ESSAIS D'ART ET DE PHILOSOPHIE D' ARiiron A. DAR\IDJ EIJE10lJR PAR Étienne GILS

ESSAIS D'ART ET DE PHILOSOPHIE D' ARiiron A. DAR\IDJ EIJE10lJR PAR Étienne GILSON de l'Académie Française Essai sur quelques constantes de la biophilosophie LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN ESSAIS D'ART ET DE PHILOSOPHIE D'ARISTOTE A DARWIN ET RETOUR PAR Etienne GILSON de l'Académie française Essai sur quelques constantes de la biophilosophie PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, PLACE DE LA SORBONNE, V• 1971 © Librairie Philosophique J. VRIN, 1971 Printed in France On retombe toujours, on tourne dans un certain cercle, autour d'un petit nombre de solutions qui se tiennent en présence et en échec depuis le commencement. On a coutume de s'étonner que l'esprit humain soit si infini dans ses combinaisons et ses portées; j'avouerai bien bas que je m'étonne qu'il le soit si peu. SAINTE BEUVE, Portraits littéraires (Pléiade, II, p. 466). Mais, que diable ! c'est médiéval, m'exclamai-je, car j'avais encore tout le snobisme chronologique de mon époque et j'employais les noms des époques antérieures comme des termes de déni­ grement. C. S. LEWIS, Surprised by Jay, XIII. PREFACE La notion de finalité n'a pas de chance. L'une des raisons principales de l'hostilité dont elle est l'objet est sa longue association avec la notion d'un Dieu créateur et providence. Déjà, dans les Mémorables, I, 4, 5-7, Xénophon attribuait à Socrate l'idée que les sens de l'homme ne peuvent être l'œuvre que d'un démiurge intelligent comme celui que, dans le Timée, Platon allait bientôt charger de construire le monde. Depuis lors, la preuve de l'existence de Dieu par la finalité ne devait plus sortir de la théologie. Soit par hostilité contre la notion de Dieu, soit par désir de protéger l'explication scien­ tifique contre toute contamination théologique, fût-ce de théologie naturelle, soit enfin par une alliance de ces deux motifs, les représentants de ce que l'on peut nommer le scientisme s'accordent à proscrire aujourd'hui la notion de finalité. Nous n'avons aucune intention de discuter le scientisme. Il est la résolution de n'admettre, en aucun ordre, aucune solution d'aucun problème qui ne soit rigoureusement démon­ trable par la raison et vérifiable par l'observation. L'objet du présent essai n'est pas de faire de la finalité une notion scien­ tifique, ce qu'elle n'est pas, mais de faire voir qu'elle est une inévitabilité philosophique et, pour cela même, une constante de la biophilosophie, ou philosophie de la vie. Il ne s'agira donc pas de théologie; s'il y a de la finalité dans la nature, le théologien a droit de s'appuyer sur ce fait pour en tirer les conséquences qui, à ses yeux, en découlent touchant l'existence de Dieu, mais l'existence de la finalité dans l'univers sera l'objet d'une réflexion philosophique propre, qui n'aura ;. ' • .... " f • .r -r - - ...... .; ..... L. ,. . ,. 10 PRÉFACE aucun autre but que d'en confirmer ou infirmer la réalité. Le présent ouvrage ne parlera pas d'autre chose : la raison interprétant l'expérience sensible conclut-elle ou non qu'il existe de la finalité dans la nature? Il n'est pas certain que toute vérité touchant la nature soit scientifiquement démon­ trable; il ne l'est pas non plus que la raison n'ait rien à dire de valide sur ce que l'expérience suggère sans pouvoir le démontrer. Ainsi entendue, l'existence de la finalité naturelle semble être une de ces constantes philosophiques dont on ne peut que constater, dans l'histoire, l'inépuisable vitalité. Le philosophe qui traite d'un tel problème éprouve le scrupule constant de son incompétence scientifique en une matière où la science est directement intéressée. C'est donc pour lui une grande satisfaction de rencontrer parfois un biologiste conscient de l'existence et de la nature du problème philosophique posé par l'organisation des êtres vivants. Nous nous permettrons donc de citer le témoignage de Lucien Cuénot, de l'Académie des Sciences, sur le point précis qui sera l'objet de notre propre livre : « Plus on pénètre profondément dans les déterminismes, plus les relations se compliquent; et comme cette complexité aboutit à un résultat univoque que le moindre écart peut troubler, alors naît invinciblement l'idée d'une direction finaliste; je concède qu'elle est incompréhensible, indémontrable, que c'est expliquer l'obscur par le plus obscur, mais elle est nécessaire; elle est d'autant plus nécessaire que l'on connaît mieux les déterminismes, parce qu'on ne peut se passer d'un fil conducteur dans la trame des événements. Il n'est pas téméraire de croire que l'œil est fait pour voir. » Par des voies différentes, le présent ouvrage aboutit à la même conclusion. Cette conclusion, dira-t-on, n'est donc pas originale ? Non, elle est seulement vraie, et il peut être utile de la redire en un temps où il est de bon ton philosophique et scientifique de prétendre le contraire. On lit dans le Cahier de Notes de Claude Bernard : « La science est révolution­ naire. » Je suis profondément convaincu que la philosophie ne l'est pas. CHAPITRE PREMIER PROLOGUE ARISTOTÉLICIEN Parmi les ouvrages d'Aristote, l'un des moins fréquentés des philosophes est l'Histoire des animaux. Les savants le considèrent comme scientifiquement démodé1 et les philosophes ne le consi­ dèrent pas comme philosophique au sens moderne du mot. Il est pourtant indiscutablement aristotélicien, ce qui suggère que la manière dont Aristote lui-même concevait science et philosophie n'est plus exactement la nôtre. En fait, bien qu'Aristote lui-même ne se tînt pas pour un savant, au sens où celui-ci est un spécialiste en quelque branche des sciences de la nature, mais seulement pour un homme raisonnablement informé de la science de son temps, il l'est trop bien pour le goût des philosophes d'aujour­ d'hui. Même ceux d'entre eux qui lisent Aristote, ne s'intéressent que peu à sa philosophie de la nature. Ceux de nos contemporains qui savent proportionnellement autant de zoologie et de biologie qu'en savait Aristote, ne sont pas professeurs de philosophie ; ils enseignent plutôt des cours d'introduction à la zoologie et à l'éco­ logie dans quelque Propédeutique universitaire 1. Sa curiosité 1. Au début de son traité sur Les parties des animaux, Aristote distingue la connaissance proprement scientifique d'un objet de la connaissance que peut et doit en avoir un homme simplement cultivé, un philosophe par exemple. Une bonne formation intellectuelle doit nous permettre d'apprécier correctement la qualité de la méthode suivie par tel ou tel savant en exposant Je contenu de sa propre science. La culture générale est celle d'un homme capable de former correctement des jugements de ce genre dans presque toutes les branches du , 12 L'HOMOGÈNE ET L'HÉTÉROGÈNE scientifique semble avoir revécu en Albert le Grand, qui possédait au plus haut degré ce don typique du biologiste né qu'est le goût de l'observation personnelle, mais Thomas d'Aquin, comme beau­ coup d'autres, ne semble pas avoir considéré ce genre d'infor­ mation comme nécessaire ad pietatem, et il l'a négligé. Aujour­ d'hui, zoologistes et philosophes ne se parlent plus. Pour le cher­ cheur et le professeur qualifié dans l'une de ces disciplines, l'autre est un simple ignorant. Quel professeur moderne de philosophie a jamais parlé à ses élèves des dents des chiens, des dents des chevaux, des dents de l'homme et de celles des élé­ phants ? Aristote le faisait. Sa philosophie incluait, avec beaucoup d'autres, cette partie de la science de son temps. Dès le premier chapitre de !'Histoire des animaux, Aristote invoque une des nombreuses notions qu'on peut tenir pour des constantes de la philosophie de la nature, et qui d'ailleurs, comme la plupart des notions de ce genre, est à la fois scientifique et philosophique, celle d'homogénéité. La première phrase de ce traité dit que des parties dont se composent les animaux, certaines sont simples, d'autres sont composées. Celles qui sont simples se divisent elles-mêmes en parties de nature uniforme ; par exemple, la chair est faite de chairs ; les parties composées se divisent en parties qui ne sont pas uniformes entre elles. Ainsi, par exemple, « la main ne se divise pas en mains ni le visage en visages » 2• Si on nomme homogène la première classe de parties et hétérogène la deu­ xième, on disposera d'une distinction dont les conséquences, scientifiques et philosophiques, intéressent encore aujourd'hui le problème de la finalité. Parmi les généralités auxquelles Aristote s'attarde au début des Parties des animaux, et qui relèvent de notre propre enquête, il convient d'en indiquer encore une autre : les anciens auteurs, dit savoir. Toutes les questions concernant l'ordre et la méthode à suivre en expo­ sant une science sont de la compétence d'un homme cultivé au moins autant que du spécialiste de cette science. L'effet de la paidéia aristotélicienne est de conférer, en toute branche du savoir, l'aptitude à former des jugements compétents sur son objet et sur la bonne manière de l'exposer. 2. Aristote, Histoire des animaux, I, 1. PROLOGUE ARISTOTÉLICIEN 13 Aristote, s'intéressaient d'abord au mode de formation de chaque animal 3, ce qu'on nommerait aujourd'hui l'ontogénèse, mais il est peut-être aussi important de considérer les mêmes animaux une fois formés, « car la différence entre les deux points de vue n'est pas mince ». Aristote ne semble pas avoir pensé à uploads/Philosophie/ d-x27-aristote-a-darwin-et-retour-essai-sur-quelques-constantes-de-la-bio-philosophie-etienne-gilson 1 .pdf

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