Jean-Marie Paisse La gnose et le gnosticisme In: Bulletin de l'Association Guil
Jean-Marie Paisse La gnose et le gnosticisme In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°3, octobre 1969. pp. 315-321. Citer ce document / Cite this document : Paisse Jean-Marie. La gnose et le gnosticisme. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°3, octobre 1969. pp. 315-321. doi : 10.3406/bude.1969.3066 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bude_0004-5527_1969_num_1_3_3066 La gnose et le gnosticisme La lettre des évêques allemands sur la Foi, que diverses revues ont reproduite1, mentionne un certain courant de pen sée 2 qu'elle identifie à « une nouvelle forme de gnose 3 ». Peut-être serait-il opportun, à cette occasion, de rappeler brièvement ce que fut le gnosticisme? *** Deux traits essentiels caractérisent les théories gnostiques4. Ainsi que l'écrit, fort judicieusement, nous semble-t-il, S. Pè- trement5, « d'une part, les chrétiens gnostiques insistent, plus que les chrétiens orthodoxes, sur les différences qui séparent le Nouveau Testament de l'Ancien. Ils pensent que le Dieu de l'Ancien Testament, Iahvé, n'est pas le même que le Dieu des chrétiens, c'est-à-dire qu'il n'est pas le vrai Dieu. D'autre part, ils ont des idées particulières au sujet de la création ». A leurs yeux, seul Iahvé est le Créateur de l'univers à l'exclusion de la divinité du Nouveau Testament, essentiellement bonne, mais non génitrice du monde dans la mesure où celui-ci ne peut se rattacher directement au Bien : ce monde, en effet, n'est pas bon, puisqu'il a permis, sinon provoqué, la mort du Christ. En d'autres termes, la gnose affirme que diverses puissances — parmi lesquelles le Dieu de l'Ancien Testament — ont créé l'univers et le dirigent encore, puissances issues du Dieu bon, mais lui demeurant inférieures et l'ignorant 6. 1. Entre autres, in La Foi et le Temps, n° 4, juillet-août 1968, p. 343- 371. Traduction française de la Documentation catholique. 2. Aux yeux des évêques allemands, cette tendance constitue « une interprétation subjective » du Mystère de la Rédemption, interprétation qui « se substitue à la réalité de la Foi révélée par Dieu » (paragr. 36, P- 359). 3. Paragr. 36, p. 359. 4. Le gnosticisme ne constitue point une doctrine unique ; plusieurs conceptions philosophico-religieuses méritent ce nom, ayant entre elles un certain nombre de points communs fondamentaux. La définition du gnosticisme, de même que son origine, demeurent l'objet d'âpres con troverses, ainsi que l'a bien montré le récent Colloque de Messines sur ces problèmes, du 13 au 18 avril 1966. 5. S. Pètrement, « Le Colloque de Messines et le problème du gnos ticisme », in Revue de Métaphysique et de Morale, n° 3, juillet-septembre 1967, p. 345- 6. On reconnaîtra ici certaines réminiscences de la pensée grecque Bulletin Budê 21 3l6 LA GNOSE ET LE GNOSTICISME Dans la pensée de ces théologiens hétérodoxes, le Salut éter nel de l'homme constitue le fruit d'une connaissance surnatur elle — une « gnosis » — que le Sauveur nous enseigne, une connaissance qui n'est point œuvre humaine mais œuvre de Dieu, une connaissance exclusivement destinée à ceux dont l'âme possède, au plus intime d'elle-même, une étincelle d'ori gine divine1. Ainsi que l'écrit S. Pètrement, « tous ces traits se trouvent aussi, mais moins accentués, dans le christianisme ordinaire 2 ». Ne reconnaissons-nous point en effet une certaine opposition entre Dieu et le monde, entre l'Amour divin et l'amour hu main3, entre l'impuissance radicale de l'homme et la sublime efficacité de la Grâce de Dieu? En d'autres termes, le gnosticisme pousse à l'extrême ou à la limite certaines conceptions du christianisme orthodoxe et c'est telle que Platon, entre autres, l'exprime dans le Tintée, lorsqu'il traite de la création du monde ; le philosophe athénien affirme que le Dieu suprême a engendré d'autres divinités secondaires à qui il déclara : « Dieux, fils des Dieux dont je suis l'auteur, vous êtes nés par moi... et parce que vous naquîtes, vous n'êtes ni immortels, ni du tout incor ruptibles. Pourtant, vous ne serez jamais dissous... parce que mon voul oir constitue pour vous un lien plus fort et plus puissant que ceux dont vous fûtes liés quand vous naquîtes... Il reste trois espèces mortelles qui ne sont pas encore nées. Si elles ne naissent point, le Ciel (c'est-à-dire le cosmos) demeurera inachevé... Mais si je les faisais naître moi-même, ... elles seraient égales aux Dieux... Appliquez- vous selon votre nature à fabriquer des êtres vivants afin donc que, d'une part, ces êtres-là soient mortels et que, d'autre part, le Tout soit vraiment le Tout » (Timée, 41 A-41 C). Les rapports entre la pensée grecque et le gnosticisme ont suscité de nombreuses études ; ces dernières, toutefois, n'ont point résolu un pro blème épineux que nous ne ferons, hélas, qu'aborder au cours de ce bref article. 1. Cette parenté de l'âme humaine et de la divinité est une nouvelle réminiscence de la philosophie grecque. Platon ne déclare-t-il pas, en effet : « Ce qui est divin, immortel, intelligible..., ce qui est indissoluble et possède toujours d'une même façon son identité, voilà à quoi l'âme (humaine) ressemble le plus » (Phédon, 80 B). De même, le disciple de Socrate affirme que tout homme est composé « d'une partie qui doit porter le même nom que les immortels et que l'on nomme divine » (Timée, 41 C). 2. S. PÈTREMENT, o£. Cit., p. 346. 3. Souvenons-nous de ce que déclare l'évangéliste Luc : « Jésus dit à la foule : 'Si quelqu'un vient à moi, et ne haît pas son père et sa mère, et sa femme, et ses enfants, et ses frères, et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple' » (Ltic., XIV, 26). De même, nous lisons dans Matthieu (X, 35-36) : « Je suis venu (dit le Sauveur) séparer l'homme d'avec son père, et la fille d'avec sa mère, et la belle-fille d'avec sa belle- mère ; et l'homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi ; et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. » LA GNOSE ET LE GNOSTICISME 317 dans cette exagération, cette absolutisation, cette radicalisa- tion de la pensée chrétienne que réside le motif fondamental de la condamnation d'une semblable tendance1. Il ne paraît donc point y avoir une opposition essentielle entre le christianisme et la gnose : il s'agit uniquement, si l'on ose dire, d'une différence de degré dans l'affirmation ou la né gation de certains points doctrinaux; la pensée gnostique ne fait qu'insister davantage sur l'une ou l'autre conception chré tienne, qu'elle radicalise à l'excès, au détriment d'autres aux quelles elle attache trop peu d'importance 2. Dès la fin du Ier siècle, une mise en garde apparaît, de la part, soit d'autorités ecclésiastiques, soit de certains chrétiens proches du judéo-christianisme, à rencontre de pensées ou de façons de vivre analogues au gnosticisme tel que saint Irénée le définira au second siècle.' Ainsi la première Épître de saint Paul à Timothée condamne ceux qui s'attachent « à des esprits trompeurs et à des ense ignements de démons, dans une hypocrisie de menteurs, mar qués au fer rouge dans leur propre conscience, interdisant le mariage, ordonnant de s'abstenir d'aliments que Dieu a créés pour être pris avec actions de grâces par ceux qui croient et qui connaissent la vérité. Car toute créature de Dieu est bonne et rien ne doit être rejeté de ce qui est pris avec actions de grâces, car elle est sanctifiée par la parole de Dieu et la prière3 ». De même, saint Paul exhorte son correspondant : « Quant aux fables impies, dignes des vieilles femmes (sic), évites-les... », lui recommande-t-il. Que Timothée évite aussi « les vaines dis putes et les oppositions de la science au faux nom », car « quelques-uns s'y étant attachés, ont erré loin de la foi4 ». Indubitablement, les mises en garde de saint Paul, dans sa première lettre à Timothée, vise ceux des chrétiens qui sem- 1. Mutatis mutandis, l'autorité ecclésiastique condamne le jansénisme dans la mesure où celui-ci radicalise à l'extrême certaines conceptions augustinienaes de la Grâce, dans la mesure où il pousse à la limite et déforme en conséquence la doctrine chrétienne orthodoxe. Ceci ind épendamment, bien entendu, d'autres motifs de condamnation, entre autres politiques... 2. Que nos lecteurs nous comprennent bien : nous ne voulons null ement prétendre qu'entre le christianisme orthodoxe et le gnosticisme n'existe qu'une différence en quelque sorte secondaire de doctrine ; la radicalisation doctrinale du gnosticisme constitue dans la mesure même de son outrance une distinction essentielle vis-à-vis du christianisme orthodoxe. 3. I Timothée, IV, 1-5. 4. / Timothée, IV, 7; VII, 20-21. 3l8 LA GNOSE ET LE GNOSTICISME blaient introduire dans leur enseignement de la foi un dua lisme (« les oppositions de la science au faux nom ») dont saint Paul ne pouvait admettre le caractère aussi absolu que dra conien. Les exemples qu'il donne à son disciple le montrent en toute lumière : la condamnation du mariage *. La prohibi tion de certains aliments, uploads/Philosophie/la-gnose-et-le-gnosticisme-jm-paisse-pdf.pdf
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- Publié le Aoû 19, 2021
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