Norman Ajari LA DIGNITÉ OU LA MORT Éthique et politique de la race 2019 Présent

Norman Ajari LA DIGNITÉ OU LA MORT Éthique et politique de la race 2019 Présentation Être africain ou afrodescendant, c’est provenir d’un peuple dont l’humanité fut contestée sur les plans juridique, scientifique, philosophique, théologique, économique, psychiatrique. On n’en continue pas moins à exiger des Afrodescendants qu’ils cessent de « ressasser », de « ruminer » l’histoire coloniale, répétant ainsi une vieille injonction esclavagiste à l’oubli des ancêtres et à la méconnaissance de la communauté d’origine. Pourquoi prendre la question sous l’angle de la dignité ? La dignité est ce que le Blanc essaie d’abolir lorsqu’il exerce sa violence sur le Noir. Mais c’est aussi ce dont le Blanc se prive lui-même lorsqu’il exerce sa violence sur le Noir. Enfin, c’est ce que le Noir réaffirme collectivement lorsqu’il s’engage contre la domination blanche. Lorsque la dignité d’un jeune Noir est prise d’assaut, lorsqu’il est violé ou assassiné par les représentants de l’État, c’est une longue histoire de luttes, de conquêtes et d’affirmation d’une humanité africaine qui vacille et tremble sur ses bases. La Dignité ou la Mort propose une implacable analyse critique de la tradition philosophique européenne. Mais c’est pour mieux renouer avec l’histoire méconnue de la pensée radicale des mondes noirs. Les révoltes d’esclaves, la négritude, les usages révolutionnaires du christianisme en Amérique du Nord et en Afrique du Sud, l’ontologie politique seront autant d’étapes d’un véritable parcours de libération. La dignité est la capacité de l’opprimé à tenir debout entre la vie et la mort. L ’auteur Norman Ajari est docteur en philosophie et chargé de cours à l’université Toulouse Jean-Jaurès. Il est également membre du bureau exécutif de la Fondation Frantz-Fanon. Collection Les empêcheurs de penser en rond Copyright © Éditions La Découverte, Paris, 2019. ISBN numérique : 978-2-35925-146-3 ISBN papier : 978-2-35925-134-0 Collection dirigée par Philippe Pignarre Composé par DV Arts Graphiques à La Rochelle En couverture : David Hammons, New York, 1999 © Chris Felver/Bridgeman Images En application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur. S’informer Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit de vous abonner gratuitement à notre lettre d’information par courriel, à partir de notre site www.editionsladecouverte.fr, où vous retrouverez l’ensemble de notre catalogue. Nous suivre sur À Josiane, pour le passé. À Nabila, pour le présent. À Assata, pour l’avenir. I looked at the moon, so full and so bright, And then at the fireplace, when its flickering light, And realized why this world will never be right Then I threw another log on the fire. THE WATTS PROPHETS, « What is a Man » (1970). Table Introduction Les deux sources de la pensée décoloniale La philosophie africana en contexte afro-français Une éthique de la dignité Première partie - Réincarner la dignité Chapitre 1 - Décoloniser la philosophie morale La dignitas prémoderne Pic de la Mirandole et la divinisation de l’homme européen Kant : dignité de fonction et fiction de la personne La désincarnation de l’éthique De l’étatisation de la dignité aux conflits éthiques Chapitre 2 - L ’indigne Écrire la vie indigne (une épistémologie) L ’horreur coloniale occultée (une mémoire) La production nécropolitique de l’indigne (une critique du pouvoir) L ’indigne au quotidien (une existence) Chapitre 3 - Notre dignité est plus vieille que nous La lutte dans la dignité Le noyau rationnel de la négritude Historicité profonde La part indéconstructible de nous-mêmes Deuxième partie - Caliban théologien politique Chapitre 4 - L ’universel par accident Un sécularisme constantinien Prospero théologien politique Politique du particulier Dignité et universel Chapitre 5 - Une théologie de la dignité noire en Amérique du Nord L ’âme du blues L ’Église de la révolte Afro-prophétisme L ’appel de la dignité Chapitre 6 - Ubuntu : philosophie, religion et communauté en Afrique noire Paulin Hountondji : une critique épistémologique de l’ethnophilosophie Fabien Eboussi Boulaga et l’herméneutique du Muntu Ubuntu et amour du prochain Un humanisme né du désastre Post-scriptum sur une Afrique du Sud irréconciliée Troisième partie - Formes-de-mort de l’Europe nécropole Chapitre 7 - Reconnaissance et dignité à l’ère de l’apartheid global Les vies jetables et leur recyclage Fixation L ’asymétrie de la reconnaissance La proposition de la souverainedignité Conclusion Ontologie politique et dignité noires Naître : l’ontologie politique noire La privation d’être Teintes de la dignité Dignité noire Remerciements Index Introduction Je me suis attaché dans cette étude à toucher la misère du Noir. Tactilement et affectivement. Je n’ai pas voulu être objectif. D’ailleurs, c’est faux : il ne m’a pas été possible d’être objectif. Frantz FANON, Peau noire, masques blancs (1952). Comme tout ce qui naît de la condition noire, ce livre est enfant de l’amour des miens et de la témérité du désespoir. Il porte témoignage de cette contradiction ; comme une oscillation, un clignotement, entre l’œil ubiquitaire de la négrophobie moderne et l’allégresse infinie de l’éclat de rire de ma fille. Jamais, sans doute, la philosophie n’agrippera par le concept l’intensité de cet écartèlement. Frantz Fanon, qui l’a remarquablement décrit dans Peaux noires, masques blancs, dut multiplier les métaphores : « Le Martiniquais est un crucifié. Le milieu qui l’a fait (mais qu’il n’a pas fait) l’a épouvantablement écartelé ; et ce milieu de culture, il l’entretient de son sang et de ses humeurs. Or le sang du nègre est un engrais estimé des connaisseurs1. » La Dignité ou la mort se propose comme un effort en direction d’une compréhension, peut-être impossible, de la dimension éthique de la mort et de la vie noires à l’époque moderne. Son projet est l’écho des débuts du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis ; du développement remarquable, en France, du militantisme contre les crimes policiers, en particulier, et la violence de l’État en général ; du bouillonnement d’un antiracisme politique décolonial radical ; du spectacle d’un traitement de plus en plus avilissant réservé par les États-nations européens aux exilés d’Afrique subsaharienne et du Moyen- Orient, contraints de fuir les conséquences de l’impérialisme ; de la détresse sociale à laquelle sont aujourd’hui abandonnés les prolétaires et sous-prolétaires noirs, asiatiques ou maghrébins du Nord global. S’il n’est pas une intervention directe dans la conjoncture dessinée par ces conflits, ce travail a été rendu nécessaire par son époque et par le diagnostic qu’elle impose : la condition noire actuelle est définie par l’indigne. La leçon de ce temps, c’est que les politiques des identités et des représentations qui ont été en vogue ces dernières décennies sont vouées à demeurer impuissantes face à ces périls. Qu’elles promeuvent l’assimilation aux sociétés occidentales ou la revalorisation africaine, les approches identitaires ont prospéré sur une même méconnaissance des questions de vie ou de mort qui font aujourd’hui brutalement retour. Ce livre fait l’hypothèse qu’il existe – transcendant le partage entre les Afriques et leurs diasporas – une condition noire et une histoire noire essentiellement modernes, définies par une surexposition structurelle à la violence sociale et politique, et par une constante invention contrainte de stratégies de survie. Sous la variété des cultures, les singularités nationales et l’illimitation des variations identitaires se dégage une relative unité, que je décrirai comme une sorte de contamination de la vie par la mort. Derrière ce retour à la si désuète « question noire » gît la conviction d’assister au crépuscule de la séquence théorique, caractérisée par un anti-essentialisme radical, ouverte par la philosophie française du second XXe siècle (cristallisée dans la trinité Derrida, Foucault, Deleuze) et approfondie, dans l’université globalisée, par une variété d’initiatives théoriques sous les labels de « poststructuralisme », « déconstruction » ou « postmodernité ». Ce livre naît de la certitude que ce moment intellectuel, auquel la pensée contemporaine doit tant, a rencontré sa limite dans l’urgence actuelle à repenser la finitude que la mort noire impose. En octobre 2016, Sébastien Chauvin, professeur de sociologie dans une université suisse, m’adressait un message dans lequel il subsumait les premiers éléments de la recherche qui allait donner lieu à ce livre sous une catégorie de son cru : celle d’« ontologie postconstructiviste2 ». Peut-être ne reprendrais-je pas ce terme à mon compte, tant le recours même au préfixe « post- » me semble intimement corrélé à la séquence intellectuelle dont je tâche de faire le deuil. Pour autant, la sagacité de cette formulation frappe et n’a cessé de me hanter. L ’idée d’ontologie postconstructiviste contient, in nuce, un diagnostic perspicace de l’état présent des sciences humaines. En Europe continentale en général et en France en particulier, les discours théoriques sur le racisme, les Noirs, la situation postcoloniale s’égarent inlassablement dans un dédale d’arguties redondantes, de surenchères quant au caractère socialement construit de la race, à sa qualité performative ou à son historicité révocable. Face au spectacle de corps mutilés, de cadavres flottants sur la Méditerranée comme uploads/Philosophie/ la-dignite-ou-la-mort-ajari-norman.pdf

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