Commentaire de texte : Nietzsche, Aurore La philosophie classique telle que nou

Commentaire de texte : Nietzsche, Aurore La philosophie classique telle que nous l’a léguée Descartes met en avant le travail comme synonyme d’humanisation et de libération. En effet, en ce sens, le travail fait passer l’homme de l’animalité à l’humanité puisqu’il correspond à une activité caractéristique de l’être humain de transformation de la nature dans un but de production. Mais cette apologie du travail n’est pas véhiculée par tous. Friedrich Nietzsche, deux siècles plus tard, sépare l’idée de travail de celle de liberté et voit cette activité humaine comme un outil étatique, un instrument politique visant au maintien de l’ordre et à la sécurité, quitte à asservir l’homme. A l’époque où est publié Aurore, c’est- à-dire au début de la deuxième révolution industrielle et aux balbutiements du capitalisme, Nietzsche se pose en détracteur des apologistes et de la recherche effrénée de la croissance qui n’ont qu’un but sous-jacent : dominer l’homme, éradiquer tout individualisme. La stratégie de l’auteur n’est pas une attaque frontale, il n’expose pas dors et déjà ses propres arguments. Dans un premier temps, Nietzsche présente la thèse adverse, selon laquelle le travail serait une valeur supérieure, une dimension essentielle de l'homme par laquelle il parvient à produire son existence personnelle et collective, et seulement ensuite, il expose sa pensée, où l’homme est le prisonnier et le travail le geôlier. Puis, Nietzsche rend sa dénonciation plus frappante en l’assortissant des exactions commises par le travail et des raisons qui poussent néanmoins les sociétés modernes - celle de Nietzsche aux portes de l’industrialisation effrénée comme la notre – à accorder à ces apologies mensongères un quelconque crédit et à accepter le travail comme valeur centrale. Mais alors, Nietzsche n’envisage-t-il le travail qu’en termes d’aliénation et de domination ? Ne peut-on pas envisager tout de même une forme de travail enrichissante, constructive pour l’être humain ? Dans un premier temps, Nietzsche s’attèle à l’exposition de la thèse de ceux qu’il appelle les apologistes, issue de la tradition classique et cartésienne, c'est-à-dire l'idéologie qui tend à faire du travail une valeur supérieure aux autres et qui conduit les Nations modernes à une recherche toujours plus grande de la croissance économique. En ce sens, si le texte nous conduit bien à une réflexion sur le thème de la valeur du travail pour nos sociétés modernes, ce qui est clairement visé ici est la survalorisation du travail qui touche les sociétés industrielles du XIXème siècle en période de croissance industrielle et qui conduit les individus à se soumettre toujours plus au dur labeur des usines. La thèse apologétique accorde au travail en plus de la faculté de transformation de la nature, la faculté de transformer l’homme lui-même, de le révéler. Le travail, de ce point de vue, rend l’homme « maître et possesseur de la nature » selon Descartes, mais aussi maître de lui-même et permet à ses capacités de s’exprimer pleinement. Déjà depuis les Lumières, Voltaire et son conte philosophique Candide, le travail est censé éloigner de nous « trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. » A travers l’utilisation du mot « bénédiction » (l.2) ou encore « louanges » (l.3) transparaît le lexique religieux, renvoyant ainsi à la notion du rachat de l’homme déchu du jardin d’Eden par le biais du travail. On retrouve dans ce texte des idéologies socialistes qui depuis Marx font du travail l'essence de l’homme, comme également les idéologies capitalistes ou les théories économiques qui depuis la révolution industrielle n'ont cessé de faire de la croissance et de la prospérité matérielle le but essentiel de la société. Loin de voir ces objectifs comme des fins en soi, Nietzsche analyse cette thèse comme révélatrice d’une « arrière pensée » (l.2) : les apologistes, effrayés par « tout ce qui est individuel » (l.3), cherchent à promouvoir une normalisation sociétale étatique et un conformisme ambiant au sein d’un collectif de travail. Nietzsche, au contraire, défend la condition humaine de l'individu ; rien à voir avec l'individualisme qui relève d'un égocentrisme outrancier et d'un mode de vie fondé sur la négation de l'autre... La forme de l'individualisme promue par Nietzsche est liée à sa notion de surhomme et de noblesse d'esprit, car elle exprime la résistance que les consciences individuelles, les esprits libres, peuvent opposer à la normalisation sociale étatique et au conformisme ambiant. Ce non-conformisme n'a rien à voir avec l'individualisme étroit du "chacun pour soi et Dieu pour tous". Nietzsche voulait promouvoir une nouvelle noblesse, une élite libérée du fardeau des idées reçues et appelée à dépasser le stade communément appelé "humain". Il semble donc qu'on doive considérer la sensibilité individualiste comme une sensibilité réactive au sens que Nietzsche donne à ce mot, c'est-à-dire qu'elle se détermine par réaction contre une réalité sociale à laquelle elle ne peut ou ne veut point se plier. Pour étayer sa thèse, Nietzsche définit le travail, ce travail collectif, harassant et déshumanisant. Loin de faire un pamphlet de tous les travaux, il s’applique à qualifier le travail moderne. A l’aide d’un raisonnement inductif, comme le suggère la formulation «On se rend très bien compte […] » (l.4), à la suite d’une étude empirique donc, il fait rimer « l’aspect du travail » (l.5) avec « dur labeur » (l.6). A l’heure de l’exode rural intensif, à l’heure où les paysans se transforment en des masses ouvrières comme le décrit si bien Zola dans les Rougeon-Macquart, Nietzsche s’attaque directement aux conditions de ce travail pourtant porté aux nues ! A l’époque nietzschéenne, point de droit du travail, point de journées de 35 heures ou de semaines de congés-payés : les journées s’étendent « du matin au soir » (l.6), au bon vouloir d’un patronat exploiteur ! En effet, ce travail bien que depuis peu salarié, n’est légiféré que par un droit subjectif, liant l’employeur et l’employé selon différents cas de figures suivant les entreprises, mais toujours à l’avantage de la direction. Nietzsche fournit donc un témoignage de cet « aspect du travail » (l.5) au moment précis où ce dernier évolue vers une forme non moins harassante, mais largement plus répétitive, déqualifiante et déshumanisante au sein de ces énormes usines qui apparaissent comme des prisons géantes. Alors que beaucoup au cours du dernier siècle ont identifié les usines à des prisons géantes, Nietzsche, un siècle plus tôt, pousse la métaphore encore plus loin. Un tel travail se révèle une véritable « police » (l.6), mot à connotation péjorative si on considère le fait que l’auteur associe l’Etat au nihilisme. Le nihilisme correspond à un refus de tout absolu, religieux, métaphysique, moral ou politique. Chez Nietzsche, le nihilisme caractérise une période de la civilisation occidentale marquée par « la mort de Dieu » et des valeurs morales traditionnelles. De fait, la police est ici définie négativement, en tant qu’ « elle tient chacun en bride » (l.7). Par le travail l'énergie individuelle n'est plus utilisée au service de l'individu mais est orientée vers une logique productiviste : l'homme peut devenir l'outil d'une logique du profit, un élément broyé par la machine économique et le travail à la chaîne comme Charlot dans le film Les temps modernes. Le travail canalise les instincts, empêche l’individualité de s’exprimer, a un rôle agressif. Telle une véritable institution organisée, il nous empêche de méditer, de réfléchir, de rêver car nous n’avons plus assez de force pour le faire. Ainsi, nous pouvons citer comme preuve que la philosophie est née et a connu un essor formidable dans la Grèce antique, alors même que les citoyens athéniens s’étaient affranchis du labeur quotidien. Aussi, Freud quelques années plus tard montrera en quoi le travail représente un substrat, une diversion, un leurre en tant qu’organisation socialisée et permet à l’homme de fuir, d’échapper à ses pulsions, désirs refoulés par le Surmoi. Nietzsche expose ainsi les trois domaines dans lequel l’homme se révèle limité par le travail : « la raison » (l.8), « les désirs » (l.8), « le goût de l’indépendance » (l.8/9). Comme illustration de ce dernier pouvoir sur l’individu, nous pouvons notamment évoquer les régimes totalitaires qui ont fleuri au cours du XXème siècle et ont promu le dépassement de soi par le travail comme valeur supérieure de l’homme nouveau, encore entièrement à fonder. Ainsi, qui ne connaît pas Stakhanov et le stakhanovisme, promotion du sacrifice personnel et de l'émulation entre travailleurs pour le bien du Parti communiste. Aussi, il est injuste que le travail de Nietzsche soit tombé après sa mort dans l’opprobre générale pour avoir été affiliée avec la propagande nazie, une autre forme de totalitarisme. S’il avait vécu sous Hitler, Nietzsche, épris de liberté, aurait sans aucun doute été un opposant au régime et si Hitler avait lu Nietzsche, il en aurait rejeté presque toutes les pages. Après l’exposition du paradoxe qu’il existe entre la tradition de valorisation du travail traversant les siècles et la réalité du travail contemporaine, Nietzsche s’attèle ensuite à compléter sa dénonciation par les exactions commises par ce labeur et cherche de même les raisons de cette omniprésence dans uploads/Philosophie/ nietzsche-commentaire.pdf

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