Tangence Document généré le 11 avr. 2017 03:23 Tangence La barbarie à visage hu
Tangence Document généré le 11 avr. 2017 03:23 Tangence La barbarie à visage humain : les tribus postmodernes Maffesoli, Michel Le dire-monstre Numéro 91, automne 2009 2 1 9 2 Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Tangence ISSN 0226-9554 (imprimé) 1710-0305 (numérique) 2 1 9 2 Découvrir la revue Citer cet article Maffesoli, Michel. "La barbarie à visage humain : les tribus postmodernes." Tangence 91 (2009): 67–77. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Tangence, 2010 La barbarie à visage humain: les tribus postmodernes Michel Maffesoli, Université Paris Descartes Sorbonne, Institut universitaire de France Plutôt que de dire, sempiternellement, ce que « doit-être » le monde, la société et l’individu, il importe de s’attacher à « monstrer » ce QUI EST, même le monstrueux. Il peut s’agir là d’une manière d’homéopathiser la violence structurelle de notre humaine nature. Les tribus postmodernes font, maintenant, partie du paysage urbain. Et après avoir été l’objet d’une conspiration du silence des plus strictes, combien d’encre auront-elles fait couler ! Tout à la fois pour les relativiser, les marginaliser, les invalider, puis les dénier. Posons une question simple. Ces tribus ne sont-elles pas l’expression de la figure du barbare qui, régulièrement, revient afin de féconder un corps social alangui? Ce qui est certain, c’est que quand une forme du lien social se sature et qu’une autre (re)naît, cela se fait, toujours, dans la crainte et le tremblement. C’est ce qui fait que certaines bonnes âmes peuvent être choquées par cette (re)naissance, car elle bouscule quelque peu la morale établie. De même certaines belles âmes peuvent s’en offusquer, car ces tribus n’ont, en général, que faire de la primauté du Politique. Je l’ai dit dans des écrits antérieurs : Politique ou Jeu. Et la prévalence de ce dernier est tellement évidente que la politique elle- même s’est théâtralisée, est devenue objet de dérision, en bref a été contaminée par le ludique. Quoi qu’il en soit et quel que soit le sentiment que l’on porte sur elles, ces tribus postmodernes sont là. Et à moins de les exterminer toutes, ce qui risque d’être difficile, puisque nos enfants en sont, il faut faire avec, s’accommoder de leurs manières d’être et d’apparaître, de leurs piercings et tatouages divers, de leurs curieux rituels, de leurs bruyantes musiques, en bref de la nouvelle culture dont elles sont les sectatrices averties et dynamiques. Tangence, no 91, automne 2009, p. 67-77. Certes, la (ré)émergence de ces nouvelles manières d’être ensemble ne manque pas d’être déconcertante. Elle n’en est pas moins compréhensible. En effet, tout comme cela se passe pour l’individu, cela traduit un simple processus de compensation. Progressivement, en oubliant le choc culturel lui ayant donné naissance, la civilisation moderne s’est homogénéisée, elle s’est rationalisée à outrance. Et l’on sait que «l’ennui naquit de l’uni- formité ». L’intensité d’être se perd quand la domestication s’est généralisée. D’où, quand un cycle s’achève, le mécanisme de la compensation. Peu à peu l’hétérogénéité gagne du terrain. À la place d’une raison souveraine, le sentiment d’appartenance reprend droit de cité. Et confrontée à une ennuyeuse sécurisation de l’existence, ce que Durkheim appelait l’effervescence, comme élément structurant toute communauté, revient en force sur le devant de la scène sociale. Le goût du risque, d’une manière dif- fuse, réaffirme sa vitalité, l’instinct domestiqué tend à s’ensau- vager, en bref, sous des formes multiples, le barbare se rappelle à notre bon souvenir. Mais, d’un mot, peut-être faut-il rappeler d’où venait ce tenace et constant souci de domestication propre à la tradition judéo-chrétienne ou, pour mieux dire, à l’idéologie sémitique ? Tout simplement de la certitude de la nature corrompue de l’être humain. C’est cela qui fonde la morale et, ce qui revient au même, la politique de la modernité. Dans le lent processus de sécularisation, l’Église, puis l’État, dont le bras armé est le Politique et la Technostructure, ont pour essentielle fonction de corriger le Mal absolu et originaire. Il s’agit d’une mission dont on verra plus loin l’hypocrisie et qui, sous des noms divers, va continûment irriguer la vie publique occidentale. Projet prométhéen s’il en est, dont on ne redira jamais assez qu’il trouvait sa source dans l’injonction biblique de « soumettre la nature 1» en son aspect environnant: maîtrise de la faune et de la flore, mais également de l’individu et du social. C’est sur une telle logique de la domination que va s’élaborer le mythe du Progrès et de l’égalitarisme qui en est le corollaire direct. Pour le dire en termes plus familiers, les trois mamelles d’un tel projet étaient l’hygiénisme (ou le risque zéro), la morale et la société «Nickel». Il faut rajouter, et ce n’est pas négligeable, la spécificité culturelle de cette tradition que fut l’Universalisme. De saint Paul, 68 TANGENCE 1. Genèse, 1, 28. d’un point de vue théologique, aux Lumières dans une perspective philosophique, ce qui avait été l’apanage de quelques tribus nomades du Moyen Orient, puis le propre d’un petit canton du monde, l’Europe, devait servir de critérium au monde en son entier. Notons qu’il y a du fanatisme dans une telle prétention. Mais c’est ce fanatisme qui, à la fin du XIXe siècle, a permis que ces valeurs spécifiques deviennent des valeurs universelles. Et lorsque l’empereur Meiji ouvrit ses ports aux navires européens ou lorsque le Brésil inscrivit sur son drapeau la célèbre formule d’Auguste Comte: «Ordre et progrès», on peut dire que l’homogénéisation du monde avait atteint un apogée jusqu’alors jamais connu. Mais on ne peut pas ignorer qu’il existe aussi une pathogenèse de cette pulsion dominatrice. Sans parler des ethnocides et autres génocides culturels, il ne serait pas inutile de se souvenir du lien existant entre le mythe du Progrès et la philosophie des Lumières d’une part, et les camps de concentration (au nom de la pureté de la race ou de la classe) et les guerres ravageuses et suicidaires du XXe siècle d’autre part. «L’innocence du devenir» À trop mettre l’accent sur la morale qui, je le rappelle, repose sur une logique du devoir-être, on aboutit à des excès non prévus. Cela s’appelle hétérotélie. On obtient le contraire de ce que l’on désirait. Par exemple, la tentative de domestication de l’animal humain le conduit à être bestial. Ce dont témoignent les divers camps et goulags du siècle dernier. Effet pervers s’il en est, mais bien dans la logique de la recherche de la perfection. Là encore la sagesse populaire, à la suite de Blaise Pascal, peut nous être de quelque utilité, en remarquant que « qui veut faire l’ange, fait la bête». Je ne l’indiquerai ici qu’allusivement, mais il y a deux vices dans l’approche des tenants de l’universalisme ou, ce qui revient au même, chez les protagonistes de la philosophie des Lumières : l’hypocrisie et l’autotromperie. Ainsi Reinhart Koselleck 2 a bien fait remarquer que c’était, toujours, au nom de la morale, d’une nouvelle morale que l’on voulait gouverner à la place de ceux qui gouvernent. Ainsi, parler au nom de l’Humanité et de la Raison est MICHEL MAFFESOLI 69 2. Reinhart Koselleck, Le règne de la critique [1959], trad. Hans Hildenbrand, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Arguments», 1979. particulièrement perfide, car cela masque (à peine) que la moti- vation réelle de tous ces « moralistes » est, tout simplement, le pouvoir. Pouvoir économique, pouvoir politique, pouvoir sym- bolique, tels sont bien l’aboutissement normal de la philosophie de l’histoire et des philosophies morales. C’est toujours au nom du Bien, de l’Idéal, de l’Humain, de la Classe et autres entités abstraites que l’on commet les pires turpitudes. Il y a toujours chez le moraliste un homme du ressentiment qui sommeille! Voilà d’où l’on vient. Voilà ce qui constitue le cerveau repti- lien de l’homme moderne et qui reste au fondement de la pensée établie et des institutions sociales. Mais cette belle construction, en apparence indemne, est fissurée de toutes parts. Et c’est bien d’une telle porosité que les tribus postmodernes sont tout à la fois la cause et l’effet. Qu’expriment-elles sinon ce que, d’une manière prémoni- toire, Nietzsche nommait «l’innocence du devenir»? Acceptation de l’amor fati. Consentement à cette terre, à ce monde-ci. Ce dernier, à l’encontre de la doctrine judéo-chrétienne, ne trouve pas son origine dans une création ex nihilo, mais il est là, tel un «donné» avec lequel il convient, tant bien que mal, de s’accorder. Voilà ce que le barbare, quelque peu païen, s’emploie à nous rappeler! Certes, tout cela n’est pas conscientisé, ni même verba- lisé en tant que tel. Mais largement vécu dans le retour aux tra- ditions, religieuses ou spirituelles, dans l’exercice des solidarités au quotidien, dans la reviviscence des uploads/Philosophie/ la-barbarie-a-visage-humain-les-tribus-postmodernes-tangence.pdf
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- Publié le Mar 15, 2022
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