Vendredi, le 6 février 1998 Tom-Pierre Frappé-Sénéclauze La parapsychologie à l

Vendredi, le 6 février 1998 Tom-Pierre Frappé-Sénéclauze La parapsychologie à la lumière de Popper : science ou pseudo-science ? Une étude appliquée du critère de démarcation poppérien Mémoire remis à l’organisation du Baccalauréat International Collège François-Xavier-Garneau Québec 2 TABLE DES MATIÈRES Introduction 3 Genèse du critère de démarcation poppérien : Popper contre les empiristes (induction et nature des théories) 4 Une nouvelle définition, un nouveau critère 6 De nouvelles règles 8 Examen critique de la parapsychologie : De la réfutabilité des énoncés de probabilité 9 Des « stratégies immunisantes » de la parapsychologie 10 Des théories parapsychologiques 13 Les rationalistes face à la parapsychologie, ou la sécurité de l’a priori 16 Annexes Annexe 1 : Aperçu des recherches en parapsychologie 18 Annexe 2 : À propos des théories parapsychologiques 25 Annexe 3 : Le problème de la décidabilité des énoncés de probabilité 27 Bibliographie 28 Remerciements 29 3 Les sombres époques médiévales où l’on brûlait à qui mieux-mieux toute personne sur qui planait un soupçon diabolique sont belles et bien révolues. Toutefois, dans nos sociétés occidentales où on dit pourtant la science triomphante, la superstition a su se garder une place au soleil. En France, le marché de la voyance et de l’astrologie avoisine les 8 milliards de francs par années1; aux États-Unis, 5 millions d’Américains dépensent plus de 200 millions de dollars l’an pour faire vivre 200 000 astrologues de métier et 20 magazines d’astrologie2. Le besoin de se rattacher à une croyance, l’attrait du magique, l’espoir d’un ordre nouveau qui dirigent les foules vers ces royaumes de l’irrationnel ne sont pas l’exclusivité d’une masse plébéienne : ils atteignent aussi le scientifique, humain avant tout. Devant cette faiblesse propre à notre espèce et qui peut entraver la quête du savoir objectif, la philosophie des sciences ne peut que prêcher la rigueur ; mais elle doit agir avec doigté : entre l’irrationalité et le dogme, entre la superstition et l’Inquisition épistémologique, l’équilibre est parfois difficile à trouver. Un juste milieu nous semble pouvoir être atteint dans la philosophie de Sir Karl Raimund Popper. Tout en permettant d’échapper au dogme et à l’obscurantisme par une constante remise en question, par l’exigence d’une totale soumission de tout système scientifique ou social au test et à la critique, le rationalisme critique prôné par Karl Popper répond au besoin rationnel de fondement, qu’il situe dans la validité logique de la réfutation. Cette frontière si floue entre science et non-science, Popper la clarifie par son critère de démarcation : la réfutabilité. Ainsi armée d’un moyen valide et obligatoire de sélection des théories, la science peut avancer, par conjectures et réfutations. Les théories refusant de se prêter au jeu du test sont condamnées à croupir dans le marécage des pseudo-science, ou à s’affirmer comme métaphysiques. Mais si ce critère de démarcation semble bien fonctionner en théorie, ou appliqué à des cas purs de sciences empiriques comme la physique, par opposition à des théories qu’il vise précisément à rejeter hors des limites de la science, comme la psychanalyse et le marxisme, quelle est son efficacité réelle face aux cas limites, oscillant entre scientificité et pseudo-scientificité ? 1 Gilbert Picard, La France envoûtée, Paris, Éditions Le Caroussel-FN, 1986, p.12 ; cité par Jean-Claude Simard (1989). 2 John Manolesco, Scientific Astrology, New York, Pinnacle Books, 1973, p. 91 ; cité par Jean-Claude Simard (1991). 4 C’est dans cette perspective d’une application pratique et concrète du critère de démarcation poppérien que nous avons décidé d’y soumettre la parapsychologie dite scientifique. Taxée d’irrationalisme par la pensée « épistémologiquement correcte » contemporaine, pour reprendre l’expression de Bertrand Méheust, l’étude des phénomènes psi3 n’en continue pas moins de se prétendre scientifique. Qu’en aurait pensé Popper ? Parapsychologie, science ou pseudo- science ? C’est la question à laquelle nous tenterons de répondre, à la lumière du critère de démarcation poppérien. Nous nous assurerons d’abord de la validité et de notre bonne compréhension de l’outil en parcourant les grandes lignes de sa genèse et en situant son contexte. Puis, au fait de la méthodologie poppérienne, nous tenterons de répondre à cette simple question : « Les théories parapsychologiques sont-elles réfutables ? » Popper contre les Empiristes ( induction et nature des théories ) Toute la méthodologie poppérienne se fonde sur le refus initial de la vision inductiviste de la science. Dans La Logique de la découverte scientifique, Popper montre en quoi la position défendue par le cercle de Vienne, caractérisant les sciences empiriques par leur utilisation d’une « méthode inductive » est erronée, bien que largement répandue. Les empiristes les plus purs croient ainsi que l’on établit la vérité des lois ou des théories scientifiques par un processus d’inférence inductive permettant d’affirmer la vérité d’un énoncé universel à partir d’un ensemble d’énoncés singuliers issus de l’observation ou de l’expérimentation. Or, l’induction est un mode d’inférence non valide en stricte logique : la vérité des prémisses (énoncés singuliers), aussi nombreuses soient-elles, ne saurait jamais garantir la vérité de la conclusion, un énoncé universel4. Le seul moyen dont disposent les empiristes pour justifier logiquement les inférences inductives repose sur l’établissement d’un principe d’induction ; « un énoncé à l’aide duquel nous 3 Psi (ψ), 23e lettre de l’alphabet grec, première syllabe du mot « psyché », est utilisée pour nommer les communications paranormales avec l’environnement (ESP, PK) liées à des facultés méconnues du cerveau. On peut l’utiliser comme nom (le psi) ou comme adjectif ( les phénomènes psi, la fonction psi, etc.). 4 L’observation de mille et un cygnes blancs et corbeaux noirs n’exclura jamais la possibilité d’un blanc corbeau et d’un cygne noir, et ne saurait vérifier des lois universelles telles que « tous les corbeaux sont noirs » et « tous les cygnes sont blancs ». 5 pourrions faire des inférences inductives dans une forme logique acceptable.5 » L’existence d’un tel principe est d’une importance capitale pour la méthode scientifique aux yeux des défenseurs de la logique inductive : « Ce principe détermine la vérité des théories scientifiques. L’éliminer de la science ne signifierait rien de moins que priver celle-ci de son pouvoir de décider de la vérité ou de la fausseté de ses théories. Il est clair que sans lui la science ne garderait plus longtemps le droit de distinguer ses théories des créations fantasques et arbitraires de l’esprit du poète.(...) le corps scientifique tout entier accepte sans réserves le principe d’induction et, dans la vie quotidienne également, personne ne met ce principe sérieusement en doute6. » Mais Popper rejette ce principe, qu’il juge superflu ; s’il est effectivement nécessaire pour prétendre « décider de la vérité » d’une théorie, il ne l’est pas, nous le verrons, pour en décider la fausseté. Ce principe semble de plus impossible à justifier ; si on tente de considérer sa vérité comme « connue par expérience », on se confronte au même problème de l’induction : la justification de cet énoncé (universel) à partir d’énoncés singuliers issus de l’expérience nécessiterait l’existence d’un autre principe d’induction, d’un ordre supérieur posant le même problème, entraînant ainsi une régression à l’infini7. Popper juge en fait les difficultés attachées à la logique inductive insurmontables. Même la doctrine considérant l’induction, bien que non valide au sens strict, comme une inférence capable d’atteindre « un certain degré de « véridicité », ou de « probabilité » », n’est pas, selon lui, justifiable8. 5 Karl Popper, La Logique de la découverte scientifique, p.24. (On référera à partir de maintenant à cette oeuvre en utilisant l’abréviation LDS) 6 H. Reichenbach, Erkenntnis, 1930, p.186 ; cité dans LDS, p. 24. 7 Kant tenta bien de justifier ce principe d’induction, ou, en ses termes, « principe de causalité universelle », en le considérant comme « valide a priori », comme tout les autre énoncés synthétiques. Mais Popper rejette ce point de vue, ne considérant pas son essai concluant. (LDS, p. 25) 8 « Ceux qui croient en la logique inductive se font de la probabilité une idée que je rejetterai plus loin : elle est tout à fait inadéquate à leurs propres propos. Je peux méconnaître ce fait pour le moment car un recours à la notion de probabilité n’effleure même pas les difficultés mentionnées. En effet, s’il faut assigner un certain degré de probabilité à des énoncés fondés sur une inférence inductive, on devra justifier cette démarche en faisant appel à un nouveau principe d’induction modifié de façon appropriée. Ce nouveau principe devra à son tour être justifié et ainsi de suite. Rien n’est gagné, du reste, si le principe d’induction est à son tour considéré non comme « vrai » mais comme « probable ». En somme, comme toute autre forme de logique inductive, la logique de l’inférence probable ou « logique de la probabilité » conduit soit à une régression à l’infini, soit à une doctrine de l’apriorisme. »(LDS, p. 26) 6 Les empiristes ont encore tort quand ils considèrent le fait scientifique comme un simple fait d’observation, quand ils prétendent construire la science à partir du rassemblement de simples constatations observationnelles singulières, ou uploads/Philosophie/la-parapsychologie-a-la-lumiere-de-popper.pdf

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