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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=APHI&ID_NUMPUBLIE=APHI_652&ID_ARTICLE=APHI_652_0239 Foucault / Descartes : la question de la subjectivité par Pierre GUENANCIA | Centres Sèvres | Archives de Philosophie 2002/2 - Volume 65 ISSN 1769-681X | pages 239 à 254 Pour citer cet article : — Guenancia P., Foucault / Descartes : la question de la subjectivité, Archives de Philosophie 2002/2, Volume 65, p. 239-254. Distribution électronique Cairn pour Centres Sèvres. © Centres Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Foucault / Descartes : la question de la subjectivité PIERRE GUENANCIA Université de Bourgogne Tout au long de son œuvre, Foucault s’est référé à Descartes, suffisam- ment pour engendrer des commentaires et susciter des disputes de très loin plus longues et abondantes que les références ou les allusions à Descartes, mais d’une façon suffisamment énigmatique pour qu’on s’interroge indéfi- niment sur ce qu’il a bien voulu dire au sujet de Descartes, non pas sur le sens de ses phrases car Foucault est toujours un auteur clair, mais sur l’enjeu ou la portée de ses références ¢ sur la place que, selon Foucault, Descartes tient dans la pensée moderne et la nature de l’influence qu’il a pu exercer sur elle. Tout le monde a en tête la mémorable controverse entre Foucault et J. Derrida autour d’une phrase imprudemment (ou malicieusement ?) écrite par Foucault sur l’exclusion des fous dans le procès des Méditations de Descartes. Geste par lequel Descartes, c’est-à-dire la raison moderne, met la folie en dehors du discours, geste d’exclusion par une raison assurée d’elle- même et de son autre, la folie. Plus importante et plus « analytique » est la référence à l’épistémè et à la mathesis cartésienne dans Les mots et les choses, à l’ordre et à la mesure : le cartésianisme y est considéré comme un moment, fondateur et fondamental, de l’âge de la représentation. L’estimation par Foucault de la fonction de l’épistémologie cartésienne dans cette grande fresque portant sur la nais- sance des sciences humaines et le rôle que joue dans la propre pensée de Foucault ce cartésianisme fondateur de l’âge classique, à travers notamment la constitution de l’espace théorique de la représentation qui délimite et rend possible selon Foucault la totalité du savoir classique, ne sont sûrement pas des questions sans rapport avec la façon dont Foucault, une quinzaine d’années après, se réfère à nouveau à Descartes, cette fois non plus dans la perspective d’une enquête à la fois empirique et transcendantale sur le savoir moderne, mais dans le cadre d’une interrogation sur la constitution du rapport à soi du sujet moderne et la modification fondamentale de l’être même de la subjectivité morale au moment de la naissance, toujours carté- Archives de Philosophie 65, 2002 sienne, de la philosophie moderne. On gardera simplement présente à l’esprit, parce qu’on ne peut pas en faire ici l’objet d’une réflexion explicite, cette connexion entre la question de l’épistémè propre à l’époque des Mots et les choses et la question de la subjectivité qui passe au premier plan des recherches de Foucault dans les dernières années de sa vie. C’est dans le cadre de cette réflexion, profonde et inquiète, portant sur le rapport du sujet à la vérité, notamment à la vérité sur lui-même, que Foucault glisse une nouvelle fois une remarque, moins sur Descartes même que sur l’effet cartésien, trop lourde de sous-entendus pour une remarque qui ne serait faite qu’en passant, suffisamment énigmatique pour qu’on ne puisse éviter de tourner autour d’elle et de s’interroger sur ce que Foucault a bien voulu dire exactement par là. La thèse ou l’hypothèse de Foucault, très résumée, est que le « moment cartésien » constitue à la fois une reprise et un renforcement du thème socratique du gnôthi seauton (nosce seipsum, connais-toi toi-même), et ¢ mais aussi ¢ une disqualification du souci de soi 1. Exclusion là aussi, semble-t-il, non plus de la folie par la raison mais d’une certaine forme de subjectivité, d’un certain type de rapport à soi et de rapport du sujet à la vérité par une détermination nouvelle du sujet qui ferait de lui le sujet de la connaissance ou de la science. Très schématiquement, on pourrait accepter, par provision, l’idée selon laquelle une forme morale de la subjectivité, ou une forme morale de subjectivation se voie supplanter par une forme essentiellement épistémique du sujet. De là résulte ¢ si l’on suit Foucault ¢ une sorte de scission du sujet qui serait d’un côté sujet théorique, de l’autre sujet pratique, et la nécessité de penser l’articulation entre ces deux côtés au moins à titre de tâche ou d’horizon, alors qu’un tel problème ne s’est jamais posé aux philosophes grecs, ni même dans la culture chré- tienne jusqu’au début des temps modernes. Assurément, la question de Foucault n’est pas « historique » au sens étroit du terme (elle n’appelle pas une réponse en termes de faits, d’événements, de textes), elle procède explicitement d’une interrogation sur l’être du sujet moderne (de ses modes de subjectivation) dont la spécificité semble ne pouvoir se révéler que par différence avec d’autres formes, appartenant à d’autres cultures, suffisam- 1. La première version des réflexions que nous présentons ici a été faite sur la base du texte de la leçon du 6/l/1982, publiée sous le titre « Subjectivité et vérité » par la revue Cités (no2, p. 143-178). Nous avons, en rédigeant cette version, tenu compte de l’ensemble des leçons de l’année 1981-1982 publiées dans le volume intitulé L’herméneutique du sujet, édité par Frédéric Gros, Gallimard, Seuil, Hautes études, 2001. La référence au « moment cartésien » se trouve notamment aux p. 15-16, 19-20, 27-30. On sait quel a été le rôle de Jacques Lagrange dans la publication des cours de Foucault au Collège de France. Qu’on me permette de faire à celui qui fut, il y a bien longtemps, mon professeur de philosophie au Lycée Carnot à Paris, le modeste hommage de cette étude, en témoignage de reconnaissance et d’admiration. P . GUEN ANCIA 240 ment à distance de nous pour qu’on puisse s’en distinguer nettement. L’enracinement de la pensée de Foucault dans le présent fait que les lectures qu’il entreprend sont des essais de reconstruction et d’interprétation et non des explications au sens strict. On le voit bien dans la controverse avec J. Derrida 2 : au-delà de la bataille proprement textuelle, l’enjeu est un certain rapport avec les textes que les historiens de la philosophie (dont Derrida serait le représentant exemplaire) ne feraient que redire indéfini- ment, alors que l’archéologue du savoir cherche sous eux les événements dont ils sont les formulations théoriques. Le postulat de Foucault est, semble-t-il, que sous un texte, fût-il « abs- trait », spéculatif, théorique, il y a toujours une pratique, un événement, un rapport concret et déterminé de quelqu’un avec quelque chose. En d’autres termes, les énoncés ne forment pas la couche originaire de la signification. Il faut donc chercher par-delà les énoncés, au besoin en les mettant entre parenthèses, ce que Foucault appelle les pratiques discursives, concept par lequel Foucault cherche à mettre un terme à la souveraineté absolue du sujet auteur ou interprète de son texte. C’est pourquoi il me semble que sa lecture de Descartes (mais Foucault fait-il seulement une « lecture » des textes qu’il utilise ?) ne peut se comprendre que dans la perspective d’une reconstruc- tion de la pensée cartésienne en fonction, non pas comme Heidegger d’une histoire de l’être, mais en fonction d’une histoire de la subjectivité, c’est-à- dire des formes au travers desquelles l’individu est appelé à devenir sujet. Il paraît donc stérile et vain de se demander (ou de feindre de se demander) si la lecture que Foucault fait de Descartes est une lecture fidèle ou exacte comme si on ignorait que son projet n’est pas d’expliquer Descartes mais de faire une estimation de la portée de la pensée cartésienne dans la perspective, propre à Foucault, d’une histoire de la subjectivité. Quel effet cette pensée induirait-elle dans cette histoire, entre un moment qu’elle viendrait clore (celui où la priorité revient au souci de soi), et l’époque qu’elle inaugure marquée par la domination de la question de la connaissance de soi ? Quel sens, autrement dit, peut-on donner au « moment cartésien » dès lors qu’on admet que sa signification peut être relativement distincte de la signification directe ou obvie des énoncés fondamentaux contenus dans les textes de Descartes ? Cette perspective plus large peut faire apercevoir, par exemple, une conjonction qui fait question entre uploads/Philosophie/ la-question-de-la-subjectivite-p-guenancia.pdf
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- Publié le Fev 23, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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