13/10/2021 18:41 L'épreuve de la mort au cinéma (II) – Hors Champ https://horsc
13/10/2021 18:41 L'épreuve de la mort au cinéma (II) – Hors Champ https://horschamp.qc.ca/article/lpreuve-de-la-mort-au-cinma-ii 1/9 “La mort au travail” L’épreuve de la mort au cinéma (II) par André Habib 2002 Qu’en est-il de la mort actuelle ? Celle, accidentelle ou non, que le direct télévisuel ou cinématographique capte au moment où elle passe. Nous savons que c’est cette mort actuelle que le spectateur de fiction, même s’il la recherche, ne pourrait jamais accepter dans les cadres de la fiction. Bien que ce soit ce qu’elle tient dans son pouvoir propre, nous avons aussi montré qu’elle représente la limite de ce pouvoir-même. Est-ce pour cette raison qu’Oshima a pu avancer que tout réalisateur de film rêvait secrètement d’enregistrer la mort véritable d’un individu, transgressant la limite de sa figurabilité (toujours politique pour le cinéaste japonais), exposant les tabous qui lui sont liés, et réalisant cet impossible, possible seul au cinéma . Ce ne sont pas tous les réalisateurs qui partagent la même certitude qu’Oshima. Il est toutefois évident que la mort, si elle n’est pas fantasmée, pose toujours problème, tant pour le cinéaste que le spectateur. On sait l’attrait des snuff movies, où la mort véritable est filmée, mais il existe, en circulation plus libre, et à travers l’histoire, une panoplie d’exemples documentaires de morts, humaines ou animales, filmées. Le Sang des bêtes, Gimme Shelter, spectacles de tauromachie, bonzes tibétains s’incendiant, éloctrocution d’un éléphant (capté par les caméras d’Edison au début du siècle), sans oublier, la plus connue, La Mort de Kennedy, nous montrent une mort se déroulant effectivement sous nos yeux. La mort des bêtes est souvent plus ostentatoire, moins voilée. Celles des hommes, doit être remarquée, souvent par un iris, un ralenti, un commentaire, comme s’il s’agissait de bien la localiser, dans 1 13/10/2021 18:41 L'épreuve de la mort au cinéma (II) – Hors Champ https://horschamp.qc.ca/article/lpreuve-de-la-mort-au-cinma-ii 2/9 l’espace et le temps. À propos d’un film de Pierre Braunberger sur la tauromachie, monté par une certaine Myriam, André Bazin s‘était posé la question de la représentation, à l‘écran, de la mort. Ce qui distingue pour lui le théâtre de la corrida filmée, c’est que la corrida entretient avec le cinéma un lieu commun : la mort, spécificité propre au cinéma, qui peut filmer ce passage indéfinissable, et qui constitue le “noyau métaphysique” de la corrida. Le cinéma possède, selon Bazin, deux qualités fondamentales eu égard au temps : la capacité de le capter, la possibilité de le répéter : “Je ne puis répéter un instant de ma vie, mais l’un quelconque de ces instants le cinéma peut le répéter indéfiniment devant moi . “ Ce redoublement ontologique du temps, d’un temps qui a été (celui de son enregistrement) dans un temps qui est (celui de la projection), notre esprit s’en accommode, comme s’il assistait à une “réplique objective de la mémoire”. Mais pour Bazin, il est deux instants impénétrables, dont la représentation la rend aussitôt obscène : le sexe et la mort. C’est que l’instant de la mort est ce “moment unique”, l’instant radicalement différent, qui annule toutes les différences entre les instants de notre vie. Il y a, à ce moment, passage d’un instant de la vie à un instant de la mort qui lui est, en même temps, le plus intime et le plus étranger. La jouissance sexuelle, dans un tout autre ordre – bien que nous l’appelions la petite mort – est un point d’absence, et, comme la mort, “la négation absolue du temps objectif : l’instant qualitatif à l‘état pur” . L’obscénité, dans les deux cas, consiste en une violation profonde de la nature de l’expérience, morale ou, comme dans la mort, métaphysique. L’obscénité bazinienne n’est pas l’abjection rivettienne. L’abjection est liée à une sur-esthétisation, l’obscénité est une restriction, morale ou ontologique. En ce qui à trait à la mort, elle 2 3 13/10/2021 18:41 L'épreuve de la mort au cinéma (II) – Hors Champ https://horschamp.qc.ca/article/lpreuve-de-la-mort-au-cinma-ii 3/9 procède d’un fait très simple : “On ne meurt pas deux fois . “ Le moment de la mort, est le seul moment inaliénable et la contradiction que représente sa répétition, est un viol. Il est toujours possible de reprendre la scène où Pina meurt, dans Roma Operte, où la scène des marins jetés à l’eau, dans Paisà. Il n’est pas possible de répéter, effectivement, la mort du torero, sans trahir ou transformer cette radicalité. Le réalisme éthique de Bazin n’est pas limité à une préservation de l’objectivité de la caméra et de l’intégrité du réel, c’est aussi une éthique de la conservation du temps. L’image cinématographique est une défense contre le temps, puisque, comme la momie, elle le préserve en lui conférant une “éternité matérielle”. Toute l’ontologie bazinienne est travaillée par cette préoccupation : révéler le réel, en le restituant le plus fidèlement, dans son mystère et son ambiguïté, en s’effaçant devant la “robe sans couture du réel”. Devant la mort filmée, la contradiction temporelle éclate, puisque la caméra enregistre mécaniquement le temps le plus unique, le moins objectif qui soit. Il ne faudrait pas non plus oublier que l‘éthique bazinienne est une éthique de la vie, fondée sur le respect et la dignité. Ce que la caméra transgresse c’est un ordre tacite de la doxa : laisser les morts dormir en paix. À l‘écran, ce sont des morts sans sépulture ni requiem, qui meurent “tous les après-midi”, “éternels re-morts du cinéma” . La suite de la démonstration de Bazin est, à la lumière de ces réflexions, paradoxale et, en général, dans les commentaires qui ont été faits sur ce texte, totalement éclipsée. Pour obscène qu’elle soit, le spectacle de la mort de la bête ou celle du torero, serait, pour Bazin, tout de même émouvant, aussi émouvant que l’instant réel qu’il reproduit. En un certain sens, même, plus émouvante, car elle multiplie la qualité du moment originel par le contraste de sa répétition. Il lui confère une solennité supplémentaire. Le cinéma a donné à la mort de Manolette une éternité matérielle . Pour contradictoire, peut-être même ironique, qu’elle puisse paraître, il est possible que par sa réflexion finale, Bazin a en tête un au-delà de l’obscénité ontologique, une mort re-présentée, et qui, par sa 4 5 5 13/10/2021 18:41 L'épreuve de la mort au cinéma (II) – Hors Champ https://horschamp.qc.ca/article/lpreuve-de-la-mort-au-cinma-ii 4/9 répétition, confère, à chaque fois, un nouveau sens, voire même, élève la mort singulière en la préservant pour l‘éternité. Le cinéma serait alors une momie, non plus du changement, mais du mort lui-même. Ce serait alors comme si la puissance du cinéma pouvait racheter la profanation qu’il a effectué, laver son obscénité dans le linceul de l‘émulsion. Il est, il est vrai, une qualité propre à ces images de mort actuelle, qui, à la mesure de leur obscénité, se dérobe toujours pour nous, précisément parce que la qualité particulière de cet instant du sujet, ne nous est pas accessible. C’est parce que nous savons, par le commentaire, par l‘évidence documentaire, que cette mort est réelle que nous croyons la voir. Au fond, la mort réelle et la mort jouée ne se distinguerait que par des traits extérieurs à eux (toute la première portion du Vidéodrome de Cronenberg repose sur cette évidence). Dans Paris 1900, Nicole Vedrès a monté un événement qui avait fait sensation à l‘époque. Un tailleur excentrique s‘était confectionné un attirail savant, censé lui permettre de voler du haut de la Tour Eiffel. Deux caméras capturaient l‘événement. Une au sol, l’autre au haut de la Tour. Le tailleur, après une longue hésitation, décide de sauter. La seconde caméra a capté son écrasement au sol, de loin. Bazin a la remarque suivante : “Dans cette prodigieuse séquence de l’homme- oiseau, où il paraît que le pauvre fou prend peur et juge enfin l’absurdité de son pari. Mais la caméra est là, qui le fixe pour l‘éternité, et dont il n’ose finalement décevoir l’œil sans âme.[[Bazin, André, À la recherche du temps perdu : Paris 1900. Qu’est-ce que le cinéma ?, vol.1, op.cit., p.41. ]]” Le regard impersonnel de la caméra, non interventionniste, aurait, en quelque sorte, provoqué le saut fatal, comme si la fonction de la caméra avait commandé la tenue de l‘événement qu’elle était censé capturer pour l‘éternité. Mort provoquée ou pas, il demeure que cette mort ne possède de visibilité que par montage, entre l’hésitation et le plongeon fatidique. Elle se trouve toutefois voilée par la distance, elle ne se laisse voir qu’abstraitement. Seul le savoir confère un choc réel. Les choses ne seff 13/10/2021 18:41 L'épreuve de la mort au cinéma (II) – Hors Champ https://horschamp.qc.ca/article/lpreuve-de-la-mort-au-cinma-ii 5/9 passent encore pas bien différemment dans les images d’archives d’accidents de voiture de course. Dans Les Hommes et le sport, la voiture d’un coursier vient s‘écraser en se reversant contre un mur. Pendant un bref instant, le bras du conducteur, sous le véhicule, gesticule puis retombe. C’est ce geste humain qui, sous l’amas de la carrosserie, incarne la mort et trouble : signe visible, indubitable pour nous qui regardons. Mais le coursier est peut-être mort bien uploads/Philosophie/ l-x27-e-preuve-de-la-mort-au-cine-ma-ii-hors-champ.pdf
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- Publié le Aoû 07, 2021
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