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1 Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIV, n° 1-2, 1994, p. 135-156. ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000 Ce document peut être reproduit librement, à condition d’en mentionner la source. MISKAWAYH (320 H-/932-421) Nadia Gamal al-Din 1 Le IV e siècle de l’hégire (X e de l’ère chrétienne) fut l’un des plus florissants de la civilisation islamique. C’est dans ce siècle, qui vit les musulmans parvenir au stade le plus élevé de la maturité intellectuelle et du raffinement culturel et qui fut, pour bon nombre d’auteurs, le « siècle d’or » de cette grande civilisation 2, que naquit Ahmad b. Muhammad b. Ya’qub, dit Abou Ali, surtout connu sous le nom de Miskawayh ou encore Ibn Miskawayh. L’on sait aujourd’hui qu’il s’appelait Miskawayh, mais bon nombre d’écrits qui lui ont été attribués, en particulier ceux dont l’authenticité n’est pas sûre, portent en couverture le nom d’Ibn Miskawayh. Les quelques ouvrages dont l’authenticité est avérée le désignent comme étant Miskawayh nom par lequel le désignaient également les penseurs et gens de lettres qui étaient ses contemporains 3. Miskawayh a vécu au IV e siècle de l’hégire, et a connu au cours de sa longue vie, qui a empiété d’une vingtaine d’années sur le V e siècle et s’est donc entièrement déroulée sous la dynastie des Abbassides (132-656 de l’hégire), toutes les facettes du monde scientifique de son époque. Cette époque a vu les musulmans se lancer dans la traduction des œuvres scientifiques écrites en d’autres langues, et l’édition originale en arabe a ensuite pris le relais des traductions. Nombreux étaient alors les musulmans qui excellaient dans les différents branches du savoir. Devant le nombre croissant des traductions et des œuvres originales dans de nombreux domaines, et avec le développement de l’utilisation du papier, les califes ont entrepris de créer ce qui s’appelait alors Dar al-’ilm ou Dar al-hikma ( « maisons de la science » ou « maisons de la sagesse ») à Bagdad, au Caire, à Cordoue et dans d’autres villes du monde musulman. Ces institutions faisaient office de bibliothèques publiques, pour le lecteur ordinaire comme pour le spécialiste. Sont également apparues des « papeteries » qui vendaient ou louaient des livres, et une certaine compétition s’est instaurée entre les califes, vizirs, savants et autres, qui tous collectionnaient des livres, créaient des bibliothèques privées dans leurs palais et organisaient des conférences scientifiques pour débattre du contenu de ces ouvrages, à l’instar des colloques d’aujourd’hui. Miskawayh a lui-même exercé les fonctions de conservateurs de plusieurs bibliothèques de vizirs (ministres) de la dynastie iranienne des Buyides (en arabe Buwayhides), ce qui explique peut-être sa parfaite connaissance de la culture de son époque, une culture aux sources diverses et aux expressions multiples. Autodidacte, il a exploré à fond les diverses branches de la science et de la connaissance humaine. Né à Rayy, en Perse, de parents musulmans, il a émigré à Bagdad, où il a étudié, travaillé et acquis une certaine notoriété, puis est retourné en Perse, à Ispahan, où il est décédé, presque centenaire, et où il a très vraisemblablement été enterré. Miskawayh a été une personnalité marquante de la pensée philosophique chez les musulmans, mais sa notoriété était due, non comme on pourrait le penser de prime abord à son 2 travail d’enseignant ou à ses écrits sur l’éducation qui sont parvenus jusqu’à nous, mais à son activité de philosophe. Miskawayh admirait les philosophes grecs, dont les œuvres avaient fait l’objet de multiples traductions dues aux nombreux traducteurs de l’époque, mais, contrairement aux philosophes qui l’avaient précédé, notamment Farabi (260-339/873-950), que les musulmans appelaient le « second maître » (le premier étant Aristote), il ne s’est pas arrêté à la logique et à la métaphysique et a abordé des domaines que la majorité de ses prédécesseurs ou contemporains avaient négligé. De ces derniers, il se distinguait en effet par l’intérêt qu’il portait à la morale plus qu’aux autres branches de la philosophie traditionnelle de l’époque, ce qui a amené d’aucuns à l’appeler le troisième maître. Il était en fait le premier penseur de l’éthique chez les musulmans 4. Certes, Miskawayh était surtout connu en tant que moraliste, mais, à l’instar de tous les autres membres de l’élite intellectuelle musulmane, il était un grand admirateur des philosophes grecs les plus connus, Platon, Aristote, etc., dont les écrits avaient été, comme on l’a vu, traduits en arabe et fascinaient tous ceux qui s’adonnaient à la philosophie ou se passionnaient pour la philosophie 5. L’influence de Platon et d’Aristote est on ne peut plus manifeste dans Ta’dib al- Akhlaqwa Tathir al-a’raq [Traité d’éthique] de Miskawayh, mais celui-ci ne s’est pas inspiré uniquement des grands philosophes grecs. Il a lu et mentionné dans ses divers ouvrages d’autres philosophes moins connus, tels Porphyre, Pythagore, Galien, Alexandre d’Aphrodise et Bryson. A ce dernier, qui n’était guère connu, il a emprunté l’essentiel de sa pensée sur l’éducation des garçons, comme on le verra plus en détail par la suite 6. Miskawayh se distingue aussi très nettement des autres savants et philosophes musulmans par le fait qu’il citait clairement et franchement les sources auxquelles il empruntait, ce qui prouve son honnêteté scientifique et la grande admiration qu’il portait à toutes les œuvres qu’il avait lues dans les différentes branches du savoir pratiquées dans le monde islamique de l’époque. Il n’hésitait donc pas à récrire ces œuvres dans sa propre langue, l’arabe. Outre les philosophes grecs, Miskawayh a été également influencé par les philosophes et savants de l’Islam qui l’avaient précédé ou qui étaient ses contemporains, citant certains nommément dans ses écrits, par exemple al-Kindi et al-Farabi, et mentionnant simplement les idées de certains autres. Mais le principal trait distinctif de Miskawayh, et une preuve supplémentaire de sa grande admiration pour la philosophie grecque qu’il avait étudiée, réside peut-être dans le fait qu’il n’a pas cherché à concilier la religion et la philosophie, comme ont tenté de le faire plusieurs des philosophes musulmans qui l’avaient précédé, pas plus qu’il n’a voulu en faire la synthèse, à l’instar des soufis (Frères de la Pureté), par exemple. Il a exposé des idées fondamentalement grecques en les attribuant la plupart du temps à leurs véritables auteurs 7. La production scientifique de Miskawayh n’a pas été que philosophique et éthique. Elle comprend aussi une œuvre historique exceptionnelle ainsi que des travaux de chimie et des œuvres littéraires et autres, qui en font un homme d’une culture aux multiples facettes, reflet de l’époque où il a vécu, et d’une civilisation aux nombreux foyers qui a produit des œuvres à caractère encyclopédique 8. Parlant de son ouvrage sur la réforme des mœurs, Miskawayh précise qu’il « s’adresse à l’élite éprise de philosophie et non aux gens ordinaires » 9. Ces paroles prouvent on ne peut mieux la forte influence de la culture qui pénétrait alors le monde musulman, et écartent dans une certaine mesure Miskawayh de l’optique islamique, qui ignore l’élitisme dans le domaine scientifique. Cette idée que les sciences de l’esprit sont réservées à l’élite est en effet une idée éminemment grecque. 3 Éthique et éducation Le Traité d’éthique est l’ouvrage de Miskawayh qui a acquis le plus de notoriété du vivant de son auteur, et c’est sur son contenu que nous allons nous arrêter afin d’en tirer l’essentiel de la pensée de Miskawayh sur le sujet précis de l’éducation, encore que l’intention première de ce dernier était de montrer au lecteur la voie du bonheur suprême. Cette perpective peut être considérée comme une traduction concrète, ou une application dans la pratique, des partis pris théoriques de l’auteur, dont celui qui veut que « la réflexion précède l’action » 10, et que la connaissance précède l’action. Si le lecteur trouve le bonheur éthique et est influencé par le contenu du livre, de tous ses actes naissent de bonnes actions comme le dit l’auteur. On peut donc considérer que l’ouvrage de Miskawayh ouvre la voie du bonheur suprême à qui prend connaissance de son contenu, car la personnalité de l’apprenant et ses mœurs sont indissociables de la science qu’il étudie et du but qu’il cherche à atteindre par cette étude 11. Le deuxième chapitre (l’ouvrage en compte sept) est consacré à l’étude des créatures et de l’être humain et aux moyens d’éduquer les adolescents et les jeunes garçons, le premier chapitre étant consacré à l’âme et à ses vertus et le tout constituant une sorte d’introduction générale imposée par les usages de l’époque. Les études spirituelles avaient en effet préséance sur tout autre sujet philosophique et constituaient le préambule obligé de toute œuvre de philosophie. Le « bonheur éthique » est le bonheur qui permet à l’individu de trouver la quiétude en menant une vie vertueuse. Il s’agit donc d’un bonheur personnel que chacun peut atteindre par une action de l’intellect et un effort d’acquisition des sciences qui permettent à son esprit d’appréhender tous les aspects des choses et toutes les réalités et de se dégager des considérations matérielles pour atteindre le uploads/Philosophie/ la-theorie-de-l-x27-education-selon-al-miskawi.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2022
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