LETTRE A LA YOYAFTE Pour André Breton. MADAMR, Vous habitez une chambre pauvre,
LETTRE A LA YOYAFTE Pour André Breton. MADAMR, Vous habitez une chambre pauvre, mêlée à la vie. C'est en vain qu'on voudrait entendre le ciel murmurer dans vos vitres. Rien, ni votre aspect, ni l'air ne vous séparent de nous, mais on ne sait quelle puérilité plus profonde que l'expérience nous pousse à taillader sans fin et à éloigner votre figure, et jusqu'aux attaches de votre vie. L'âme déchirée et salie vous savez que je n'assieds devant vous qu'une ombre, mais je n'ai pas peur de ce terrible savoir. Je vous sais à fous les noeuds de moi-même et, beaucoup plus proche de moi que ma mère. Et je suis comme nu devant vous. Nu, impudique et, nu, droit et tel qu'une apparition de moi-même, mais sans honte, car pour vol re oeil qui court, vertigineusement, dans mes fibres, le mal est vraiment sans péché. Jamais je ne me suis l,r< uvé si précis, si rejoint si assuré même au delà du scrupule, au delà de toute malignité qui me vint des autres ou de moi, et, aussi si perspicace. Vous ajoutiez la pointe de feu, la pointe d'étoile au fil tremblant de ion hésitation. Ni jugé ni me. jugeant, entier sans rien faire, intégral sans m'y efforcer ; sauf la vie c'était le bonheur. Et enfin plus de crainte"que la langue, ma grande langue trop grosse. la langue minus- cule ne fourche, j'avais à peine besoin de remuer ma pensée. Cependant je pénétrai chez vous sans ter- reur, sans l'ombre de la plus ordinaire curio- sité. Et cepi ndunf vous étiez la maîtresse el l'oracle, vous auriez pu m'apparailre comme l'âme même et le Dieu de mon épouvantable destinée. Pouvoir voir et me dire ! Que rien de sale ou de secret ne soif noir, que tout l'enfoui se découvre, que le refoulé s'élale enfin à ce bel oeil étale d'un juge absolument pur. De celui qui discerne et dispose mais qui ignore même qu'il vous puisse accabler. La lumièreparfaiteet douce où l'on ne souffre plus de son âme, cependant infestée de mal. La lumière sans cruauté ni passion où ne sa révèle plus qu'une seule atmosphère, l'atmos- phère d'une pieuse et sereine, d'une précieuse fatalité. Oui, venant chez vous, Madame, je n'avais plus peur de ma mort. Mort ou vie, je ne voyais plus qu'un grand espace placide où se dissolvaient les ténèbres de mon destin. J'étais vraiment sauf, affranchi de totite misère, car même ma misère à venir m'était douce, si par impossible j'avais de la misère à redouter dans mon avenir. Ma destinée ne m'était plus cette route couverte et, qui ne peut joliis guère receler que le mal. j'avais vécu dans son appréhension éternelle, et à dislance, je la sentais toute proche, et, depuis toujours blottie en moi. Aucunremous violentne bouleversaità l'avance mes libres, j'avais déjà été trop atteint et bouleversé par le malheur. Mes libres, n'enre- gistraient plus qu'un immense bloc tmiJ'orme et doux. Et pdi m'importait que s'ouvrissent devant moi les plus terribles portes, le terrible était, déjà derrière moi. Et même mal, mon avenir prochain ne me Louchait, que comme une harmonieuse discorde, une suite de cîmes retournées et rentrées émoussées en moi. Vous ne pouviez m'annoneer, Madame, que l'apla- nissciiienl de nia vi". Mais ce qui par dessus tout me rassurait, ce n'étaitpas cette certitude profonde, attachée à ma chair, mais bien le sentiment de l'uni- formitéde toutes choses. Un magnifique absolu. J'avais sans doute appris à me rapprocher de la mort,, et c'est pourquoi foules choses, même les 2'lus cruelles, ne m'apparaissaienf plus que. sous leur aspect d'équilibre, dans une parfaite indifférence de sens. Mais il y avait encore autre chose. C'est que ce sens, nidifièrent quant à ses effets immédiats sur ma personne, était tout de même coloré en quelque chose de bien. Je venais à vous avec un optimisme intégral. Un op.imisme qui n'était pas.une pente d'es- prit, mais qui venait de celle connaissance profonde de l'équilibre où foule ma vie était baignée. Ma vie à venir équilibrée par mon passé terrible, et qui s'introduisaitsans cahot, dans la mort. Je savais à l'avance ma mort comme l'achèvement d'une vie enfin plane, et plus douce que mes souvenirs les meilleurs. Et la réalité grossissait à vue d'ceil, s'amplifiait jusqu'à cette souveraine connaissance où la valeur de la vie présente se démonte sous les coups de l'étereilé. 11 ne se pouvait, plus que l'éternité ne me vengeât, de ce sacrifice acharné de moi-même, et auquel, moi, je ne participais pas. Et mon avenir immédiat, mon avenir à partir de celte minute où je pénétrais pour la première fois dans votre cercle, cet avenir appartenait aussi à la mort. Et vous, votre LETTRE A LA VOYANTE aspect me fut des le premier instant favorable. L'émotion de savoir élait dominée par le sentiment de la mansuétude infinie de l'exis- tence (1). Rien de mauvais pour moi ne pouvait tomber de cet oeil bleu et fixe par lequel vous inspectiez mon destin. Toute la vie me devenait ce b enheureux paysage où les rêves qui tournent se présentent LA VIERGE CORRIGEANTL'ENFANT-JÉSUSDEVANT TROIS TÉMOINS (A. B., P. E. ET LE PEINTRE). Max lùn.sl (1) ,1e n'y peux rien. J'avais ce Selllilllenl devant Elle. La vie était lionne parce que celte voyante élait là. La présence «le celle femme 11!'était comme un opium, pins pur, plus lifter, quoique moins solide que l'autre. Mais beaucoup plus profond, plus vaste et ouvrant d'antres arches dans les cellules de mon esprit. Cet él'il actif d'éclianucs spirituels, cette couMajoration de mondes immédiats el minuscules, cette Imminence de vies inlltiies dont colle femme m'ouvrait la perspec- tive, m'indiquaienten lin une issue ;ï In vie, et une l'Oison d'être au mande. Car on Ile peut accepter la Vie qu'A condition d'être grand, de se sentir à i îrlglnc des phé- nomènes, tout au moins d'un certain nombre d'entre eux. Sans puissance d'expansion, sans mie certaine domination sur les choses, la vie est Indéfendable. I ne seule chose esl exaltante an monde : le contact LETTRE A LA VOYANTE à nous avec la face de notre moi. L'idée de la connaissance absolue se confondait avec l'idée de la similitude absolue de la vie et de ma conscience. Et je tirais de cette doub!e simi- litude le sentiment d'une naissance toute proche, où vous étiez la mère indulgente et bonne, quoiquedivergentede mon destin. Rien ne réapparaissait plus mystérieux, dans le fait de cette voyante anormale, où les gestes de mon existencepassée et fulure se peignaient à vous avec leurs sens gros d'avertissements et de rapports. Je sentais mon esprit entré en communicationavec le vôtre quant à la figure de ces avertissements. Mais vous, enfin, Madame, qu'est-ce donc que celle vermine de feu qui se glisse foui à coup en vous, et par l'artifice de quelle inima- ginable atmosphère ?• car enfin vous voyei-, et cepoidanl le même espace étalé nous entoure. L'horrible, Madame, est dans l'immobilité de ces murs, de ces choses, dans la familiarité des meubles qui vous entourent, des acces- soires de votre divination, dans l'indiffé- rence tranquille de la vie à laquelle vous parti- cipez comme moi. Et vos vêtements, Madame, ces vêlements qui louchent une personne qui voit. Votre chair, toutes vos fondions enfin, je ne puis pas me faire à celle idée que vous soyicz soumise aux conditionsde l'Espace, du Temps, (pie les nécessités corporelles vous pèsent. Vous devez être b- aucoup trop légère, pour l'espace. El d'autre part vous m'apparaissiez si jolie, et d'une grâce tellement humaine, tellement de tous les jours. Jolie comme n'importe laquelle de ces femmes dont j'attends le pain et le spasme, el qu'elles me haussent virs un seuil corporel. Aux yeux de mon esprit, vous êtes sans limites et sans bords, absolument, profon- dément inco préhensible. Car comment vous accommodez-vousde la vie, vous qui avez le don de la vue toute proche ? Et cette longue route tout unie où votre âme comme un balancier se promène, et où moi, je lirais si bien l'avenir de ma mort. Oui, il y a encore des hommes'qui connaissent la dislance d'un sentiment à un autre, qui savent créer des étages et des haltes à leurs désirs, qui savent s'éloigner de leurs- désirs et de leur âme, pour y rentrer ensuite faussement en Vainqueurs. Et il y a ces penseurs qui encerclent péni- blement leurs pensées, qui inti'i duisent des faux-semblants dans leurs rêves, ces savants qui déterrent des lois avec de sinistres pi- rouettes ! Mais vous, honnie, méprisée, planante, vous mêliez le feu à la vie. Et voici que 5a rou-2 du Temps d'un seul coup s'enflamme à force de faire grincer les cieux. Vous me prenez tout petit, balayé, rejeté, cl, fout aussi désespéré que vous-même, el, vous me haussez, vous me relirez de ce lieu, de cet espace faux où vous ne daignez même plus faire le gesle de vivre, puisque déjà vous avez atteint la membrane de voire repos. Et cet oeil, ce regard sur moi-même, cet unique regard désolé uploads/Philosophie/ lettre-a-la-voyante.pdf
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- Publié le Mai 24, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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