La théorie de la dissonance cognitive Écrit par David Vaidis et Séverine Halimi

La théorie de la dissonance cognitive Écrit par David Vaidis et Séverine Halimi-Falkowicz une théorie âgée d’un demi-siècle Pour la théorie de la Dissonance cognitive, l’année 2007 est une date anniversaire. En effet, voilà cinquante ans, Festinger publiait l’ouvrage princeps sur la théorie, devenue depuis une théorie majeure de la psychologie sociale. Selon la théorie de la dissonance cognitive, lorsque les circonstances amènent une personne à agir en désaccord avec ses croyances, cette personne éprouvera un état de tension inconfortable appelé dissonance, qui, par la suite, tendra à être réduit, par exemple par une modifi cation de ses croyances dans le sens de l’acte. Notre article se propose de présenter cette théorie dans ses grandes lignes. Séverine Halimi-Falkowicz a réalisé sa thèse sous la direction de Robert-Vincent Joule et elle est actuellement membre du laboratoire de psychologie sociale de l’Université de Provence (EA894). David Vaidis est doctorant sous la direction de Patrick Gosling et il est actuellement membre du laboratoire de psychologie sociale de l’Université Paris 10 (EA3984). Leurs intérêts de recherche portent tous deux sur la dissonance cognitive, le concept d’Engagement et les procédures d’infl uence sociale. Les travaux de Séverine Halimi-Falkowicz l’ont amenée à reconsidérer le Rôle des cognitions d’engagement dans la théorie de la dissonance. Quant à David Vaidis , il s’intéresse plus précisément aux conditions minimales de l’éveil de la dissonance et au paradigme de l’infi rmation des croyances. Dans les expériences sur la dissonance, on amène par exemple le sujet à donner des arguments en faveur de la peine de mort alors qu’il est contre (il réalise donc un acte dit « problématique »). La réalisation de cet acte l’amène à ressentir un état d’inconfort. On étudie ensuite les conséquences en termes d’opinions ou de comportements liées à cet inconfort : le sujet se prononcera par exemple, en définitive, comme étant moins défavorable à la peine de mort qu’il ne l’était auparavant (il ajustera son attitude initiale, de manière à la rendre davantage conforme à l’acte problématique réalisé). Aussi étonnant que cela puisse paraître, lorsque nous sommes amenés à agir contrairement à nos convictions, nous avons ainsi tendance à justifier nos actions et à adapter nos opinions à nos comportements. Mais sans aller jusqu’à la peine de mort, nous sommes tous régulièrement confrontés, dans notre quotidien, à cet état d’inconfort qu’est la dissonance : quand nous venons de dire un petit mensonge, quand nous venons de faire un choix difficile, ou encore, quand ce qui nous paraissait évident s’avère être démenti, etc. La théorie de la dissonance cognitive présente une modélisation de ces phénomènes et nous explique finalement comment l’être humain réagit lorsqu’il possède à l’esprit deux éléments incompatibles l’un avec l’autre. Genèse de la théorie Léon Festinger. La théorie de la dissonance cognitive (1957) est l’une des théories les plus connues de la psychologie sociale, et Festinger, son auteur, pourrait être considéré, selon Zajonc (1990), comme le Picasso de la discipline1. Après plus de 50 ans d’existence, la théorie continue de générer des recherches innovantes. Elle a été élaborée aux États-Unis par Léon Festinger (1919-1989), professeur en psychologie sociale à l’Université Stanford (Palo Alto, Californie), à tout le moins une grande partie de sa carrière. Festinger fait ses débuts auprès de Kurt Lewin (1890-1947), que la plupart des chercheurs en psychologie sociale estiment être le père de la discipline. Il formule, dans un premier temps, une théorie majeure de la psychologie sociale, à savoir la théorie de la comparaison sociale en 1954, puis, dans un second temps, la théorie de la dissonance cognitive avec un premier ouvrage de synthèse en 1957. Un séisme en Inde. Les travaux sur la théorie de la dissonance cognitive ont été financés, à l’origine, par une bourse de recherche attribuée par la Ford Foundation en 1951, qui s’intéressait aux médias de masse et à la communication interpersonnelle. Historiquement, les premières recherches ont poussé l’équipe dirigée par Festinger à s’intéresser à la diffusion de rumeurs s’étant propagées en Inde en 1934 suite à un tremblement de terre. Plus précisément, les scientifiques cherchaient à comprendre pourquoi, après un grave séisme, une communauté dont les voies de communication ont été coupées du reste du monde faisait circuler des rumeurs annonçant une réplique du séisme encore plus désastreuse : Festinger et ses collègues, qui étaient intrigués par les mécanismes amenant des personnes rendues anxieuses par un événement catastrophique à s’attendre à un événement encore pis, supposèrent que ce phénomène devait reposer sur un mécanisme psychologiquement « utile ». L’équipe de chercheurs posa alors les bases d’une théorie : l’individu est à la recherche d’un équilibre cognitif qui, lorsqu’il est rompu, génère un état de tension, lequel motive à son tour l’individu à tendre vers un univers cohérent2. Selon eux, suite à la survenue du séisme, les membres de la communauté auraient eu besoin d’informations sur les répliques potentielles de ce séisme afin de maîtriser leur environnement. Anxieux, sans que cela soit a priori justifié (du fait du manque d’informations), les membres de la communauté auraient développé une stratégie visant à réduire et justifier leur anxiété : donner de l’importance à des rumeurs allant dans le sens de la survenue d’une nouvelle catastrophe. Ainsi, l’individu rend son univers cohérent en trouvant des explications à son anxiété. Il fallut ensuite à Festinger environ six années pour déterminer les caractéristiques essentielles de la théorie de la dissonance cognitive à proprement parler. 1. “This is saying on the one hand that experimental social psychology is in some ways a form of art, and on the other that Festinger was experimental social psychology’s Picasso” (Zajonc, 1990, p. 661). 2. Notons que cette ébauche de théorie se dissocie de la théorie de l’équilibre proposée par Heider (1946), du fait même de la notion de motivation. Au coeur de la théorie Une théorie de la consistance ? La théorie de la dissonance émerge dans les années 50, alors que les théories les plus en vogue reposent sur un principe dit de « consistance » : l’Homme cherche à maintenir un certain équilibre Interne, en essayant de faire en sorte que les éléments de son univers personnel (opinions, agissements, etc.) soient consistants les uns par rapport aux autres. La théorie de l’équilibre de Heider (1946), par exemple, est une bonne illustration de ces théories : prenons le cas de Madame O. qui apprend que son amie (A) adore la corrida (C), alors qu’elle s’y oppose farouchement (O) (déséquilibre) ; la triade ACO sera « rééquilibrée » soit si l’amie de Madame O. renonce à la corrida, soit si Madame O. renonce à leur amitié. Si la théorie de la dissonance a pu être associée aux théories de la consistance dans un premier temps, ce n’est plus le cas aujourd’hui : la théorie de la dissonance cognitive présente notamment, en effet, un caractère motivationnel qui la démarque des autres théories. Un animal rationalisant. Selon Festinger (1957), les individus ajusteraient a posteriori leurs opinions, croyances et idéologies au comportement qu’ils viennent de réaliser. Ainsi, si habituellement, nous nous attendons à ce que l’Homme soit un être rationnel qui agit sur la base de ses convictions, ici le lien est inversé : l’Homme justifie après coup son comportement en ajustant ses convictions à ce comportement, en « animal rationalisant » selon Elliot Aronson (1972). La théorie de la dissonance est en ce sens une théorie contre intuitive. Univers de pertinence de la théorie. L’unité de base de la théorie de la dissonance cognitive est la cognition, définie comme tout élément de « connaissance, opinion ou croyance sur l’environnement, sur soi-même ou sur son propre comportement » (Festinger, 1957, p. 9). Les différentes cognitions peuvent entretenir entre elles trois types de relations : la dissonance, la consonance, ou la neutralité. Deux cognitions sont dissonantes quand elles ne vont pas bien ensemble (e.g., « je fume » + « je sais que fumer tue »), consonantes quand elles vont bien ensemble (e.g., « je fume » + « j’aime fumer »), ou neutres quand elles n’ont aucun rapport (e.g., « je fume » + « il fait beau »). Éveil de la dissonance. Selon Festinger (1957), toute relation de dissonance entre cognitions amènerait l’individu à ressentir un état d’inconfort psychologique appelé « dissonance ». Afin de dissocier conceptuellement la relation de dissonance et l’état de dissonance, Robert-Vincent Joule (1986) propose de parler de « relation d’inconsistance » (vs. consistance), et de réserver le terme de « dissonance » à l’état de dissonance (terminologie que nous adopterons dès lors). Tout comme la faim ou la soif motive l’individu à boire ou à se restaurer, l’état de dissonance serait lui-même motivant (drive) : il motiverait l’individu à réduire son inconfort psychologique. Un état de motivation quantifiable. Festinger et Carlsmith (1959) proposent de quantifier cet état via l’établissement d’un taux de dissonance (Taux de dissonance = I / [I + C]) : ce taux se définit comme le rapport de l’ensemble des cognitions inconsistantes (I) sur la somme de l’ensemble des cognitions inconsistantes et des cognitions consistantes (I + uploads/Philosophie/ la-theorie-de-la-dissonance-cognetive.pdf

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