Littérature La Bildung et le « sens de la langue » : Wilhem von Humboldt Mme El
Littérature La Bildung et le « sens de la langue » : Wilhem von Humboldt Mme Eliane Escoubas Abstract Bildung and « linguistic sense »: Wilhem von Humboldt. The link between literature and philosophy in German idealism works itself out through and in language and through a renewal of the understanding of language exemplified in Humboldfs "Einleitung zur Kawi-werk", where language is theorised as the means for and locus of the Kantian synthesis, while the temporal dimension of language dynamises the Kantian system. Citer ce document / Cite this document : Escoubas Eliane. La Bildung et le « sens de la langue » : Wilhem von Humboldt. In: Littérature, n°86, 1992. Littérature et philosophie. pp. 51-71; doi : 10.3406/litt.1992.1545 http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1992_num_86_2_1545 Document généré le 01/06/2016 Eliane Escoubas, Université de Toulouse-le-Mirail LA BILDUNG ET LE « SENS DE LA LANGUE » : WILHEM VON HUMBOLDT La grande période de l'idéalisme allemand aura été sans doute celle où naît la littérature, celle où la littérature découvre son nom, devient « littérature ». Pourquoi cette coïncidence ? Cette coïncidence s'enracine sans aucun doute au sein de la « langue » comme le lieu commun à la philosophie et à la littérature ; philosophie et littérature sont œuvres de langue. Encore faut-il, pour que la conjonction se produise, que la langue soit déterminée autrement que comme un moyen d'échanges, un outil pour une pensée d'abord silencieuse, une doublure d'une pensée pré-existante. Ce fut la tâche de Wilhem von Humboldt 1 d'élaborer ce qu'il nomme le « sens de la langue » (Sprachsinn), rejetant toute théorie de la langue comme outil (Werhyug), mais non toute théorie de l'usage (Gebrauch). « Sens de la langue » où se rencontrent sans fin, s'ajustent et se distinguent philosophie et littérature. Avec Humboldt, langue et pensée sont indéfectiblement unies : la langue est « l'organe de l'être intérieur, cet être même » (das Organ des inner en Seins, dies Sein selbst - p. 383), elle est « l'organe formateur de la pensée » (das bildende Organ des Gedanken - p. 426) ; cette formation (Bildung) de la pensée, qu'assure la langue, assure à son tour la langue comme « travail de l'esprit» (Arbeit des Geistes ou Geistesarbeit). Travail de 1. Nous travaillerons ici essentiellement le texte que Humboldt avait conçu comme introduction à son étude de la langue Kavi : Ober die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluss auf die geistige Entwicklung des Menschengeschlechts (1830-1835) — que nous désignerons par : Einleittmg %um Kawi-werk ou Einleitung. Nos références de pages sont faites au texte allemand dans les Werke {Band III, Darmstadt, Cotta Verlag — 5. Auflage 1979)- Le lecteur pourra se reporter aisément à la traduction française dans le recueil Introduction à Pauvre sur le Kavi et autre essais (trad, et introduction par P. Caussat - Paris, Seuil 1974) où la pagination de l'édition allemande utilisée ici est indiquée dans les marges. Nous modifions la traduction. 51 Le sens de la l'esprit : tel est le point de convergence de toute l'analyse humboldtienne de la langue. Prenons d'abord trois séries de repères terminologiques dans YEinleitung %um Kawiwerk : 1) Sprachsinn et Bi/dung des Menschen s'avèrent identiques : la formation de l'homme va de pair avec la constitution d'une « sensibilité » qui n'a pas de « sens propre », avec le sens de la langue (nous verrons jusqu'à quel point il est comparable au « sens commun » kantien). Le Sprachsinn est la Bildungsfàhigkeit — capacité de formation. La découverte humboldtienne tient dans cette affirmation selon laquelle la Bildungsfàhigkeit est capacité universelle de l'homme, constitue l'humanité de l'homme, mais que précisément ce à quoi elle « forme », son « résultat », réside dans la « différence » (Verschiedenheit), des langues, des nations, etc. D'où l'expression de nationelle Sprachsinn. Il y aurait donc un sens universel de la différence : double jeu du Sprachsinn et de la Bildung. Dès lors, on le verra, ce sens universel de la différence sera aussi « un sens de l'histoire » : Sprachsinn et Sinn der Geschichte 2 s'entrelacent. 2) Selbstbildung et Weltgestaltung (p. 404) — formation de soi et configuration 3 du monde — sont les deux faces conjuguées du Sprachsinn. Le soi et le monde se rassemblent dans la langue ; le terrain de la langue est celui de Y expérience : expérience de soi et expérience du monde. Mais il ne s'agit plus ici de l'expérience kantienne comme sol de la connaissance ; l'élaboration humboldtienne de l'expérience peut bien être dite question transcendan- tale — en tant que sémantique transcendantale — mais elle prend une autre tournure que l'expérience kantienne. La visée humboldtienne n'est plus, comme chez Kant, une visée de connaissance, mais une visée de formation. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que là où, chez Kant, il y avait un abîme : entre la raison théorique et la raison pratique, il y a ici un pont. Aussi le devenir-moral et le devenir-humain (Gesittung, V ermenschlichung - p. 387) sont-ils déplacés du règne de la seule raison pratique vers le règne de la pensée ou plutôt de la Bildung; il ne s'agit plus d'agir selon des maximes universelles, mais de penser universellement la différence (ainsi, la mauvaise action, l'immoralité 2. Nous renvoyons au texte de Humboldt : Ober die Aufgabe des Geschichtschreibers (1821), in Werke, Band I, même édition. Pour la traduction française, voir le recueil ci-dessus indiqué, ainsi qu'une autre traduction par Disselkamp et Laks : La tâche de l'historien (P.U.L. 1985). 3. Nous traduisons Gestaltung par configuration où il faut entendre le sens actif du terme et non le sens structural ou distributif. 52 Littérature et philosophie résulte-t-elle, peut-on dire, d'un mal-penser de la différence). La langue humboldtienne n'est donc pas un moyen d'échange ( Austauschungsmittel) , mais l'activité de formation des hommes, y compris la formation morale. 3) Zivilisation, Kultur et Bildung (p. 401), qui s'ajointent sans se recouvrir. La civilisation est constituée par les formes du vivre-ensemble en tant que modes de la vie quotidienne et de la socialite : « l'humanisation des peuples dans leurs organisations et usages extérieurs et la manière de penser correspondante » ; la culture est définie par les formes du savoir : par « l'état social de la science et de l'art » ; quant à la Bildung, « nous signifions par là, écrit Humboldt, quelque chose qui est à la fois plus élevé et plus intérieur, à savoir la disposition qui, partant de la connaissance et du sentiment qu'on a de l'aspiration spirituelle et morale tout entière, se répand harmonieusement sur la sensibilité et le caractère » — ce qui veut dire que la Bildung est « le mode de penser et de sentir de l'homme » {die Denks- und Empfindungsweise des Menschen - p. 408). Dès lors, nous poserons la question suivante : comment l'œuvre humboldtienne s'enracine-t-elle dans l'œuvre kantienne ? Comment s'y enracine-t-elle, malgré cette centration de toute l'analyse autour de la Bildung ou « sens de la langue » qui avait échappé à Kant ? Nous établirons notre hypothèse de travail en deux étapes : a) l'œuvre humboldtienne s'enracine dans l'œuvre kantienne : la Bildung humboldtienne colmate la brèche kantienne du sujet et de l'objet, ou de la sensibilité et de l'entendement ; la Bildung humboldtienne apparaît alors comme une simple réplique de YEinbildungskraft, de l'imagination de la Critique de la Raison pure. Cette face kantienne de l'œuvre humboldtienne s'élabore, on le verra, autour de la détermination de la langue comme organisme — Organismus. b) Mais l'œuvre humboldtienne se sépare de l'œuvre kantienne. Tout d'abord, en ce que le statut philosophique ou transcendantal de la langue n'est jamais véritablement aperçu par Kant — même dans la Critique de la ¥ acuité de juger où, pourtant, l'expérience n'est plus limitée à une problématique de la connaissance, où le jugement esthétique, en tant que jugement réfléchissant, assure un « élargissement » (Erweiterung — le terme est de Kant lui-même) de l'expérience hors des fonctions de la raison pure. C'est cet élargissement que Humboldt poursuit et désigne du nom de Bildung, qui désormais colmate la brèche de la nature et de Y esprit. Natur und Geist : ainsi Humboldt ouvre (avec 53 Le sens de la langue LA LANGUE COMME ORGANISME son époque tout entière 4) une problématique qui n'est plus celle de la connaissance, qui n'est plus celle de l'abîme entre le théorique et le pratique — problématique qu'il ouvre, en même temps qu'il la perturbe d'ailleurs par la mise en place de la notion de Bildung comme Sprachsinn — sens de la langue : une sensibilité qui n'a pas de sens propre. Cette face de l'œuvre humboldtienne, échappant à Kant, s'élabore autour de la détermination de la langue comme caractère — Charakter. Comme caractère, la langue n'est plus tenue et maintenue dans la langue, la langue s'excède elle-même : dans les textes, dans la littérature ; elle réside dans cet excès. Organisme et caractère : ainsi la Bildung ou « sens de la uploads/Philosophie/la-bildung-et-le-sens-de-la-langue-wilhem-von-humboldt.pdf
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- Publié le Jui 27, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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