MICHEL NODÉ LANGLOIS LA TECHNIQUE La technique est-elle une contre-nature ? LEÇ
MICHEL NODÉ LANGLOIS LA TECHNIQUE La technique est-elle une contre-nature ? LEÇON LA TECHNIQUE EST-ELLE UNE CONTRE-NATURE ? COURS PROFESSÉ PAR MICHEL NODÉ LANGLOIS PROFESSEUR DE KHAGNE AU LYCÉE FERMAT Philopsis éditions numériques http://www.philopsis.fr Les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. © Michel Nodé Langlois - Philopsis 2010 LA TECHNIQUE EST-ELLE UNE CONTRE-NATURE ? SOMMAIRE INTRODUCTION ........................................................................................4 I. DU CARACTÈRE NATUREL DE LA TECHNIQUE.................................6 A. Technè et phusis....................................................................................................................6 B. « L’art imite la nature ».....................................................................................................11 C. Réinterprétations modernes du caractère naturel de l’art..........................................15 II. POSSIBILITÉ D’UNE CONTRE-NATURE............................................23 A. La nature est-elle réductible au mécanisme ?................................................................23 B. Le détournement technique des finalités naturelles......................................................30 C. Régulation et dérégulation ................................................................................................36 III. ESSENCE OU ACCIDENT ?...............................................................42 A. Nécessité ou contingence ? ................................................................................................42 B. L’essence de la technique selon Heidegger.....................................................................53 C. Technique et responsabilité ..............................................................................................62 © Michel Nodé Langlois - Philopsis - www.philopsis.fr Page 3 LA TECHNIQUE EST-ELLE UNE CONTRE-NATURE ? INTRODUCTION Cette question est l’une de celles qu’ont suscitées les mises en garde écologiques de notre époque. Ce que Jean-Pierre Séris appelle « l’écologisme », soit l’exploitation idéologique des connaissances acquises par cette science récente qu’est l’écologie, se présente parfois comme une mise en cause, pouvant aller jusqu’à la diabolisation, de la technique humaine, sous sa forme moderne, industrielle, du fait que celle-ci produit manifestement des effets qui paraissent virtuellement destructeurs du biotope humain, soit de l’environnement qui est la condition naturelle de la survie de l’espèce humaine. La technique moderne est alors dénoncée comme une contre-nature dévastatrice. Une telle dénonciation prend évidemment le contre-pied de la glorification « prométhéenne », positiviste ou marxiste, du progrès technique, comme de ce dont l’humanité devrait attendre son salut, à l’exclusion de toutes les conceptions religieuses, c’est-à-dire censément phantasmatiques, de ce dernier. En dehors de ses fondements scientifiques et de ses visées idéologiques, la critique contemporaine se réclame aussi souvent d’une justification philosophique trouvée dans certaines thèses de Heidegger. Celui-ci, dans sa conférence sur La question de la technique (1954), s’interroge non pas tant sur les effets de la technique moderne que sur son essence, et identifie celle-ci à « l’arraisonnement (Gestell) », soit à une volonté humaine d’emprise totale sur l’étant, moyennant la mise en œuvre de l’intelligence technicienne armée des connaissances de la science moderne, et dont les effets dévastateurs de la société industrielle ne sont que des manifestations externes – le « danger (Gefahr) » étant pour Heidegger non pas avant tout que la planète soit complètement dévastée, mais que l’homme recouvert par sa propre technique, ne devienne incapable d’en penser l’essence, c’est-à-dire d’y reconnaître sa volonté d’arraisonnement de l’étant. Ces thèmes heideggériens sonnent comme un écho à une parole fameuse de Descartes, lequel en appelle, contre la pensée à ses yeux purement « spéculative », et par suite verbeuse et inutile, des Anciens et des médiévaux, à une philosophie « pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » (Discours de la méthode, 6e partie). On peut bien voir dans ce texte l’expression d’une volonté d’arraisonnement, puisque Descartes invite à accroître la capacité humaine © Michel Nodé Langlois - Philopsis - www.philopsis.fr Page 4 LA TECHNIQUE EST-ELLE UNE CONTRE-NATURE ? d’user de la nature par la compréhension rationnelle des causalités qui s’y exercent. Certes, il est clair que Descartes n’envisageait pas un tel arraisonnement comme une source de la dévastation contre laquelle, trois siècles plus tard, Heidegger et les écologistes mettront en garde. Il le juge au contraire désirable non seulement « pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens en cette vie » (ibid.). La question est alors de savoir, et l’histoire postérieure à Descartes interdit de l’ignorer, si une telle entreprise, humaniste avant tout, peut aboutir sans entraîner les effets pervers qui ont conduit à la dénoncer. Malgré la précaution que prend Descartes en recourant à la préposition comme, afin de ne pas paraître mettre l’homme en position de dieu, on peut se dire qu’il n’est guère de maîtrise qui, lorsqu’elle cherche à s’imposer, puisse le faire sans susciter un antagonisme. Il est clair que l’appel cartésien aux progrès de la médecine et les espoirs qu’il met en eux s’inscrivent dans une lutte, sans doute aussi vieille que l’humanité elle-même, contre l’exposition aux maladies que lui impose sa relative faiblesse naturelle. Il s’agit bien en ce sens de contrer des effets malencontreux de la nature en l’homme, et de sortir vainqueur de l’affrontement, ou de vaincre certains obstacles aux « commodités » dont l’homme ne peut éviter de ressentir le besoin. D’un autre côté, Descartes était l’héritier philosophique, entre autres, de Francis Bacon, qui avait dit ce qu’Engels redira trois siècles plus tard : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant ». Autrement dit : on ne peut obtenir d’elle ce que l’on veut – visée de tout commandement – qu’en se soumettant à ses lois, celles-là même dont Descartes préconise la recherche et la connaissance afin de concourir au bien de l’humanité. Si donc la condition de l’efficacité technique est l’obéissance aux lois de la nature, la dénonciation de la technique comme contre nature a quelque chose d’énigmatique : est-il possible qu’une soumission à la nature en vienne à contrarier la nature au point d’en compromettre la pérennité ? Peut- on seulement concevoir qu’il existe au sein de la nature quelque chose comme une contre-nature ? © Michel Nodé Langlois - Philopsis - www.philopsis.fr Page 5 LA TECHNIQUE EST-ELLE UNE CONTRE-NATURE ? I. DU CARACTÈRE NATUREL DE LA TECHNIQUE. A. TECHNÈ ET PHUSIS. a. Il y a une acception courante du terme de nature, relevée par John Stuart Mill, qui lui fait désigner l’ensemble des êtres matériels, c’est-à- dire l’univers physique, le cosmos. Si l’on entend par être naturel le fait d’appartenir à cet ensemble, il est clair que l’homme et ses produits en font partie, et on ne voit pas, de ce point de vue-là, quel sens on pourrait donner à l’idée d’une contre-nature en général, ni à une qualification de la technique à l’aide de cette idée : la technique humaine et ses œuvres font partie, comme le reste, de l’univers matériel ; c’est en son sein qu’elles existent et produisent. Si être contre nature est entendu comme le contraire d’être naturel pris en ce premier sens, alors il faut dire qu’il n’y a rien de contre nature, et le problème est d’emblée annulé. On pourrait inférer la même chose de la deuxième acception du terme nature relevée par Stuart Mill, celle qui lui fait désigner tout ce qui existe dans l’univers matériel en dehors de l’homme, soit tout ce qui a existé avant son apparition et continue d’exister indépendamment de lui, soit la quasi- totalité du cosmos, et la pointe d’épingle que constitue la biosphère, c’est-à- dire l’environnement terrestre de l’humanité. Cette deuxième acception peut paraître arbitraire dans la mesure où elle revient à supposer que l’homme ne fait pas partie de la nature, alors que, comme espèce, il est apparu en elle suivant un processus semblable à celui qui y a fait apparaître les autres êtres naturels, et que, comme individu, il continue d’y naître selon des processus tout aussi naturels, et tout aussi semblables à ceux que l’on observe dans les autres espèces. Par rapport à la première, cette deuxième acception a pour seul mérite de ne pas annuler le problème, car, comme dit Pascal, « les définitions sont très libres », et, d’un point de vue logique, rien n’empêche de distinguer nominalement l’homme et la nature afin de réfléchir sur leur rapport. Mais il est clair que cette distinction nominale ne peut rien dire de la nature d’un tel rapport : envisager l’homme comme l’autre de la nature, c’est sans doute concevoir entre eux une opposition au sens logique du terme, mais cela ne signifie et n’implique nullement que cette opposition doive ou puisse être pensée comme une contrariété, voire comme un antagonisme, soit comme une contrariété non seulement logique mais réelle – l’humain étant pensé non pas seulement comme ce qui n’est pas la nature, mais comme ce qui la contrarie. En fait, cette deuxième acception doit surtout conduire à mettre en question ses présupposés, et à se demander s’il y a un sens et lequel à considérer l’homme comme l’autre de la nature, soit comme un être a- © Michel Nodé Langlois - Philopsis - www.philopsis.fr Page 6 uploads/Philosophie/ technique-langlois.pdf
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- Publié le Dec 16, 2021
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