Krishnamurti La première et dernière liberté Traduction de Carlo Suares Préface

Krishnamurti La première et dernière liberté Traduction de Carlo Suares Préface de Aldous Huxley STOCK+ PLUS L'introspection, qui n'est qu'une expansion du moi dans son désir de s'améliorer, ne peut jamais conduire à la vérité, parce que c'est un processus qui se referme sur lui-même, tandis que la lucidité est un état en lequel peut entrer en existence, la vérité de ce qui " est ", la simple vérité de la vie quotidienne. Ce n'est qu'en comprenant la vérité de la vie quoti­ dienne que l'on peut aller loin. La plupart d'entre nous veulent faire un saut, commencer au loin sans se rendre compte de ce qui est tout près d'eux. Mais sitôt que nous comprenons l'immédiat, nous voyons que la distance à franchir n'existe pas. Il n ’y a pas de dis­ tance; le commencement et la fin sont un Nous voulons tous être quelque chose, le petit per­ sonnage veut devenir important, le vicieux vertueux, le faible rêve de puissance et d'autorité . . Être, c'est être en relation : il n'y a pas de vie isolée. Ce sont les relations dont la base est erronée qui pro­ voquent les conflits, les malheurs, les luttes Qu'entendons-nous par relation ? Une provocation et une réponse réciproque entre deux personnes, entre vous et moi; c'est la provocation que vous me lancez et que j'accepte, ou à laquelle je réagis; et c'est aussi la provocation qui va de moi à vous Une relation authentique suppose une communion sans peur, une liberté de se comprendre l'un l'autre, de communier directement . . . La guerre est la projection spectaculaire et sanglante de notre vie quotidienne. Elle n'est que l'expression de notre état intérieur, un élargissement de nos actions habituelles. Le inonde intérieur finit toujours par dominer l'extérieur. Tant que l'esprit est à la recherche de sa satis­ faction, il n'y a pas une grande différence entre la boisson et Dieu Nous adhérons à un groupe, nous nous conformons à tout ce que l ’on nous demande de faire, puis nous allons ailleurs essayer autre chose. Si nous faisons fail­ lite chez un psychologue, nous allons en consulter un autre, ou un prêtre; si nous ne réussissons pas là non plus, nous allons chez un sage, et ainsi de suite; nous sommes tout le temps en mouvement Ce processus est lassant, n'est-ce pas? Comme toutes les sensations, il émousse l'esprit . . Nous avons passé de sensation en sensation, d'une excitation à l'autre, jusqu'au point où nous nous sommes sentis réellement épuisés. Vous rendant compte de cela, n'allez pas plus loin, reposez-vous. Res­ tez tranquille Je ne vous demande absolument rien, ni votre dévo­ tion, ni vos flatteries, ni vos injures, ni vos dieux. Je dis : " Voici un fait, prenez-le ou laissez-le. " Et la plu­ part d'entre vous le rejetteront, pour la raison évi­ dente qu'il ne vous apporte aucune délectation . . Partout où existe un désir de se protéger, la peur surgit Je veux vivre de façon à ne pas être dérangé et je cherche le moyen d'y parvenir. Mais pourquoi ne devrais-je pas me laisser déranger? Au contraire, il faut que je sois troublé si je veux me comprendre. Il faut que je passe par des bouleversements et des . angoisses terribles pour me découvrir. Si rien ne me secoue, je continuerai à dormir et c'est peut-être ce que veulent la plupart d’entre nous; ils cherchent l'apaisement, le repos, la sécurité, l'isolement, la réclu­ sion loin des grands conflits. Pourquoi cet extraordinaire intérêt pour les affaires d'autrui? C'est une forme d'agitation, n'est-ce pas? C'est le signe d'un esprit tourmenté. Pourquoi se mêler de ce que font les autres ou de ce qu'ils disent ? L'esprit qui potine est bien superficiel; sa curiosité est mal dirigée. Quelle que soit la chose que je veux comprendre, je dois l'observer, et non pas la critiquer ou la condam­ ner, ou la poursuivre en tant que plaisir ou l'éviter si elle est déplaisante Si votre entant vous intéresse, comment vous y pre­ nez-vous pour le comprendre ? Vous l'observez. Vous l'étudiez dans ses variations d'humeur. Vous ne proje­ tez pas votre opinion sur lui; vous ne dites pas qu'il devrait être ceci ou cela; vous êtes dans un état de per­ ception aiguë et active. Alors, peut-être, commencez- vous à le comprendre. Mais si vous ne cessez de le cri­ tiquer, lui insufflant votre personnalité, vos particula­ rités, vos opinions, décidant ce que l'enfant devrait être ou ne pas être, etc., vous dressez une barrière dans cette relation. Et, malheureusement, la plupart d'entre nous critiquent les gens avec le désir d'inter­ venir dans leurs affaires. “ Façonner " nos relations avec notre famille, nos amis, etc. nous donne un cer­ tain plaisir, un sentiment de puissance et de supério­ rité d'où nous tirons un grand contentement. Ce pro­ cessus ne comporte évidemment aucune compréhen­ sion de nos relations, mais plutôt le désir de nous imposer, d'imposer notre personnalité et nos idées particulières . . En fait, votre croyance n'a que très peu de valeur, parce que vous croyez et exploitez, vous croyez et tuez, vous croyez en un Dieu universel et vous vous assassi­ nez les uns les autres. Le riche, lui aussi, croit en Dieu; il exploite cruellement, accumule de l'argent et bâtit ensuite un temple ou devient un philanthrope. La mémoire des faits, des choses techniques est une nécessité bien évidente. Mais la mémoire en tant que " rétention " psychologique est nuisible à la compré­ hension de la vie, à la communion avec nos sem­ blables. Lorsque l'esprit superficiel et conscient perçoit ses activités, il devient, grâce à cette compréhension, spontanément tranquille; (...) il est alors à même de recevoir les émissions, les suggestions de l'inconscient, des très nombreuses couches de l'esprit telles que les instincts raciaux, les souvenirs enfouis, les poursuites cachées, les profondes blessures non encore cicatri­ sées. Ce n 'est que lorsque toutes ces zones se sont proje­ tées et ont été comprises, lorsque la conscience tout entière se trouve déchargée, lorsqu'il ne reste plus une seule blessure, plus une seule mémoire pour l'enchaî­ ner, que l'éternel peut être reçu. L'homme pleinement conscient est en état de médi­ tation, il ne prie pas parce qu’il ne désire rien. Nous distinguons le conscient et l'inconscient. Est-ce réel ? Cette division existe-t-elle ? Y a-t-il une barrière, une ligne où l'une commence et l'autre finit ? En fait il n'y a qu'un état, et non deux, l'inconscient et le conscient. Il n'y a qu'un état d'être, lequel est conscience. Je dis qu'il est parfaitement possible à l'esprit d'être libre de tout conditionnement. (...) Lorsque je dis que c ’est possible, je le dis parce que pour moi c'est un fait... En somme, l'amour physique est la dernière éva­ sion. (...) C'est la voie vers le complet oubli de soi. (...) Vos affaires, vos religions, vos dieux, vos chefs, vos théories politiques et économiques, vos évasions, vos activités sociales, vos adhésions à des partis, tout ce que vous faites renforce le moi. Et comme il n'y a qu'un acte qui ne mette pas l'accent sur le moi, il devient un problème car vous vous accrochez à cette voie de l'ultime évasion. Est-il possible, pendant que l'on vit, de mourir, c'est- à-dire de parvenir à sa fin, de n'être rien du tout. Être neuf, c'est être créatif, être créatif c'est être heureux. L'homme heureux se soucie peu d'être riche ou pauvre, d'appartenir à telle classe sociale, à telle caste ou tel pays. Il n'a ni chefs, ni dieux, ni temples, ni églises, donc pas de querelles, pas d'inimitiés. Et dans cet état d'esprit est certainement ce qu'il y a de plus efficace pour résoudre nos difficultés dans le chaos mondial actuel. Il se pourrait que ce que vous cherchez n'existe pas. La vérité pourrait n'avoir aucun rapport avec tout ce que vous poursuivez et je pense en effet qu'elle est entièrement différente de tout ce que l'on peut voir, concevoir et formuler La vérité doit venir, je ne peux pas la poursuivre, car ce que je peux poursuivre n'est jamais que le connu, projeté par moi . . Notre problème n'est pas de savoir ce qui nous pousse à trouver l'inconnu, car il est assez évident que ce qui nous pousse est notre désir d'être plus en sécurité, plus permanent, plus établi, plus heureux, de fuir le désordre, la souffrance, la confusion. Ceux qui subissent cette impulsion peuvent voir qu'elle offre une évasion et un refuge merveilleux - dans le Boud­ dha ou le Christ, dans quelque slogan politique ou ail­ leurs. Mais tout cela n'est pas la réalité, l'inconnais­ sable, l'inconnu. Cette impulsion pour l'inconnu doit cesser, et l'on doit au contraire se mettre à comprendre le connu cumulatif qui est l'esprit. (...) On ne peut pas “penser " à ce que l'on ne connaît pas, on ne pense qu'à ce que l'on connaît Échapper à cette peur, à cette peur du vide, de la solitude, de la uploads/Philosophie/ krishnamurti-1953-la-premiere-et-derniere-liberte.pdf

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