Les études de Saussure sur les légendes: un rapide parcours à travers quelques

Les études de Saussure sur les légendes: un rapide parcours à travers quelques interprétations Pinheiro, Clemilton Lopes Université Federale de Rio Grande do Norte/Post-doc CAPES/4159-13-6 clemiltonpinheiro@hotmail.com 1 Introduction Il n'y a rien de nouveau à dire que Ferdinand de Saussure s’est longuement intéressé aux légendes germaniques. Il a commencé à étudier à fond ces légendes en 1903 et continué jusqu’à 19101. Ces recherches manuscrites s’organisent autour de deux ensembles de récits (l’épopée des Nibelungen et les aventures de Tristan) et elles ont été menées avec la minutie et le zèle qui le caractérisaient. Ces manuscrits ont fait l´objet de plusieurs éditions: Avalle (1973), Komatsu (1985), Marinetti et Merli (1986) et Turpin (2003a)2. Plusieurs travaux donnant des interprétations sur ces études de Saussure ont été réalisés. Kim (1995) en mentionne quatre principales: Avalle (1973), Engler (1974), Prosdocimi (1983) et Arrivé (1986). Kim fait un résumé général des idées de ces auteurs et souligne que les quatre études “présentent des thèses ou des commentaires diamétralement opposés dans leurs travaux d’interprétation” (1995: 293). Avalle (1973) propose de confronter le Saussure du Cours de Linguistique Général avec le Saussure de la légende. Pour Kim (1995: 293) “il a prétendu découvrir que dans une sémiologie saussurienne des légendes, le signe n’existe pas, et qu’au lieu du signe doué d’une structure stable, la légende n’est qu’une sorte de nuage ou nébuleuse, un agrégat d’éléments”. À l´inverse, Engler (1974) considère qu’il n’y a pas de différences essentielles entre la sémiologie linguistique et la sémiologie mythographique de la pensée saussurienne. Prosdocine (1983) se demande si Saussure a appliqué son point de vue sémiologique à l’identification de l’être mythologique. Pour Kim (1995: 293), “la réponse de Prosdocimi est négative avérant un écart infranchissable entre le signe linguistique et le symbole légendaire. Il n’accepte ni homologie, ni analogie des faits linguistique et légendaire”. Enfin, Kim (1995: 263) cite le point de vue d' Arrivé (1986), “qui a participé à ce débat pour éclaircir la notion de symbole chez Saussure en faisant voir, en quelque sorte, dans le discours mythologique sur le symbole une autodestruction par rapport au discours linguistique”. C´est dans ce contexte d´étude que s´inscrit cet article. Nous partirons du fait que d´autres études ont été développées et nous reprendrons leur sujet afin de montrer d'autres points de vue sur les principes, les méthodes et les enjeux épistémologiques de la pratique interprétative de Saussure sur les légendes. Afin d´atteindre ce but, nous présenterons un bref survol des quelques études qui ont été développées à partir des années 1990: Kim (1995), susmentionné, Fehr (1996), Arrivé (2001, 2012), Rastier (2009), Turpin (2003b) et Salon (2010). Nous proposerons de les faire interagir en analysant leurs positionnements et en essayant de poser d'autres questions et de nouveaux débats. Nous croyons, bien sûr, SHS Web of Conferences 8 (2014) DOI 10.1051/shsconf/20140801118 © aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2014 Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2014 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0) 479 Article available at http://www.shs-conferences.org or http://dx.doi.org/10.1051/shsconf/20140801118 qu'il existe d'autres œuvres tout aussi importantes. Le choix de ces œuvres n'a pas été guidé par un critère théorique spécifique, seulement du fait de notre connaissance du sujet. 2 Les études sur les légendes: plus lectures, autres questions 2.1 Relation entre sémiologie et linguistique D´abord, il faut remarquer que toutes les lectures mettent en place, en quelque sorte, une certain type de relation entre sémiologie et linguistique dans les études saussuriennes sur les légendes. Mais chacune le fait à différents degrés, plus proches ou plus lointains. Les réflexions de Fehr (1996) et Arrivé (2001) établissent très spécifiquement cette relation. L´étude de Fehr (1996) concerne plus précisément la question du rapport de l´œuvre posthume de Saussure avec celle publiée de son vivant. Et dans ce cadre, il fait, bien que succinctement, un rapport entre les réflexions sémiologiques de Saussure et ses recherches sur les légendes germaniques. Selon Fehr, l’intérêt de Saussure pour le Nibelungenlied était initialement historique, “mais il se verra bientôt confronté à la problématique du signe” (1996, p. 183). À partir de cette problématique, il semble que les réflexions sémiologiques de Saussure autour des légendes l´amènent à se convaincre d'un nouvel aspect du signe dont la sémiotique philosophique n´avait pas encore rendu compte. Suivant ce raisonnement, Fehr résume la démarche de Saussure “telle qu'elle se présente à travers ses publications, ses manuscrits et ses lettres” (p. 184) et perçoit un changement paradigmatique: “la dimension historique des faits linguistiques n'est pas éliminée, mais elle est ramenée à la question du mode d'existence normale des systèmes sémiologiques en tant que faits sociaux”. Ainsi, Fehr lit les études de Saussure sur les légendes pour comprendre le projet de construction de la sémiologie, science n´existant pas encore. A cet égard, la lecture des manuscrits et des publications qui ont précédé le CLG est particulièrement fascinante parce qu'elle permet de comprendre que la sémiologie de Saussure, en tant que science en train de se faire, n'était pas quelque chose qui devait simplement donner à la linguistique un cadre général en s'y ajoutant du dehors, mais que sous le titre de sémiologie se résumait, pour ainsi dire, tout ce qui débordait la linguistique de par son intérieur même. (Fehr, 1996: 185) Arrivé (2001: 13), comme il le reconnaît lui-même, vise aussi, dans son article, à “réfléchir sur le problème des relations entre la linguistique et la sémiologie”. Le point de départ de l'auteur pour cette réflexion est l´asymétrie entre les deux recherches. On constate en effet que, sauf erreur ou oubli, le travail sur la légende n’est jamais allégué quand, dans le CLG, il est question de la sémiologie. Saussure consent parfois à donner des exemples de “systèmes de signes” autres que la langue : il les choisit alors dans les deux classes suivantes: a) D’une part des systèmes dérivés de la langue, ou en tout cas envisagés comme tels dans l’une des deux conceptions que s’en fait Saussure. Ce sont l’écriture et l’alphabet des sourds-muets (...). b) D’autre part des systèmes régionaux tels que les rites symboliques, les formes de politesse, les signaux militaires (...). (2001: 17) SHS Web of Conferences 8 (2014) DOI 10.1051/shsconf/20140801118 © aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2014 Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2014 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0) 480 Dans la lecture d'Arrivé, le symbole de la légende n’a pas les caractères du signe linguistique. Le signe linguistique est un type de signe parmi d´autres et est présenté comme un objet tout à fait spécifique. Cette différence rend compte de l´absence de la légende dans la recherche sur la sémiologie linguistique. Au contraire de la légende, la langue est fréquemment citée. “Ainsi, la langue est à différentes reprises explicitement donnée comme un objet de la sémiologie, en raison de sa ‘parenté’ avec la légende” (2001: 17). Arrivé propose une esquisse de réponse à ce problème. L'explication repose sur la conception de personnage, symbole de la légende: “Le signe ne consiste en rien. Il ne tient qu’à la rencontre provisoire et accidentelle de quelques traits voués à tout instant à se désunir. Mais pour constituer sans délai un autre signe”(2001: 20). Le symbole de la légende est un être inexistant, et pour cela, un paradoxe. Cependant il accède à une sorte de vie, de conscience et même de réflexion. Arrivé perçoit des “phénomènes bizarres” de la personnification du symbole dans l´écriture de Saussure qu'il interprète comme “la marque d’un désir de substance, voire de substance pensante, pour cet être inexistant” (2001: 20). Dans ce sens, il y aurait un rapport entre le signe de la langue et le symbole de la légende. Mais Arrivé assume le fait que cette réflexion de Saussure est “labyrinthique”. On découvrit en 1996 le manuscrit de Saussure, publié en 2002 sous le titre De l´essence double du langage, qui formule un programme de linguistique générale dont les notes compilées dans le CLG ne donne qu´un reflet partiel et déformé. Selon Rastier (2013), la découverte de ces manuscrits a favorisé de nouvelles interprétations de la pensée de Saussure. Cet écrit semble pour ainsi dire le chaînon manquant qui permet de relier le Mémoire et le Cours: d´une part, il permet une compréhension unifiée des notes et fragments de linguistique générale publiés en 1974 par Engler, ou découverts conjointement à De l´essence en 1996 mais non intégrés à son dossier éditorial; mais encore il recèle des nouveautés radicales, notamment sur les dualités, comme la dualité langue/parole, et sur la dualité signifiant/signifié qui seront explorées dans les grandes recherches inédites de la décennie 1900-1910, sur les légendes germaniques et les anagrammes. (Rastier, 2003: 11-12) Ainsi, pour Rastier (2003), les études sur les légendes et les anagrammes dépasse l´espace confiné de la grammaire. Dans un passage de De l´essence, Saussure montre que la sémiologie comprenne la morphologie, grammaire, syntaxe, synonymie, rhétorique, stylistique, lexicologie, “le tout étant inséparable” (Saussure, 2002: 45). Cette position a conséquence sur le problème des uploads/Philosophie/ les-etudes-de-saussure-sur-les-legendes.pdf

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