Espaces Temps Les traits du continu mathématique Frédéric Patras Résumé // s'ag
Espaces Temps Les traits du continu mathématique Frédéric Patras Résumé // s'agit de tenter de cerner les enjeux épistémologiques du traitement du continu, à partir des mathématiques. Mais si ces notions renvoient, en première approche, à des définitions classiques, celles du continu (infini) et du discret (fini, individué, isolé), il ne convient pas de laisser croire que les mathématiques se sont enfermées dans ces définitions. D'ailleurs, aujourd'hui, les mathématiciens parlent plutôt de connexité que de continuité. Cet article se propose donc de rendre compte des remises en cause actuelles, par le pouvoir de la raison mathématique, des notions classiques. Simultanément, il montre que le traitement de ces notions (continu et discontinu) ne peut être cantonné à la seule mathématique. Abstract With mathematics as a source, we try to define the epistemological stakes within the treatment of the continuous. But if these notions are usually related to classical definitions, those of continuous (infinite) and of the discreet (finite, individuated, isolated), mathematics have not let themselves enclosed within those boundaries. That is why today's mathematicians prefer to use the term of "connexity" rather than continuity. This article will try to show what is actually called into question, in those classical definitions, by the power of mathematical reasoning. Also, it demonstrates that the analysis of these notions (continuous and discontinuous) cannot be left to mathematics alone. Citer ce document / Cite this document : Patras Frédéric. Les traits du continu mathématique. In: Espaces Temps, 82-83, 2003. Continu/Discontinu. Puissances et impuissances d'un couple. pp. 87-96; doi : https://doi.org/10.3406/espat.2003.4223 https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_2003_num_82_1_4223 Fichier pdf généré le 26/03/2019 Frédéric Patras Les traits du continu mathématique. // s'agit de tenter de cerner les enjeux épistémologiques du traitement du continu, à partir des mathématiques. Mais si ces notions renvoient, en première approche, à des définitions classiques, celles du continu (infini) et du discret (fini, individué, isolé), il ne conient pas de laisser croire que les mathématiques se sont enfermées dans ces définitions. D'ailleurs, aujourd'hui, les mathématiciens parlent plutôt de connexité que de continuité. Cet article se propose donc de rendre compte des remises en cause actuelles, par le pouvoir de la raison mathématique, des notions classiques. Simultanément, il montre que le traitement de ces notions (continu et discontinu) ne peut être cantonné à la seule mathématique. With mathematics as a source, we try to define the epistemological stakes within the treatment of the continuous. But if these notions are usually related to classical definitions, those of continuous (infinite) and of the discreet (finite, individuated, isolated), mathematics have not let themselves enclosed within those boundaries. That is why today's mathematicians prefer to use the term of "connexity" rather than continuity. This article will try to show what is actually called into question, in those classical definitions, by the power of mathematical reasoning. Also, it demonstrates that the analysis of these notions (continuous and discontinuous) cannot be left to mathematics alone. Frédéric Patras est Chargé de Recherche (CNRS), UMR 6621. EspacesTemps 82-83/2003, p. 87-96. i le continu est l'un des quelques grands concepts organiques au fon- dement de toute pensée mathématique, au même titre que ceux de nombre, d'ensemble ou de forme, la compréhension que les mathématiciens en ont n'a pourtant de cesse d'évoluer. Les grandes antinomies qui lui sont associées se précisent ou s'infléchissent en conséquence, les oppositions continu/discontinu ou continu/discret s'enrichissant et se nuançant avec l'émergence de nouvelles geometries ou de nouvelles techniques mathématiques. La notion générale de continuité, dont l'usage déborde largement le domaine scientifique, est ainsi progressivement conduite à subir des mutations de sens, qui accompagnent non sans délais et distorsions, celles accomplies en mathématiques. Les résultats obtenus en physique au vingtième siècle ont par ailleurs bien montré la nécessité de tenir compte de ces différentes mutations pour tenir un discours cohérent sur le monde phénoménal. Une illustration classique de cette nécessité est donnée par la dualité onde/particule, c'est- à-dire le fait que le photon ou l'électron, par exemple, soient susceptibles de descriptions concurrentes, l'une de nature continue, l'autre discrète, descriptions toutes deux également valables et susceptibles d'être incorporées au sein d'un même formalisme mathématique. Toutefois, compte tenu de la relative complexité du formalisme, les discours tenus à ce propos en dehors d'un contexte scientifique, ne peuvent être tous exempts d'erreurs techniques et épistémologiques, à l'image de celles, majeures ou vénielles, mises en évidence à l'occasion de l'affaire Sokal1. En deux mots, il y va de toute la pertinence du rapport des sociétés modernes à la science dans l'inaptitude manifeste des mathématiciens à théoriser philosophiquement et à vulgariser les idées et intuitions qui se sont fait jour au sein de leur discipline au cours du siècle dernier. Les physiciens ont indubitablement mieux su rendre compte des enjeux épistémologiques et techniques de leurs découvertes. Pour autant, l'exemple de la dualité onde/particule montre qu'une compréhension authentique des développements de la physique moderne passe toujours, à un moment ou un autre, par une phase mathématique à laquelle ne peut suppléer une vulgarisation dépourvue d'instruments techniques. La même constatation vaudrait pour toutes les sciences de la nature, de l'homme et de la société dans lesquelles les mathématiques jouent un rôle structurant. On n'abordera pas ici ces questions, mais une étude systématique du comportement de la communauté mathématique, des rapports de force institutionnels et symboliques au sein de la discipline, ou encore des influences respectives des différentes écoles (française, soviétique, américaine...) au cours de ces cinquante dernières années serait extrêmement intéressante. Une chose au moins est certaine : le lent déclin de la philosophie mathématique française après Henri Poincaré, Léon Brunschvicg ou Jean Cavaillès n'a pas été le fait du hasard, mais le résultat d'une décision collective de la communauté mathématique quant au sens et aux finalités de son travail : le structuralisme mathématique de la seconde moitié du vingtième siècle a pensé le domaine mathématique comme un domaine clos et autarcique2, avec ce phénomène paradoxal qu'au même moment la pensée mathématique a été fortement sollicitée pour étayer toute une partie de la pensée structuraliste en sciences humaines. La situation actuelle est pour le moins confuse. Les mutations de la notion générale de continuité. 1 «Alan Sokal, "Transgressing the Boundaries : Toward a Transformative Hermeneutics of Quantum Gravity", Social Text, 46/47. (1996), p. 217-252. La philosophie mathématique ne peut plus penser que le domaine mathématique est clos. 2 Voir «Frédéric Patras, La pensée mathématique contemporaine, Paris : Pin , 2001, pour une mise en perspective et une analyse du structuralisme mathématique. 88 Puissances et impuissances d'un couple. Continu/Discontinu. Les mathématiciens ont certes échappé aux faux-semblants du structuralisme et à l'illusion qu'une pensé scientifique peut se construire à long terme sans dialoguer avec les autres formes de connaissance, mais les voies d'un renouveau du dialogue avec les sciences de la nature sont encore incertaines, pour ne rien dire du dialogue avec les sciences de l'homme et de la société. Le problème du continu sera ici l'occasion de montrer comment un tel dialogue peut être possible, sur le fondement d'une mise en perspective historique et conceptuelle de la technique mathématique proprement dite. Le problème du continu. Le continu, on l'a dit, est une idée régulatrice pour la pratique et la découverte mathématique. En d'autres termes, il existe une "intuition" du continu, qui habite et dans une certaine mesure organise le travail des mathématiciens, et tout particulièrement de ceux qui ont affaire à l'espace : géomètres et topologues. Cette idée générale de continuité déborde largement la définition formelle de "continu" telle qu'elle est enseignée dans les cours d'analyse élémentaire, définition d'abord conquise dans le cadre des fonctions d'une variable, puis rendue précise au cours du dix- neuvième siècle. La définition moderne repose sur la notion d'espace topologique de la topologie générale, discipline qui a donné une définition précise à des notions ayant des fondements intuitifs comme "fermé", "voisinage",... Pour comprendre les enjeux intellectuels associés au continu et aux concepts antinomiques, il faut se dégager des limites imposées par une définition formelle. Ces enjeux ont des origines multiples : utilisation quotidienne du continu ou du discret comme concepts régulateurs dans le langage ordinaire, ou encore mobilisation de ces concepts sur un mode discursif pour décrire tel ou tel phénomène : coupures épistémologiques, solutions de continuité associées, dans les théories scientifiques, à des changements de paradigmes . . . La formule leibnizienne énonce le caractère central du problème pour la théorie générale de la connaissance : "II y a certes deux labyrinthes de l'esprit humain : l'un concerne la composition du continu, le second la nature de la liberté ; et ils prennent leur source au même infini"3. Et de fait, le rapport du continu à l'infini a été l'une des directions selon lesquelles notre compréhension du continu a le plus évolué au cours du vingtième siècle4. Mais l'intérêt leibnizien pour le continu n'est pas de nature exclusivement mathématique. Ou, plus exactement, l'aspect mathématique n'a de cesse d'être articulé à une thèse métaphysique dont les origines sont, comme souvent chez Gottfried Wilhelm Leibniz, aristotéliciennes. Elles valent qu'on s'y arrête un instant, car les impensés du continu à l'époque uploads/Philosophie/espat-0339-3267-2003-num-82-1-4223.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/lv2JWsHasn3GcyQKA4olVrqCKXYsn0Z2VIyaOiIiSWqlCFg8MRcm7bURpl7fO8FIqDY8cBtqoFBzhL6ZZ57ITZpM.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/Nww006gNBqQ7PjXTNoyCnffrl3wV49olAyADTuLpx86snYl7GyOTxQOnud9QYadvwoqmSVJNnDvNdqutBW91N8Ov.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/oBzBGRSVDTaXvDNzCtwT1wp15t7U6nybW2xc2cWSfI9u8pSrzvrPGjBa3z1Oqai8PGDQGUPdMJz3NaN1KjrB22av.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/Nd5twWStIPETttVMUq0zeyW1qionral22ms7iI33BbP2sjXKe4MVjCftavjEOhdlwoN2VqqaphiaStEshKXKpMd3.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/WuXpxY39PNJW5rWyUJfI7yIR4btqY6K50v1NGfLZsmBInOdTwVMwcRo30SfBKuIvtBkgW3oHAthpwna0pXURRdHf.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/vofQe2lKwxPMcSCEYc3X4J8a7yGqfUQpNnWM34AXg9umtRlrF6JfuP8WfweJhuTp5L9G5f0qEwle2ji3HvJbYWpy.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/wPaerbAihYwMF6X3B4bX5I2yBEjssgMMrxzvuoj8AroY64Ifty0pm9DlqZjMqY27MxOHeBgjwTjOiNohIZpVU2lw.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/D6VnZlpm6IPhXuzjSa31LWCLlrpSdUZyBVkXiYM1ofr6C4F9szIjSWnh6DDUwT2LgXkM0y4De1Uq2g6UnU2BMFNP.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/WBwchFPkgcUPSd7NXfLglTDvzCJVsNo8eEhR2kQi9sIUQoz51tAI17465Mm00bPZbW8glMFAvRWt2dgKIu74QJvZ.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/hUhRZPOHdwmenxKRZxsFqjQ6Al2ghwHFH70apmaLM38tcmzWFXpn9wB8I9ug92qEocEEK70ddMprzxHEnuo0rLtc.png)
-
18
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 01, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.8821MB