Au delà des Sagesses d’Orient et d’Oecident Krishnamurti et la Synthèse de l’Av

Au delà des Sagesses d’Orient et d’Oecident Krishnamurti et la Synthèse de l’Avenir Conférence prononcée à Paris, pour l’Association France-Inde, le 26 mars 1955. par André N IEL. I. - ORIENT ET OCCIDENT Le grand indianiste Heinrich Zimmer affirme, au début de son livre sur Les Philosophies de l’Inde (1), que nous autres Occidentaux, arrivons aujourd’hui seulement au carrefour spi­ rituel que les penseurs de l’Inde ont atteint quelque sept cents ans avant notre ère. Ce n’est qu’aujourd’hui, en effet, que se pose pour nous le problème de nos rapports concrets avec l’In­ fini, l’Absolu, l’Eternel. Nous commençons de nous apercevoir que la question fondamentale de nos rapports concrets avec l’Infini conditionne toutes les autres graves questions qui nous préoccupent. Problèmes intérieurs et sociaux, moraux et écono­ miques, métaphysiques et politiques, se révèlent peu à peu com­ me les divers aspects d’un problème central unique : le problè­ me des rapports concrets de chacun de nous avec la Réalité sans limites, la Totalité, l’Infini. Les philosophes existentialistes insistent sur le fait que l’homme est, avant tout, une « existence- dans-le-monde ». Ils ont raison de ne pas séparer l’homme et le monde. Mais ils oublient de préciser que le monde dont nous faisons partie est lui-même un monde-dans-l’infini. De sorte qu’essentiellement chacun de nous est un être-au-monde-dans- l’infini. A cette situation, nul ne saurait échapper. C’est ce qui ex­ plique que l’Occident se soit efforcé, lui aussi, à résoudre la -------- l---------------- r {i) «Paris, Payot 1953; p. 9. J. Krishnamurti, KRISHNAMURTI ET LA SYNTHÈSE DE L’A VENIR 19 question des rapports de l’homme avec l’Infini. Malheureuse­ ment, cette solution, il l’a toujours cherchée sur le plan des idées a priori, des idées toutes faites — mythes, préjugés, croyan­ ces — autrem ent dit, sans tenir compte de la nature réelle de cet Infini avec lequel nous avons, en fin de compte, à établir sur le plan concret de la vie des rapports norm aux et harmonieux. Nos religions, nos philosophies ont été en général des tentatives — souvent brillantes — pour lancer le pont d’une intuition compréhensive entre l’homme et la Réalité, l’homme et la Vérité. Mais ces tentatives ont échoué, parce qu’elles avai­ ent pour ressort non pas la saine curiosité, ni la saine volonté de vivre, mais seulement de vagues mobiles sentimentaux, in­ téressés, subjectifs. Jamais nous n’avions encore accepté de considérer l’Infini, l’Absolu, comme un Etre réel, concret, in­ dépendant de nos désirs, de nos peurs, de nos requêtes. C’était pourtant par là qu’il eût fallu commencer : reconnaître, dans son caractère objectif, la réalité de l’Absolu. Mais nous avons préféré lui donner tout de suite un nom, une forme, une cou­ leur : évidemment ceux de nos préférences, de nos intérêts, de nos partis-pris ! Aussi n’avons-nous jam ais prêté le nom d’Ab- solu, d’infini, d’Eternel, qu’à une réalité sans consistance : celle de nos rêves. Or, qu’est-ce qui se passe quand on cherche à entrer en rapports avec un être imaginaire ? Aucun rapport n’a lieu, aucun échange ne se produit. Quelle sorte de rapports nos religions nous ont-elles permis d’établir avec l’Infini, l’Eternel ? Les rapports imaginaires qui unissent l’inférieur à son supérieur : rapports de frayeur, échan­ ges de menaces et de sacrifices, rapports de bourreau à victime. Mais comment le sentiment de mon rapport à l’Infini n’influe­ rait-il pas sur la nature de mes rapports avec mon semblable ? En définitive, l’individu n’est-il pas, pour un autre individu, le symbole même de l’insondable, de l’illim ité ? Il n’est pas possible qu’un homme ait des rapports satisfaisants avec son prochain s’il n’en a pas d’harmonieux avec l’Absolu. Cette der­ nière carence est la cause des guerres. On ne peut pas plus pré­ tendre que de vrais échanges unissent les hommes dans la guerre, qu’on ne peut parler de vrais rapports entre l’homme et l’Infini au sein de nos religions. Mêmes réserves à faire à l’égard de ce que nous appelons « am our ». On vient d’assister à la publication de deux énor­ mes volumes : l’un sur Le comportement sexuel de l’Homme, et l’autre sur Le comportement sexuel de la Femme (2). Ces deux gros ouvrages sont significatifs de l’isolement moral des deux sexes. Les rapports sont, ici, ceux qui existent entre l’in­ dividu et une sorte d’éblouissement physique, qu’incessamment on cherche à atteindre, à posséder, mais ce ne sont pas des rap­ ports librement créateurs entre personnes humaines. D’où la (î) Les Fameux rapports d a D r. Kinsey. 2 0 SYNTHÈSES tension qui domine ces échanges, les soucis et les reproches d ’incompréhension, de jalousie et d’infidélité. Quant à notre art moderne, qu’est-ce qui en caractérise les excès, sinon la prétention de l’artiste à nous relier aux pro­ fondeurs du monde sensible par le seul truchement de signes mystérieux, d’indications purement subjectives ? Mais par la voie de ce langage hermétique ne s’épanche aucune émotion véritable. L’œuvre d’art à caractère authentique résulte d’une synthèse d’images, ou de paroles, animée par la flamme de compréhension dont l’artiste a éclairé lui-même certains objets ou certains êtres réels appartenant au monde réel. Il n’y a rien de valable, en art, en science, comme dans les sentiments hu­ mains, que ce qui perm et à l’activité positivement réform atrice et organisatrice de l’individu — matérielle ou spirituelle — d ’avancer dans le champ infini et indéfiniment multiple de l’existence concrète. Si ce progrès est possible, c’est qu’au départ l’individu a été mis sur la route profonde qui délivre en action, dans le Tout, l’intuition humaine compréhensive de l’harmo­ nie essentielle de ce Tout. Or, on peut bien dire qu’aucune Métaphysique, aucune Morale, aucune Politique, n’avaient encore jam ais abouti, en Occident, à une telle œuvre de plénitude. Aujourd’hui cepen­ dant, nous nous avisons dans ces domaines de l’existence du Total, ou de l’Infini, en tant qu’objet réel; c’est pourquoi une transformation et un progrès vont, sans doute, devenir possibles. ★ * ★ Il est vrai que l’Inde, au contraire de l’Occident, a enlrevu très tôt — dès le Vllème siècle avant J.C. — le caractère con­ cret de l’Absolu, de l’Infini. C’est dans les Oupanishads que, pour la prem ière fois dans l’histoire spirituelle de l’humanité, la notion de sacrifice, en tant que moyen de satisfaire à des dieux plus ou moins cruels et égoïstes, est dépassée. Le sacrifice est une méthode primitive par laquelle l’humanité inévoluée a longtemps essayé d’entrer en rapports avec des dieux imaginés sur le modèle de chefs intéressés et cruels. A cette ancienne conception, les Oupanishads tendent à substituer l’usage de la connaissance. Seule, pour eux, la connaissance est capable de nous relier à l’Absolu, qu’ils appellent indifféremm ent âtman ou brahman. L ’âtman est l’Etre dans son aspect intérieur, ou psychologique. Le brahman est l’Etre dans son aspect extérieur, ou objectif : le monde, la nature, l’univers. L’absolu principe des choses est ici défini, pour la prem iè­ re fois, comme une Réalité concrète, indépendante de toute per­ sonnification, de toute symbolisation, détachée de toute croyan­ ce a priori concernant sa nature, son origine, sa fin. De plus, le problèm e des rapports de l’homme avec cet infini est claire­ KaiSHNAMURTI ET LA SYNTHÈSE DE l’ a VENIF 21 m ent posé : il n’y a pour l’homme ni équilibre ni bonheur en dehors de son harmonisation à cet Absolu. Or, cette harm oni­ sation ne peut être obtenue que par la voie de connaissance : la découverte de son vrai rapport à l’Absolu libère l’homme, simultanément, du souci de la mort et de l’angoisse du bien et du mal. Nous ne voulons pas dire que, de ce problème, tel qu’il a été posé par elle une fois pour toutes, l’Inde ait trouvé la ré­ ponse définitive. Nous reviendrons tout à l’heure à cette ques­ tion. Mais ce qui est certain, c’est que le fait d’avoir posé ainsi tout de suite le vrai problème a influencé considérablement la culture indienne. D’une part, il n’était plus possible que l’adoration d’un certain nom ou symbole privilégié vînt, pour ainsi dire, bloquer la conscience dans des Religions ou des Philosophies exclusives. L ’Absolu étant reconnu dans sa réalité concrète, c’est ce carac­ tère concret qui, avant tout, émeut, et tend par là à unir les hommes dans une même curiosité, une même recherche de connaissance. A la réalité même de l’Infini est attribué un intérêt sans commune mesure avec les représentations hâtives que l’on peut s’en former. D’autre part, une telle conception, pour ainsi dire ouverte de l’absolu, orientait l’homme vers une sagesse aussi profonde qu’active et dynam ique; véritable sagesse de l’infini scellant dans une action souple et vivante le rapport essentiel de fra­ ternité qui unit l’homme à l’Absolu. Sagesse sans âge, sans nom, sans dogmatisme. La sagesse la plus réaliste qui soit, parce qu’elle tend à opérer l’intégration parfaite de l’individu concret au cadre sans fin de l’existence. Enfin, de cette ambiance de réalisme spirituel a résulté pour l’Inde une culture rem arquablem ent homogène. La uploads/Philosophie/ krishnamurti-et-la-synthese-de-l-x27-avenir-par-andre-niel.pdf

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