Sociolinguistique et sociologie de la traduction Jean Peeters (Université de Br
Sociolinguistique et sociologie de la traduction Jean Peeters (Université de Bretagne-Sud) jean.peeters@univ-ubs.fr TRADUCTION & PARATRADUCTION (T&P) Programme doctoral en ligne de l’Université de Vigo Introduction Nous tenterons, dans cet exposé, de mettre en perspective une démarche sociolinguistique et sociologique de la traduction et, par là même, de montrer toute sa pertinence.1 Il s’agira de souligner, sans la renier, les apories de la démarche linguistique, et de mettre en évidence ce qui oblige à penser la traduction différemment, de le comprendre et l’expliquer et de l’appliquer à des cas de traduction. Nous nous appliquerons, en premier lieu, à une caractérisation et une critique de l’approche linguistique. Dans une deuxième partie, nous soulignerons la pertinence d’une approche autre que linguistique. La troisième partie consistera à situer la question de la traduction dans l’approche que nous utilisons, la théorie de la médiation.2 Nous ne manquerons pas, dans la quatrième partie de rapprocher notre approche d’autres théories sociologiques ou sociolinguistiques. Enfin, pour conclure, nous proposerons quelques concepts opérationnels pour l’étude de la traduction. 1 Nous utiliserons les termes de « sociolinguistique » et « sociologique » de façon souvent très proche, tant nous sommes convaincus que l’approche sociolinguistique revient à chercher et observer le fonctionnement social dans le matériau langagier. 2 Nous ne reviendrons dans le détail pas ici surtout ce que nous avons pu développer ailleurs, particulièrement dans La médiation de l’étranger (1999), mais nous attacherons à ce qui semble important dans cet exposé de type introductif. SOCIOLINGUISTIQUE ET SOCIOLOGIE DE LA TRADUCTION Exposé du cours doctoral en ligne donné par Jean Peeters à l’Université de Vigo Sommaire de Sociolinguistique et sociologie de la traduction : 1. L’approche linguistique et la question du sens 1.1. En guise d’exemple : Les Traou Mad de Pont-Aven® et Les Galettes de Pont-Aven 1.2. Roman Jakobson et les « Aspects linguistiques de la traduction » 1.3. Deux visions traditionnelles de la traduction : Michaël Oustinoff et Marc de Launay 2. Pour problématiser la question 2.1. Saint Jérôme 2.2. Réception du texte et points de vue : les interprétations multiples 2.2.1. La pragmatique et la question du sens 2.2.2. Umberto Eco et l’approche sémiotique 2.3. Entrée en matière : l’exemple de la traduction de la Genèse 3. La théorie de la médiation et la question sociolinguistique/sociologique de la traduction 3.1. Brève présentation de la théorie de la médiation 3.2. Mise en évidence du fonctionnement dialectique, ou en boucle, du social 3.3. La structuration formelle de la traduction 3.3.1. Les registres ou indices d’appartenance sociaux 3.3.2. Les récits ou plans 3.3.3. Les genres ou services 3.3.4. Les familles ou établissements 3.4. Le traducteur en prise avec la réalité 4. Rapports avec d’autres théories sociologiques/sociolinguistiques 4.1. La sociolinguistique 4.2. La sociologie de Pierre Bourdieu 4.3. Le retour de l’expérience en sociologie 5. En guise de conclusion : quelques concepts opératoires 5.1. La traduction est dans les mots et hors des mots 5.2. La traduction est un compromis 5.3. La théorie de la traduction est une théorie de l’action et de l’histoire 6. Épilogue en guise de questionnement 7. Bibliographie jean.peeters@univ-ubs.fr Page n.º 2 Jean Peeters (Université de Bretagne-Sud) T&P Document PDF édité et mis en ligne le 9 février 2009 par José Yuste Frías_TRADUCTION & PARATRADUCTION (T&P) 1. L’approche linguistique et la question du sens Cette partie a pour but de revenir sur la question du sens en traduction et sur une conception qui met le sens au cœur de l’activité traduisante. Même si nous n’en partageons pas les présupposés ni les résultats, force est d’admettre qu’elle a quelque fondement. En effet, la traduction, au sens où on l’entend aujourd’hui de « transfert d’un texte d’une langue dans une autre » implique une dimension référentielle. On observe le passage d’un message à l’autre et, surtout, la mise en équivalence de ces messages, malgré les langues en jeu. La traduction n’est pas simple juxtaposition de messages déconnectés l’un de l’autre, mais bien mise en rapport. On a du mal à imaginer que les traducteurs fassent ce qu’ils veulent avec les textes à traduire et produisent à leur gré des traductions qui n’auraient aucun lien avec les textes de départ. Bien évidemment, la frontière varie d’une époque à l’autre sur ce que l’on entend par traduction et sur les pratiques que l’on peut observer, mais on ne peut que constater que les débats tournent souvent asymptotiquement autour d’une plus ou moins grande distance ou proximité avec le sens du texte de départ et des façons de le rendre dans la langue d’arrivée. 1.1. En guise d’exemple : Les Traou Mad de Pont-Aven® et Les Galettes de Pont-Aven® Je ne ferai pas l’analyse in extenso du passage, car le but est de montrer comment on peut comparer un texte et sa traduction d’un point de vue linguistique, pour le commenter, proposer d’autres solutions, corriger des erreurs, etc. Je n’aborderai que quelques points soulignant la méthode linguistique. Le document dont il est question est un petit texte promotionnel écrit à l’origine en français et traduit en anglais sur une même feuille placée à l’intérieur du paquet de gâteaux et vantant la qualité des biscuits bretons appelés Les Traou Mad de Pont-Aven ® et Les Galettes de Pont-Aven®. Cliquez ici pour agrandir l’image http://webs.uvigo.es/paratraduccion/index.html Page n.º 3 SOCIOLINGUISTIQUE ET SOCIOLOGIE DE LA TRADUCTION Exposé du cours doctoral en ligne donné par Jean Peeters à l’Université de Vigo On remarque que le texte français commence par une dislocation à gauche « Les Traou Mad de Pont-Aven ® et Les Galettes de Pont-Aven®, vous les avez peut-être déjà rencontrées à bord d’un avion » tandis que le texte anglais ne comporte pas cette dislocation « LES TRAOU MAD DE PONT-AVEN® et LES GALETTES DE PONT-AVEN® are the distinctive biscuits made with fresh butter that you may have already tasted on board an airliner ». La raison du changement d’ordre des éléments de la phrase tient à ce que la dislocation à gauche n’existe pas en anglais et si le traducteur veut garder un ordre des constituants de la phrase qui soit français, il n’a pas d’autre choix que de modifier l’ordre français. C’est ce qu’il fait en gardant le nom des gâteaux en tant que sujet et en introduisant la personne qui les goûte, le passager, sous forme d’un pronom (you) dans une relative. Il y a donc, par rapport à l’anglais, un ordonnancement différent des éléments de la phrase qui offre une perspective interprétative différente. Alors que la phrase française parle des gâteaux puis du goûteur, la phrase anglaise parle des gâteaux puis de leur qualité exceptionnelle avant de mentionner le goûteur. Si l’on accepte l’idée selon laquelle, le sens ne se construit pas seulement taxinomiquement à travers les mots, mais aussi générativement dans leur enchaînement, alors on admettra que la phrase anglaise propose un sens différent de la phrase française. On a ensuite dans le texte français « Pourtant, ils sont originaires de Pont-Aven […] où la traduction se transmet depuis 1920 ». Le texte anglais est : « Nevertheless, they originated in Pont-Aven […], where tradition has been carefully preserved since 1920 ». On note que la forme pronominale française a été traduite par un passif en anglais. Deux remarques peuvent être faites. D’une part, la forme réflexive en oneself en anglais, même si elle est souvent possible, n’est pas forcément utilisée et on préférera d’autres formes pour exprimer ce que dit le français. Ainsi se lever, se laver, se rase, s’évanouir, etc. peuvent être rendus par des verbes intransitifs comme get up, wash, shave, faint, etc. La forme passive est une autre alternative, comme dans le texte, d’autant que le passif est très utilisé en anglais. D’autre part, le choix du passif en anglais, comme la forme pronominale en français, fait démarrer la relation prédicative par ce qui est l’objet du procès et non son agent. C’est la tradition qui est l’objet de la transmission et non son sujet déclencheur. On observera également que là où le français parle de transmission, l’anglais parle de préservation, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Il était possible d’imaginer un verbe tel que pass on qui aurait exprimé un sens semblable à transmettre. De même, le choix du prétérit en anglais dans originated renvoie à un moment lointain quand le temps présent aurait signifié, comme en français, que l’origine de Pont-Aven est actuelle. Ces quelques commentaires montrent comment s’effectue une analyse linguistique, très sommaire il est vrai, d’une traduction. Le vocabulaire y est linguistique. On parle de phrase, de procès, de relation prédicative, de passif, de forme pronominale, etc. Et puis, on compare. On trouve que telle forme en anglais a ou n’a pas le même sens qu’en français, qu’on a modifié la perspective interprétative, qu’on eût pu dire la même chose en anglais, etc. Cette méthode s’appuie sur la comparaison des deux textes. Mais pour qu’il y ait comparaison, encore faut-il qu’il y ait un terme qui permette cela, un tertium comparationis, . jean.peeters@univ-ubs.fr Page n.º 4 Jean Peeters (Université de Bretagne-Sud) uploads/Philosophie/ peeters-sociolinguistique-et-sociologie-traduction-et-paratraduction.pdf
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- Publié le Mar 24, 2022
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