kriterion, Belo Horizonte, nº 129, Jun./2014, p. 79-97 LE CONCEPT DE PLATEAU CH

kriterion, Belo Horizonte, nº 129, Jun./2014, p. 79-97 LE CONCEPT DE PLATEAU CHEZ DELEUZE ET GUATTARI : SES IMPLICATIONS EPISTEMOLOGIQUE ET ETHIQUE* Chan-Woong Lee** lee.chanwoong@gmail.com RESUMO Neste artigo, interrogamos os funcionamentos do conceito de platô em “Mil Platôs” (1980), a obra-prima de Deleuze e Guattari. Essa pesquisa esclarece, de forma concreta, duas linhas de pensamento, que são a epistemológica, por um lado, e a ética, por outro, enfocando os parágrafos nos quais Deleuze e Guattari usam efetivamente esse conceito. Do ponto de vista epistemológico, o conceito de platô permite praticar uma maneira de escrita rizomática e a explicação antiteleológica. Do ponto de vista ético, esse conceito, tirado de Gregory Bateson, nos convida a formar a alegria contínua e global, ou a gaieté em termos espinosistas. Palavras-chave Bateson, rizoma, Blanchot, cibernética, Espinosa, gaieté. ABSTRACT In this paper, we question the workings of the concept of plateau in “A Thousand Plateaus” (1980), Deleuze and Guattari’s chef- d’oeuvre. This research specifically clarifies two lines of thought, which are epistemological on the one hand, and ethics on the other hand, focusing on the paragraphs where Deleuze and Guattari actually employ this concept. From the epistemological point of view, the concept of plateau allows practicing a way of rhizomatic writing and anti-teleological explanation. From the point of * This work was supported by the National Research Foundation of Korea (NRF) Grant funded by the Korean Government (MEST) (NRF-2007-361-AL0015). Cet article résulte d'un chapitre de la thèse doctorale de l'auteur intitulée "Corps, signe et affect dans la pensée de Deleuze". ** Assistant Professor, Ewha Womans University, Seoul, Coréia do Sul. Artigo recebido em 31/12/2012 e aprovado em 12/05/2013. Chan-Woong Lee 80 view of ethics, this concept borrowed from Gregory Bateson invites us to form the continuous and global joy, or gaiety in Spinoza’s terms. Keywords Bateson, rhizome, Blanchot, cybernetics, Spinoza, gaiety. Les lecteurs de « Mille Plateaux » sont tout naturellement amenés à se poser la question : qu’est-ce que le « plateau » comme concept ? Nous pouvons d’autant plus lui accorder une importance particulière qu’il est étroitement relié à d’autres concepts importants, comme celui de « rhizome » et de « corps sans organes » ; il est, en effet, en deux endroits de cet ouvrage, explicitement relié, d’une part, à l’écriture rhizomatique (« rhizome »), et d’autre part, à une nouvelle conception du corps (« comment se faire un CsO »).1 D’ailleurs, il est intéressant de voir que ce concept, emprunté à Gregory Bateson, n’apparaît pas dans les premières versions des deux textes en question qui ont chacune été publiées en 1974 et 1976 sous une forme séparée avant MP. Sans doute, compte tenu de l’ordre de la rédaction des textes, le travail de Deleuze et Guattari ne s’est servi de l’oeuvre de Bateson, « Vers une écologie de l’esprit », qu’après 1976. A cet égard, il y a eu, entre les deux textes et MP, un événement en 1977 qui était la traduction française (de la première moitié) du beau livre de Bateson2. Le concept de plateau intervient ainsi plus tard que ceux de rhizome et de CsO dans la pensée de Deleuze et Guattari. Pourtant, cela ne veut pas dire que le remaniement des textes entraîne simplement un ajout accessoire et négligeable. Au contraire, élevé à la dignité du titre de l’oeuvre préférée de nos auteurs, le concept de plateau désigne un point de vue important dont ils profitent pour récapituler et relancer leurs idées principales. Ils en font un nouveau centre, parmi d’autres, vers lequel convergent leurs lignes de pensée. Il s’agit alors pour notre compte de saisir l’usage qu’ils font de ce concept en s’appropriant sa logique féconde développée par l’étude anthropologique et cybernétique de Bateson. 1 Cf. Deleuze et Guattari, « Mille Plateaux », p. 32 et 196 (cité dorénavant MP). 2 En revanche, le second tome en français est sorti en 1980. En fait, nous n’en voyons pas la référence dans MP . Dès lors, nous pouvons établir deux règles pour envisager le travail de Deleuze et Guattari par rapport à « Vers une écologie de l’esprit » : d’abord, nous pouvons donner à juste titre une plus grande importance au premier tome de la traduction qu’au second ; ensuite, cela ne nous empêche pas pourtant d’exploiter le second tome pour élucider les idées considérables, en tant que les deux tomes constituent un même corpus à l’original en partageant les thèmes communs. Les oeuvres principales de Bateson que nous citerons sont les suivantes : « Naven »; « Steps to an ecology of mind » ; « Mind and Nature ». 81 LE CONCEPT DE PLATEAU CHEZ DELEUZE ET GUATTARI La définition du concept comme « régions d’intensité continue » est aussi simple qu’abstraite, si bien qu’elle exige une étude plus détaillée pour bien saisir son rôle opératoire au sein d’une pensée pratique. Ses liens avec le rhizome et le CsO sont deux repères qui vont nous servir de points de départ pour examiner toute la portée de ce concept sur les plans épistémologique et éthique. Son mouvement dans le texte nous invite à nous promener suivant deux chemins : d’un côté, celui qui mène de la cybernétique à l’épistémologie, de l’autre côté, celui qui mène de l’anthropologie à l’éthique. 1 L’écriture fragmentaire de Nietzsche Certes, on ne saurait trop souligner l’influence de Nietzsche sur Deleuze, tout au long de sa pensée. Mais en ce qui concerne le problème particulier de l’écriture elle-même, c’est juste à partir de 1970 que Deleuze se met sérieuse- ment à apprécier les nouveautés philosophiques de l’écriture fragmentaire à la nietzschéenne. D’abord, nous voyons un déplacement du motif central des deux parties de « Proust et les signes », présentées respectivement en 1964 et 1970. Au sujet de la cohérence de l’oeuvre hétéroclite de Proust, la première partie montre que son unité consiste dans un apprentissage par les signes, tandis que la deuxième partie met en jeu la nature même d’une telle unité : il s’agit ici de « la conception si nouvelle d’unité qu’il [Proust] était en train de créer », en tant que « le signe est toujours fragment sans totalisation ni unification ».3 Par rapport à ce passage de l’intérêt, il nous semble que la publication du livre de Blanchot, « L’entretien infini » (1969), qui fait l’éloge de l’écriture aphoristique nietzschéenne, joue un rôle décisif. Deleuze dit avec Blanchot que les textes fragmentaires expriment la perspective qui conçoit le monde comme non-totalisable : « Il s’agit de savoir quelle est l’unité ou la non-unité d’un tel monde, une fois dit qu’il ne suppose ni ne forme un tout. »4 Avec la conception d’un monde morcelé, le statut du livre, lui aussi, est mis en question par l’écriture nietzschéenne : elle met les lecteurs dans une « nouvelle relation avec le Dehors ». En relançant cette idée dans « Pensée nomade » (1973),5 Deleuze s’efforce de préciser « l’originalité des textes nietzschéens », qui donne matière à « un nouveau type de livre ».6 Loin d’intérioriser et de médiatiser 3 Deleuze, « Proust et les signes », p. 140 et 156 (cité dorénavant PS). 4 Deleuze, PS, p. 149, note 1. 5 Cet article est recueilli chez Deleuze, « L’Île déserte et autres textes », pp. 351-364 (cité dorénavant ID). 6 Deleuze, ID, p. 355. Chan-Woong Lee 82 par les concepts le rapport avec le dehors, comme le font traditionnellement les livres de philosophie, les textes de Nietzsche sont au contraire fondés « sur une relation immédiatement avec le dehors. »7 C’est par l’intermédiaire de la méthode de l’écriture que cette nouvelle relation devient possible, parce que la forme du fragment, comme le cadre de la peinture, reçoit les lignes de force venant du dehors. « Un aphorisme, c’est un jeu de forces, un état de forces toujours extérieures les unes aux autres ».8 Il ne s’agit pas alors de pourvoir le livre d’une cohérence interne fondée sur un mouvement abstrait des concepts, mais de « brancher la pensée sur le dehors », « brancher le texte sur cette force ». A cet égard, Deleuze estime insignifiante la question du sens propre des textes nietzschéens, mais seule est légitime, selon lui, la question de l’usage que l’on fait des textes de Nietzsche. Il n’est dès lors nullement étrange que ses fragments aient été utilisés historiquement dans des perspectives aussi différentes que bourgeoise, fasciste et révolutionnaire. Deleuze déclare ainsi qu’une nouvelle époque s’ouvre avec Nietzsche, dans laquelle « quelque chose saute du livre, entre en contact avec un pur dehors. » « Mille Plateaux » est une œuvre dans laquelle Deleuze avec Guattari expliquent cette telle nouvelle théorie du livre, inspirée par Nietzsche, Proust et Blanchot, mais elle est aussi, elle-même, le lieu d’une expérimentation de cette théorie. Ce mode d’écriture est théorisé aussi bien par le concept de rhizome que par celui de plateau : « Nous écrivons ce livre comme un rhizome. Nous l’avons composé de plateaux. »9 Le rhizome s’oppose à l’arbre, autant que le plateau, au uploads/Philosophie/ le-concept-de-plateau-chez-deleuze.pdf

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