Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Serge Proulx et Guillaume Latzko-Toth Sociologie et sociétés, vol. 32, n° 2, 2000, p. 99-122. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/001598ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 4 November 2009 « La virtualité comme catégorie pour penser le social : l’usage de la notion de communauté virtuelle » Le virtuel, tant vanté, est un terme de plus en plus utilisé qui a tendance à remplacer celui de réseau dans le langage courant, et subit les mêmes variations et glissements. En fait, tout comme le concept de réseau, c’est une notion passerelle, qui sert à rejoindre les contraires, à en faire une seule entité, dans une formule qui est le véritable chiffre du réseau contemporain sous la forme d’Internet. Lucien Sfez (1999, p. 22) C et article est né d’un constat : le recours de plus en plus fréquent — dans la lit- térature scientifique aussi bien que sous la plume des journalistes — à la notion de «virtuel» pour qualifier des phénomènes et des réalités d’ordre social. Ainsi, princi- palement dans les articles et ouvrages récents de langue anglaise, mais également dans de nombeux travaux de langue française, on retrouve l’adjectif associé à des notions et concepts aussi divers que : culture, société, communauté, démocratie, université, en- treprise, territoire et géographie, pour ne citer que les plus marquants. Emblématique de cette tendance, l’expression «communauté virtuelle» s’est diffusée rapidement dans le vocabulaire courant par le biais des médias, au point d’être presque un cliché au- jourd’hui. Cette naturalisation d’un néologisme mis à l’avant-scène par l’ouvrage de Howard Rheingold (1993, 1995 : trad. française) a accompagné celles de «réalité virtuelle» et de «cyberespace». S’appuyant sur une étude statistique de la fréquence de l’expres- sion «réalité virtuelle» dans la presse écrite entre 1988 et 1993, Biocca et al. (1995, p. 5-6) serge proulx Groupe de recherche sur les médias Département des communications Université du Québec à Montréal C.P. 8888, Succ. Centre-ville Montréal (Québec), Canada H3C 3P8 courriel : proulx.serge@uqam.ca guillaume latzko-toth Groupe de recherche sur les médias Département des communications Université du Québec à Montréal C.P. 8888, Succ. Centre-ville Montréal (Québec), Canada H3C 3P8 courriel : latzko-toth.guillaume@uqam.ca 99 La virtualité comme catégorie pour penser le social : l’usage de la notion de communauté virtuelle parlent à son propos de «trajectoire météorique» et y voient un symbole «à la fois de notre enthousiasme et de notre ambivalence à l’égard des transformations sociales et culturelles [qui accompagnent le développement] technologique1». Tout se passe comme si l’inflation des discours visant à promouvoir ce que Philippe Quéau (1993) appelle les «techniques du virtuel» avait stimulé l’ouverture ou la réou- verture de grands chantiers théoriques dans pratiquement toutes les disciplines des sciences sociales et humaines (sociologie, anthropologie, sciences politiques, histoire, géographie et études urbaines, linguistique, études littéraires, communication), en pas- sant par la philosophie (Holmes, 1997a). Réalité virtuelle, communauté virtuelle et réalité sociale sont les thèmes récurrents de ces réflexions, souvent polémiques, qui proposent généralement un ré-examen de problématiques anciennes à la lumière de la notion de virtuel. Or, en regard de l’abondance de ces écrits, les réflexions sur la perti- nence du recours à cette notion pour éclairer des réalités sociales sont pratiquement inexistantes. Cette notion apporte-t-elle quelque chose de nouveau? Si oui, est-elle toujours appliquée à bon escient? Ne risque-t-on pas de verser dans l’effet de mode, influencé par le jargon des informaticiens lui-même repris par les spécialistes du mar- keting? Comment la notion de virtualité pourrait-elle s’articuler à une description fine des nouveaux usages sociaux liés à la réticulation technique des territoires humains? Dans le but d’esquisser une réponse à ces questions, nous proposerons dans ce texte un premier repérage, une première cartographie de l’usage de la virtualité dans un corpus de textes récents et qui nous ont semblé significatifs en sciences sociales2. En effet, la première difficulté à laquelle nous sommes confrontés lorsque nous essayons d’aborder de manière critique cet ensemble de travaux, c’est que chaque auteur s’ap- puie sur sa propre définition du virtuel sans toutefois, en général, l’expliciter. Ainsi, dans la plupart des articles de notre corpus où il est question de communautés virtuelles, l’expression n’est définie que vaguement, renvoyant à une notion de virtualité encore plus floue — au point que l’on est tenté de parler de «virtualité» de la virtualité dans les sciences sociales. À cet égard, le constat de Fernback et Thompson (1995) est toujours d’actualité : «La communauté virtuelle est encore un concept amorphe en raison du manque de modèles mentaux partagés sur ce que constitue exactement une commu- nauté dans le cyberespace.» C’est d’ailleurs parce qu’elle semble cristalliser les principaux malentendus et ambi- guïtés qui caractérisent le rapprochement du social et du virtuel que nous avons choisi 100 sociologie et sociétés vol. xxxii.2 1. La plupart des citations de textes en anglais résultent d’une traduction libre de notre part. Dans les cas où une édition traduite en français nous était disponible, c’est d’elle que nous tirons les citations, et c’est elle qui apparaît dans la bibliographie. 2. Cette étude, essentiellement inductive dans son approche, ne prétend pas s’appuyer sur un corpus exhaustif, mais plutôt sur un échantillon exploratoire de textes (au sens des méthodologies qualitatives). Nous avons ainsi privilégié une certaine cohérence en ne conservant, à quelques rares exceptions près, que des textes de nature académique (monographies, chapitres d’ouvrages collectifs, articles, textes de communications scientifiques) qui se proposaient de faire le point sur ces objets d’étude en émergence que sont les nouveaux espaces sociaux issus de la rencontre entre les technologies numériques et les réseaux de communication. Nous croyons que notre échantillon, malgré son caractère exploratoire, atteint ainsi une certaine représentativité de la production intellectuelle dans ce domaine. de nous concentrer ici sur l’expression «communauté virtuelle». Elle se retrouve en effet au cœur d’un débat à plusieurs niveaux, puisqu’elle ravive un questionnement lancinant en sociologie : la définition même de la communauté en tant que forme d’organisation sociale et figure de la vie en société. De fait, si l’on s’en tient à la défini- tion traditionnelle formulée par Tönnies (1887) de la notion de communauté (Gemeinschaft), il s’agirait d’un collectif fondé sur la proximité géographique et émo- tionnelle, et impliquant des interactions directes, concrètes, authentiques entre ses membres. Il est donc a priori paradoxal d’y associer le qualificatif «virtuel», qui renvoie dans notre imaginaire à l’idée d’abstraction, d’illusion et de simulation. La question est également posée de l’utilité de forger un nouveau concept et du choix des mots pour le nommer (Tremblay, 1998). Quel phénomène social nouveau est-il censé décrire et éclairer? En effet, le contexte d’une prolifération de discours visant à souligner le caractère radicalement nouveau des technologies informatiques de communication (Mosco, 1998; Markley, 1996) incite à la circonspection. D’ailleurs, l’effet de flou terminologique créé par la coexistence d’une grande variété d’expres- sions voisines et souvent employées comme synonymes — communautés en ligne (online communities) ou médiatisées par ordinateur, communautés électroniques, télé, cyber- ou technocommunautés, technosocialité, etc. — et la prudence dont font mon- tre certains auteurs dans l’emploi de l’expression «communauté virtuelle» semblent traduire un certain malaise. Notre propos n’est cependant pas de nous ériger en arbitres du choix des mots, et encore moins de dénoncer ou de légitimer l’emploi de la notion de communauté virtuelle.Au contraire, nous pensons qu’au-delà de ses qualités et défauts intrinsèques, la persistence de cette expression — qui de statut de néologisme est en voie de passer à celui de champ de recherche émergent, s’explique précisément par son caractère dérangeant (Wilbur, 1997), et qu’il ne faut pas négliger non plus son aspect perfor- matif. Plutôt que de nous positionner dans ce débat, nous préférons donc porter sur celui-ci un regard transversal et latéral, et tenter d’en dégager ce qui nous semble être les ressorts et les enjeux principaux de cette propension récente à penser le social à l’aune du virtuel. 1. visions de la virtualité et figures de la communauté virtuelle 1.1 Entre l’ersatz et le sublime : les trois conjugaisons du virtuel L’étymologie de l’adjectif «virtuel» fait surgir plus d’ambivalences qu’elle n’apporte d’éclaircissements, ce qui explique en partie la grande variabilité de son sens et la con- fusion qu’elle entraîne (Wood, 1998, p. 4.). Blaise Galland (1999) note que «l’histoire du vocable “virtuel”est tributaire de l’usage social qui en est fait».Ainsi, Pierre Lévy (1995, p. 13) rappelle que le mot provient du latin médiéval virtualis dérivant lui-même de virtus qui signifie littéralement «force, puissance». uploads/Philosophie/ la-virtualite-comme-categorie-pour-penser-le-social.pdf
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- Publié le Apv 20, 2022
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