique, Paris, Le Seuil, 1969. – « FuB », « SuB », « BuG » : « Funktion und Begriff », « Über Sinn und Bedeutung », « Über Begriff und Gegenstand » in Funktion, Begriff, Bedeutung, Göttingen, Vanden- hoeck & Ruprecht, 1994, trad. fr. par Cl. Imbert in Ecrits logiques et philosophiques, Paris, Le Seuil, 1971 (abr. ELP). – LU : Logische Untersuchungen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1993, conte- nant « Der Gedanke », trad. fr. par Cl. Imbert in Ecrits..., et « Kritische Beleuchtung über einige Punkte in E. Schröders Vorlesungen über die Algebra der Logik » [Elucidation critique de quelques points des leçons d’E. Schröder sur l’algèbre de la logique] (abr. « Kritische Beleuchtung... »). – NS : Nachgelassene Schriften, Hamburg, Meiner, 1969, trad. fr. sous la dir. de Ph. de Rouilhan et Cl. Tiercelin, Ecrits posthumes, Nîmes, J. Chambon, 1994 (abr. EP). – GFB : Gottlob Freges Briefwechsel mit D. Hilbert, E. Husserl, B. Russell, sowie ausgewählte Einzelbriefe Freges, Hamburg, Meiner, 1980, trad. fr. des lettres à Hilbert par J. Dubucs in Rivenc-de Rouilhan éd., Logique et fondements des mathématiques, Paris, Payot, 1992, trad. des lettres à Frege par G. Granel in Frege-Husserl, Correspondance, Grenoble, T.E.R., 1987, trad. des lettres à Russell par C. Webern in Frege-Russell, Cor- respondance, Paris, E.P.E.L., 1994 et partiellement par J. Mosconi in Logique..., p. 240 sq. 2. « Logik » in NS, pp. 153 et 154 (trad. fr. par J. Dubucs in EP, p. 166 et 168). 29 INTENSION OU EXTENSION ? (SUR LE STATUT DU CONCEPT CHEZ FREGE) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 08/04/2021 sur www.cairn.info par Mohamed Chibouch via Université Paris 8 (IP: 77.207.17.46) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 08/04/2021 sur www.cairn.info par Mohamed Chibouch via Université Paris 8 (IP: 77.207.17.46) Le souci de Frege est ici d’affranchir la logique du parallélisme logico- grammatical, et de dégager les éléments logiques idéaux de la pensée sans les calquer sur le modèle des structures grammaticales de la langue. Ainsi, une pensée complète n’est pas la synthèse d’un sujet et d’un prédicat médiatisée par la copule « est » – de la forme « S est P », où sujet et prédicat sont des entités closes sur soi et où la copule assure leur liaison –, mais l’attribution d’une valeur à l’argument d’une fonction ou l’énonciation qu’un objet tombe sous un concept – de la forme f(x), où la saturation de l’entité x et l’insaturation de l’entité f( ) permet leur enchaînement immédiat sans recours à une copule médiatrice ou une fonction synthétique. De cette insaturation logique du concept, on peut tirer un argument apparemment décisif contre la position intension- nelle : par son insaturation, le concept ne possède pas de subsistance indépendante (selbständiges Bestehen 3), mais n’a de sens qu’au sein d’une pensée complète affirmant ou niant que des objets tombent sous lui ; ce n’est que par sa relation avec des objets subsumés sous lui que le concept possède sa délimitation stricte, et son identité se définirait donc par son extension, et non par un ensemble de caractères concep- tuels dénués de subsistance autonome. Cependant, d’autres déclarations de Frege suggèrent à l’inverse une interprétation intensionnelle des concepts. Lisons la suivante : « A la lecture de ces développements, on finit peut-être par avoir l’impression uploads/Philosophie/ intension-et-extension-chez-frege.pdf
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- Publié le Jan 07, 2022
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