NAÎTRE : BASSE CONTINUE ET SYNCOPES Sylvain Missonnier Érès | « Spirale » 2007/

NAÎTRE : BASSE CONTINUE ET SYNCOPES Sylvain Missonnier Érès | « Spirale » 2007/4 n° 44 | pages 165 à 179 ISSN 1278-4699 ISBN 9782749208213 DOI 10.3917/spi.044.0165 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-spirale-2007-4-page-165.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Une autre voie s’impose plus communément : la génération et l’enfantement. « La nature mortelle cherche toujours, autant qu’elle le peut, la perpétuité et l’immortalité ; mais elle ne le peut que par la génération, en laissant toujours un individu plus jeune à la place d’un plus vieux. » Cet amour de l’immortalité ne permet pas de rester « toujours exactement le même, comme ce qui est divin », prévient Diotime mais cela donne corps à la succession des générations. Avec cette cascade, s’établit la permanence de la filiation. La pure continuité échappe à l’individu mais fonde le continuum de l’arbre de vie généalogique. Au cœur de cette matricielle paradoxalité une rencontre récurrente : celle du « devenir parent » et du « naître humain ». Un processus en double hélice sous les hospices de l’amour, pour le meilleur et pour le pire. Un espace-temps où se confrontent l’indigente opportuniste Pénia et le beau et rusé Poros ; une scène à l’interface de l’épreuve du mortel et de la nostalgie de l’immortel. Dans ce creuset, la continuation des générations met en exergue une composante aussi variable qu’intrinsèque : la contenance. En latin, conti- nuus est dérivé de continere, contenir. L’étymologie semble indiquer com- Naître : basse continue et syncopes Sylvain Missonnier Sylvain Missonnier, maître de conférences en psychologie clinique à Paris X-Nanterre, directeur de recherches dans le laboratoire du LASI, psychanalyste (SPP). 1. Platon, Le banquet, Paris, Garnier-Flammarion, 1964. © Érès | Téléchargé le 18/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.58.52.228) © Érès | Téléchargé le 18/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.58.52.228) Spirale n° 44 bien la poursuite de la flèche du temps générationnelle dépend de la qua- lité de l’attention accordée aux périlleux passages de relais. Pour que la pérennité de la flamme de la filiation entre générations ait lieu, sa préser- vation à travers le processus de transmission entre individus est détermi- nante. L’hypothétique fécondité biologique et la spécificité relationnelle de ce passage reflètent l’issue dialectique de cette confrontation entre continuité générationnelle et discontinuité individuelle. La continuité signe l’origine, la discontinuité ouvre sur l’originalité. Ce double ancrage permet d’emblée de s’écarter du fatalisme d’une répétition continue, aveugle et indomptable. Il invite aussi simultanément à ne pas sous-estimer l’hypothèse d’une telle répétition générationnelle où le « Je » naissant de l’enfant est colonisé par une conflictualisation incons- ciente parentale atemporelle 2. Or, si l’on en croit la clinique périnatale, l’aube de la vie est habitée par cette double origine de l’humain : celle de ses liens – en plein ou en creux – avec son substrat génétique, sa filiation, son terroir collectif, sa culture, et celle de l’unicité de l’épigenèse de son être, de sa possible et si fragile originalité. Mais, initialement dépendant, comment le nourrisson va-t-il conquérir son autonomie ? Quelles sont les conditions requises pour que la discontinuité de ses mille et un conflits de séparation soit source de sutures maturantes au profit d’une individuation continue et non de rup- tures aliénantes ? Pour appréhender ces parcours familiaux toujours singuliers, l’observa- tion du tempo de la contenance des échanges relationnels entre les parents et leur fœtus/bébé occupe une place axiale car ce rythme rela- tionnel correspond à chaque fois à un scénario unique de continuité (basse continue) et de discontinuité (syncopes) 3. Face à un couple de danseurs observés 4, la qualité de la chorégraphie dépend simultanément de la qualité métronomique de la réciprocité ges- 166 2. « L’inconscient est totalement atemporel » écrit Freud dans Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Paris, Payot, 1973. 3. Le rhythmus latin évoqué dans l’introduction renvoie à la polarité de la basse continue et le rhuth- mos grec à celle de la syncope. 4. On doit à Daniel Stern d’avoir choisi d’illustrer les interactions parents/bébé par la métaphore cho- régraphique mais aussi par celle des combats de boxe : D.N. Stern, Mère enfant, les premières rela- tions, Bruxelles, P. Mardaga, 1977. © Érès | Téléchargé le 18/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.58.52.228) © Érès | Téléchargé le 18/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.58.52.228) tuelle et de l’accordage affectif entre les deux partenaires. Sur la base continue de cet ajuste- ment mutuel à la partition musicale, c’est la sur- prise dans cette prévisible permanence qui crée l’émotion esthétique. Face à un fœtus/bébé et ses apprentis parents, la constance du portage et la continuité affective constituent la condition première de la naissance psychosociale du nouveau venu. Mais pour qu’un nouvellement né puisse conquérir progressivement son originalité, il doit bénéficier d’un nid, certes contenant, mais qui laisse place peu à peu à la survenue et à l’ap- prentissage de l’imprévisible discontinuité. L’absence récurrente de cette exposition mesurée scelle des pathologies symbiotiques où l’individuation est muselée. L’envahissement de cette mise à l’épreuve induit des désor- ganisations précoces. Dans les situations favorables, à l’abri du Charibe morbide du pur continu et du Scylla éclaté de la discontinuité démesurée, des « non-équilibres 5 » psychologiques s’instaurent où l’enfant à naître et le nourrisson peuvent déployer leur créativité. Pour tenter de partager la force signifiante de cette ligne de crête para- digmatique en clinique, j’ai choisi de décrire ici quelques balises sémio- logiques de l’évaluation des relations parents-fœtus-bébé qui, historiquement, ont joué un rôle essentiel dans la structuration des théra- pies précoces. Le pari est le suivant : la focalisation sur les enjeux psy- cho(patho)logiques de l’homéostase continuité/discontinuité en périnatalité est une bonne introduction à l’exploration de ses multiples avatars individuels et collectifs plus tardifs. Dans cette perspective, je vais d’abord repréciser un outil conceptuel épistémologiquement fondateur – l’interaction – afin d’envisager les conditions synchroniques d’un environnement fiable pour le bébé. Ensuite, dans une perspective psychanalytique, je m’appuierai sur la dis- tinction freudienne entre angoisse automatique et signal pour défendre l’anticipation comme un marqueur clinique pertinent à double titre : comme trace inaugurale de la naissance de la psyché du nourrisson ; comme mémoire des enjeux psycho(patho)logiques de la transmission 167 Naître : basse continue et syncopes 5. I. Prigogine, I. Stengers, La nouvelle alliance, Paris, Gallimard, 1986. © Érès | Téléchargé le 18/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.58.52.228) © Érès | Téléchargé le 18/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.58.52.228) Spirale n° 44 générationnelle précoce dont la continuité et la discontinuité sont les pôles nord et sud. La danse interactive À la fin du XIXe siècle, le premier emploi connu du terme d’interaction a lieu en physique avec le sens d’action réciproque. Mais c’est avec la théorie générale des systèmes de Von Bertalanffy 6 qu’elle prend toute son ampleur dans le courant systémique. Les organismes vivants y sont décrits comme des systèmes à la fois fermés et ouverts, dans une unité dialec- tique. Trois principes essentiels les gouvernent : – le système est un tout ; ses éléments ne peuvent être décrits qu’en fonc- tion de sa totalité ; – il est homéostatique : les informations extérieures déclenchent par rétro- action des modifications du système qui ont pour but le retour à l’équi- libre antérieur ; – la causalité n’y est pas linéaire mais circulaire, inter et rétroactive. Depuis cette proposition inaugurale, une critique salvatrice du postulat du « retour à l’équilibre » a été formulée grâce, notamment, à l’étude de Prigogine 7 de systèmes « loin de l’équilibre ». En rompant avec la réver- sibilité constante des processus structurés par des lois sources de prévisi- bilité, la dimension temporelle est réintroduite, et le non-équilibre, pourvoyeur de bifurcations irréversibles. La discontinuité événementielle y est reconnue à sa juste place ; elle n’est plus un accident de l’homéo- stase mais une composante intrinsèque essentielle. Appliquée aux membres d’un système familial ou à l’épigenèse du fœtus/enfant, l’interaction concerne l’ensemble des phénomènes dyna- miques qui se déroulent dans le temps entre le sujet et son environne- ment. Dans le cadre des interactions périnatales précoces, on dira que l’environnement et le fœtus/nourrisson s’influencent l’un l’autre uploads/Philosophie/ spi-044-0165.pdf

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