Essence (A) Publié en janvier 2018 Résumé La notion d’essence est centrale tant
Essence (A) Publié en janvier 2018 Résumé La notion d’essence est centrale tant dans la métaphysique que dans l’ontologie. Elle désigne en philosophie ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est. Dans ce qui suit, on adoptera une perspective génétique d’abord pour montrer la constitution du concept d’essence dans le paradigme aristotélicien. Cette approche permet en effet de saisir à la fois un point d’origine et un point d’arrimage aux débats contemporains sur l’essentialisme. Puisqu’il ne s’agit pas ici de faire l’histoire de la notion d’essence, mais plutôt d’en identifier les traits conceptuels et d’en évaluer la pertinence philosophique, on s’arrêtera surtout sur les critiques, principalement de type empiriste : en visant la métaphysique de l’essence, les empiristes ont sans doute contribué à faire de l’essentialisme le type même de l’erreur épistémique et une monstruosité ontologique – alors même que la logique modale était censée redonner à la métaphysique de l’essence une cohérence sémantique. On s’arrêtera enfin sur la défense contemporaine de l’essentialisme et sur l’examen de ses variétés. Un troisième épisode dans l’histoire de l’essence a vu la naissance de variétés d’essentialismes : essentialisme scientifique, essentialisme sérieux, essentialisme des origines, etc. Cette efflorescence, d’une part, marque le retour de l’essentialisme sous une nouvelle forme qu’il reste à déterminer et, d’autre part, montre la modularité du concept d’essence. Nous suivrons donc les moments suivants : après avoir tracé la genèse du paradigme essentialiste dans la philosophie pré-aristotélicienne (1), puis décrit l’essentialisme aristotélicien et sa réception médiévale (2), nous montrerons la réception critique de l’essentialisme dans sa version moderne et la critique de l’essentialisme dans sa version contemporaine (3), pour enfin décrire les versions de l’essentialisme contemporain (4). La discussion contemporaine laissera de côté, faute de place, l’essentialisme husserlien. Table des matières 1. La constitution du paradigme de l’essence a. La question socratique « Qu’est-ce que F ? » et l’essence b. Les Formes platoniciennes et l’essence c. La transformation aristotélicienne de la Forme en essence 2. L’essentialisme aristotélicien et sa réception médiévale a. L’essentialisme aristotélicien et l’essentialisme d’Aristote b. L’essence selon Aristote c. L’essentialisme avicennien d. L’essentialisme thomiste 3. L’héritage critique du concept aristotélico-scolastique d’essence : le moment moderne et contemporain a. L’essentialisme non-cognitiviste ambigu de Locke et sa critique leibnizienne b. L’anti-essentialisme empiriste contemporain 4. La défense de l’essentialisme a. L’essentialisme sérieux de Lowe b. La critique de l’identité entre essence et nécessité par K. Fine ou l’essentialisme non modal c. L’anti-réalisme modal et l’anti-existentialisme de Plantinga d. L’essentialité de l’origine Bibliographie 1. La constitution du paradigme de l’essence a. La question socratique « Qu’est-ce que F ? » et l’essence Aristote en Métaphysique A 6 (987b1-5) retient de Socrate qu’il a, dans le domaine moral, « cherché l’universel, et fixé le premier la pensée sur les définitions » (tr. J. Tricot, Vrin, 1986). Cette démarche, qui lie définition et universalité, marque sans doute la genèse de la question de l’essence, en tout cas la possibilité de la conceptualisation de l’essence. La difficulté est d’interpréter ce qui est recherché dans cette question et si, et comment, ce qui est recherché a avoir avec l’essence. Que la question socratique demande que l’on réponde par un terme universel, c’est ce qui apparaît lorsqu’il récuse toute réponse qui se formule en énonçant des particuliers (une belle jeune fille pour la beauté par exemple plutôt que la proportion, pour reprendre les exemples platoniciens). C’est une position qui a en tout cas été tenue par un grand nombre de commentateurs et qui concorde avec l’interprétation aristotélicienne de la réponse socratique à la question ti esti (qu’est-ce que F ?, F étant mis pour le « courage », la « tempérence », etc.). Cette position a été systématisée par Geach dans son étude sur l’Euthyphron (Geach, 1966 : 371) – nous conservons la variable ‘F’ pour la clarté, quand Geach utilise ‘T’ : 1. si vous savez que vous prédiquez correctement un terme donné ‘F’, vous devez savoir « ce que c’est que d’être F », au sens où vous devez être capable de donner un critère général pour qu’une chose soit F ; 2. il est inutile d’essayer d’accéder à la signification de ‘F’ en mentionnant des exemples de choses qui sont F. On pourrait évidemment discuter cette interprétation qui s’inscrit dans la lignée d’Aristote, mais cela n’éclairerait pas la notion d’essence – on pourrait par exemple noter que ce que Socrate a en vue, ce n’est pas un universel par opposition à un particulier, mais l’unité du terme défini (cela aurait pour effet de modifier la genèse de la théorie des Formes et même son contenu). En revanche, indiquer que la question socratique vise à la fois un universel et l’objet de la définition, cela demande encore à être interprété : comment entend-on ce terme universel qui est l’objet de la définition ? Est-ce cela l’essence ? Sur cette question plusieurs hypothèses sont possibles, la difficulté étant de ne pas importer, pour déterminer ces hypothèses, les distinctions postérieures que l’on trouve chez Porphyre et qui ont été largement élaborées dans les éditions de l’Isagogè par Jonathan Barnes et Alain de Libéra. Pour ce qui concerne la genèse de la pensée de l’essence, il faut remarquer de manière plus limitative que la recherche socratique, prolongée par Platon, est celle de définitions réelles. Les définitions nominales sont une réponse correcte à la recherche de signification, mais non à la recherche de la réalité de ce dont on parle, de l’ousia. Les définitions réelles ne valent comme objet de réponse à la question socratique que si on ne les entend pas comme des définitions nominales auxquelles on adjoint l’existence de ce qui est défini. Comme le note Allen dans son commentaire de l’Euthyphron, (Allen, 1970 : 82) : « Une Forme n’est pas une « signification hypostasiée » […]. Une Forme est plutôt la nature de quelque chose qui est, et son import existentiel fait partie de sa notion elle-même. » Si l’on suit Allen, il faut admettre que ce que recherche Socrate n’est pas plus la signification d’un terme que celle d’un concept – et ce précisément parce qu’il ne cherche pas ce que les Athéniens entendent par telle ou telle notion, mais précisément ce qui peut servir de modèle à leurs concepts. On peut noter toutefois que cette interprétation d’Allen vaut surtout à partir du Ménon. Pour ce dialogues, la plupart des commentateurs ont encore eu recours aux distinctions des définitions réelles et des définitions nominales, mais pas seulement, en se posant la question de savoir si, à ce stade du Ménon, Socrate distinguait bien entre des définitions réelles, des définitions nominales, et des assertions factuelles correctes permettant d’identifier l’objet de la recherche (par exemple une assertion du type : « la forme est la seule chose qui accompagne toujours la couleur »). Les Formes, au stade du Ménon, sont à la fois i) un universel, un terme commun ; ii) un modèle, à partir duquel on peut savoir que tel particulier est bien de tel ou tel type : ainsi que tel acte particulier est bien vertueux ; ou qu’un prédicat est bien correctement identifié : ainsi que l’on utilise correctement le prédicat « vertueux » dans une caractérisation abstraite (comme une tentative de définition) ; iii) une essence, qui est à la fois la réalité d’un prédicat, ou d’un particulier, et ce en vertu de quoi un F est réellement un F. Ces caractérisations marquent l’entrée dans la théorie platonicienne des Formes qui est aussi une théorie de l’essence (plus qu’une théorie de l’essence, mais aussi une théorie explicite de l’essence). b. Les Formes platoniciennes et l’essence Si l’on suit encore le fil directeur de Métaphysique A (987b5-10), sans en suivre nécessairement les thèses, de Socrate à Platon, la différence tient à ce que pour Platon « cet universel devait exister dans les réalités d’un autre ordre que les choses sensibles ». Platon « donna (…) à de telles réalités le nom d’Idées, disant, d’autre part que les choses sensibles sont séparées des Idées et sont toutes dénommées d’après elles : c’est en effet par participation qu’existe la pluralité sensible, univoque à l’égard des Idées ». L’angle de caractérisation aristotélicien réside dans la question de la séparation et son corollaire, la participation : l’opposition de la séparation et de l’immanence est en effet ce qui permet à Aristote de construire le dispositif de Métaphysique Z. En Métaphysique Z, Aristote fournit un certain nombre d’arguments pour montrer que les Formes séparées (au sens platonicien de la séparation) ne peuvent être des substances, ou ousiai ; dès lors doit être ousia, un autre item ontologique parmi les candidats possibles que les Formes séparées ou les universels – lesquels sont rejetés pour d’autres raisons. Cet angle d’approche aristotélicien des Formes platoniciennes ne diffère que peu de l’angle platonicien : chez Platon comme chez Aristote la question de l’ousia appelle une réponse à la question de la réalité de la réalité, réponse qui a pour nom chez Platon « la Forme » et qui a uploads/Philosophie/ essence-2018-article-de-lencyclopedie-ph.pdf
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- Publié le Dec 08, 2021
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