Le problème des parties de l'âme et de l'animation chez Clément d'Alexandrie Le

Le problème des parties de l'âme et de l'animation chez Clément d'Alexandrie Le thème de l'origine de l'âme humaine et de sa coexistence avec le corps depuis le premier instant de la conception1 a toujours suscite dans l'histoire de la pensée humaine et surtout philosophi- que un grand intérêt et d'ardentes controverses. Des Présocratiques à nos jours, la polémique sur la nature des rapports entre l'âme et le corps n'a cessé de diviser spécialistes et profanes. Elle revêt d'ailleurs aujourd'hui des formes diverses. Pour s'en rendre compte il suffit de penser à l'ampleur qu'ont prise récemment des thèmes concernant directement notre sujet, à savoir celui de l'intelligence artificielle ainsi que celui de la mani- pulation génétique et de la fécondation extracorporelle2. En cette brève étude, nous désirons approfondir la position prise sur la question par l'un des plus courageux parmi les Pères de l'Eglise, Clément d'Alexandrie, et ce précisément en raison de l'actua- lité immédiate de cette problématique. A notre connaissance, il fut certainement le premier à soutenir la position qu'en langage théolo- gique on définit comme «animation immédiate»3. Une motivation plus profonde nous a poussée à examiner la manière dont le maître d'Alexandrie conçoit le rapport âme-corps: la ques- tion de l'animation représente en effet, à l'intérieur de la pensée de Clément, un de ces points fondamentaux capables de mettre en lumière non seulement son anthropologie, déjà très significative 1. Le présent article reprend une problématique déjà abordée dans une étude précédente, en cours de publication dans la revue Sandalion (Sassari — Italie), à laquelle cependant on a apporté des corrections et qui se trouve ainsi enrichie de quelques thèmes. On a utilisé à cette fin les instruments techniques mis à la disposition des chercheurs par le CETEDOC (Centre de Traitement Elec- tronique des Documents — Univ. cath. de Louvain). L'auteur en remercie cordia- lement le directeur du Centre, M. P. Tombeur, et ses collaborateurs. 2. Sur ce problème, d'intéressantes observations ont été formulées par M. SCHOOYANS, Maîtrise de la vie, domination des hommes, Paris-Namur, 1986. 3. C'est ainsi que la problématique se trouve expliquée dans le DTC, t. 1, col. 1305.1319. 390 L. RIZZERIO par elle-même, mais aussi quelques-unes de ses conceptions les plus pénétrantes : — le rapport entre Dieu et le monde, avec la théorie de la création ; — le rôle du logos médiateur; — le thème fondamental de l'ordre du monde et de l'articulation existant entre macrocosme et microcosme. D'autre part, l'importance de la thématique abordée ici a été bien mise en lumière par Ph. Caspar dans une étude publiée récemment4 et que l'on peut considérer comme ayant été à l'origine de ce tra- vail. Comme l'auteur en effet, nous sommes convaincue, nous aussi, que Clément d'Alexandrie marque une étape importante dans l'his- toire de toute la pensée humaine et peut-être en un point qui se révèle pour nous de grande actualité. Etant donné son caractère épisodique, nous avons dû limiter beau- coup le champ de notre enquête, la divisant en trois parties. I. Nous commencerons par citer les positions principales avec lesquel- les Clément engage la discussion. II. Nous décrirons ensuite ce que notre auteur définit comme la formation de l'homme «dans l'atelier de la nature ^ selon tous ses composants. III. Enfin nous tente- rons de répondre à la question posée: peut-on parler chez Clément d'une animation immédiate et, si oui, quelles implications et consé- quences ce fait comporte-t-il? I. - Les contemporains de Clément En ce qui concerne les différentes positions adoptées, nous devons nous limiter à celles qui sont plus proches chronologiquement de la période pendant laquelle Clément compose sa synthèse. Il serait 4. Ph. CASPAR, La saisie du zygote humain par l'esprit, Paris-Namur, 1987. En ce qui concerne les thèmes que nous aborderons dans cet article, cf. surtout les p. 22-177 et 11; 16; 129-131. 5. Cf. Str. 83, 1-2; IV, 150, 2. Nous citons le texte de CLÉMENT d'après l'édi- tion critique de la collection Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte, vol. I, Protrepticus. Paedagogus, édit. 0. STÀHLIN-Urs. TREU, Ber- lin, 1972-'; vol. II, Stromata I-VI, édit. 0. STÀHLIN-FRÙCHTEL, Berlin, I9603; vol. III, Stromata VII-VIII, Excerpta ex Theodoto, Eclogae propheticae. Qui dives salvetur, Fragmente, édit. Urs. TREU, Berlin, 19702. Par souci de commodité, nous ne citerons que l'œuvre de Clément (livre, chapitre, paragraphe); la réfé- rence est facile à retrouver dans l'édition cntiaue. L'ANIMATION CHEZ CLÉMENT D'ALEXANDRIE 391 trop long de reprendre tous les développements que la spéculation concernant cette problématique a subis au cours du temps6. Il faut cependant se rappeler que déjà les Présocratiques, sur- tout avec Empédocle et, un peu plus tard, les écoles médicales qui se réfèrent au Corpus Hippocraticum, avaient posé le problème avec clarté: comment déterminer les étapes de la formation de l'embryon et le moment de son animation ? L'embryologie élaborée à cette époque reste le fondement de toutes les théories développées ensuite dans la pensée grecque, spécialement celle que réalisa le premier grand philosophe de la nature que l'antiquité ait connu, Aristote. En substance nous pouvons dire que, malgré la présence de lourdes erreurs due à l'impossibilité d'expérimenter et de vérifier les hypothèses7, les idées générales des Présocratiques sur la forma- tion de l'embryon restent inchangées aujourd'hui encore dans les théories modernes de la génétique et de l'embryologie8. Les thèses du Corpus Hippocraticum se retrouvent dans les écoles médicales existant au temps de Clément et c'est de Galène en particulier qu'il les reçoit9, même si on ne peut taire une 6. A ce propos nous voulons cependant indiquer quelques études qui pourront servir à l'approfondissement de la question. Sur le thème de l'Embryologie, cf. J. NEEDHAM, A History of Embryology, Cambridge, 1959. Sur le thème de la notion âme et esprit, cf. G. VERBEKE, L'évolution de la doctrine du pneuma du Stoïcisme a S. Augustin, Paris-Louvain, 1945, une étude qui, à travers la trans- formation de la valeur sémantique du terme, met en évidence l'évolution elle- même de la conception du rapport âme-corps. 7. Les convictions enracinées si profondément dans la pensée humaine n'ont été ébranlées que par les découvertes récentes dans le domaine de la biologie et de la génétique. Je pense, par exemple, à la conviction du caractère dominant du sexe masculin sur le sexe féminin; à la différence que l'on croyait subsister dans le temps de formation des embryons des deux sexes; à l'idée qu'il existe une période d'indifférentiation embryonnaire, etc. 8. Nous nous référons surtout à l'idée que la génération survient par la rencon- tre des semences; aux conceptions sur la formation et la fonction du sperme, conçu comme un «homme en puissance» ou comme le 'programme' d'un homme adulte formé etc. Pour tout ceci et pour ce que nous affirmerons sur le thème de l'embryologie, nous nous sommes servie aussi de l'étude de Ph. CASPAR, L'indivtduation des êtres, Paris-Namur, 1985, p. 145-158. 9. On trouve en effet beaucoup d'éléments communs entre l'embryologie de Galène et celle de Clément. Nous n'en mettrons en évidence que quelques-uns, ceux qui nous paraissent plus significatifs dans le domaine de notre recherche. Avant tout il faut souligner l'importance de la chaleur et la fonction de l'air froid inspiré, qui sert à maintenir modérée la température corporelle et à permet- tre, par conséquent, la formation de l'être vivant à travers le mélange de chaud et de froid. Le pneuma intervient ici comme le sujet actif de cette génération: il est produit à trois niveaux (poumons, cœur et artères, cerveau), par l'action de l'air froid de la respiration sur le feu qui s'allume dans le cœur. Le phénomène 392 L. RIZZERIO certaine influence d'autres auteurs comme Antiochus10. Mais la question la plus épineuse que Clément doit affronter est certainement celle qui porte sur le lien entre l'âme et le corps et surtout sur la détermination de l'origine et du statut de l'âme. Grande était en effet la confusion qui régnait en cette matière, et les Pères de l'Eglise ont eu à combattre deux tendances grave- ment erronées. D'une part se répand le matérialisme psychologique avec l'idée de la transmission de l'âme par voie génitale, idée héritée des stoïciens, que Tertullien s'est appropriée dans un esprit décidé- ment antiplatonicien et antignostique. L'histoire de la pensée a con- servé cette position sous le nom de traducianisme, énergiquement combattu par la théologie orthodoxe. Au pôle opposé se répand l'interprétation de la doctrine platonicienne de l'âme proposée par les gnostiques; elle conduit à un dualisme et à une nette séparation entre élément spirituel et élément matériel. Cette position aussi fut ouvertement condamnée par l'Eglise des premiers siècles11. La tâche des Pères consistait donc à élaborer une doctrine capable de justifier le caractère transcendant et «infus» de l'âme humaine sans cependant nier son immanence dans un corps et, encore moins, sa capacité de conférer l'individualité à un seul être vivant. est décrit comme une sorte de «cuisson» et il est comparé à la production du lait et du sperme (cf. De usu respirationis, 5, vol. IV, 506 Kuhn). F. RUSCHE, Blut, Leben und Seele. Ihr verhaltnis uploads/Philosophie/ le-probleme-des-parties-de-l-x27-ame-et-de-l-x27-animation-chez-clement-d-x27-alexandrie-nrt-111-3-1989-p-389-416-auteur-laura-rizzerio.pdf

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