L’annuaire du Collège de France Cours et travaux 114 | 2015 Annuaire du Collège
L’annuaire du Collège de France Cours et travaux 114 | 2015 Annuaire du Collège de France 2013-2014 Histoire de la philosophie médiévale Alain de Libera Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/11949 DOI : 10.4000/annuaire-cdf.11949 ISBN : 978-2-7226-0448-3 ISSN : 2109-9227 Éditeur Collège de France Édition imprimée Date de publication : 1 juillet 2015 Pagination : 737-756 ISBN : 978-2-7226-0414-8 ISSN : 0069-5580 Référence électronique Alain de Libera, « Histoire de la philosophie médiévale », L’annuaire du Collège de France [En ligne], 114 | 2015, mis en ligne le 23 mai 2016, consulté le 22 août 2022. URL : http://journals.openedition.org/ annuaire-cdf/11949 ; DOI : https://doi.org/10.4000/annuaire-cdf.11949 Tous droits réservés Histoire de la philosophie médiévale M. Alain DE LIBERA, professeur ENSEIGNEMENT Inventio subiecti. L’invention du sujet moderne Dans la continuité de la leçon inaugurale prononcée le 13 février 2014 a, les enseignements de l’année 2013-2014 ont été consacrés aux travaux d’histoire de la subjectivité, engagés depuis quelques années sous le titre d’archéologie du sujet, et organisés autour de deux questions directrices : comment le sujet pensant est-il entré en philosophie ? Comment l’homme est-il entré en philosophie en tant que sujet et agent de la pensée et du vouloir ? À ce stade de mon activité au Collège de France, il m’a semblé nécessaire, et utile, de distribuer mon enseignement sur deux volets, l’un plus théorique, directement lié au thème annoncé, l’autre, plus méthodologique, destiné à définir et illustrer la nature et le sens de la démarche dite « archéologique » en philosophie et en histoire de la philosophie. J’ai donc réparti mes interventions sur douze séances de cours, du 6 mars au 26 juin, et dix séances de séminaire – le séminaire faisant régulièrement suite au cours, à partir du 20 mars, comme une sorte de « deuxième heure ». Ces 22 séances m’ont donné la possibilité de mettre en place ma problématique, de présenter mes instruments d’analyse et de délimiter mon corpus sur un double plan philosophique et historique b. Une journée d’études organisée en mai 2014, directement en prise avec l’un des thèmes abordés par le cours, a lancé une série de rencontres qui sera reconduite, d’année en année, sous le titre « Pro et contra. Journées d’études médiévales au Collège de France ». a. La leçon inaugurale est éditée sous forme numérique (http ://books.openedition.org/ cdf/3634) et sous forme imprimée (Collège de France/Fayard) ; elle est disponible en vidéo sur le site internet du Collège de France (http ://www.college-de-france.fr/site/alain-de-libera/ inaugural-lecture-2014-02-13-18h00.htm) [NdÉ]. b. Les enregistrements des cours sont disponibles en audio et en vidéo sur le site internet du Collège de France : http ://www.college-de-france.fr/site/alain-de-libera/course-2013-2014. htm ; les enregistrements des séminaires en audio et en vidéo sur : http ://www.college-de- france.fr/site/alain-de-libera/seminar-2013-2014.htm [NdÉ]. 738 ALAIN DE LIBERA Cours : Inventio subiecti Sous ce titre latin, « Inventio subiecti », qui semble contredire son sous-titre : « L’invention du sujet moderne », ou être contredit par lui, s’annonçait l’étude de ce que Nietzsche a, dans Par-delà Bien et Mal, appelé une « triple superstition » : la « superstition de l’âme » – Seelen-Aberglaube – qui n’a pas fini, écrivait-il, aujourd’hui encore, de « semer le trouble », sous ses formes apparentées et « modernes » : la « superstition du sujet » et la « superstition du Je ou du Moi ». Pourquoi, pouvait-on se demander, s’attacher, deux siècles après Nietzsche, à cette triple superstition, alors que la superstition de l’âme est censée n’avoir plus cours, du moins chez les philosophes, et que le sujet, et l’homme lui-même, ont été déclarés « morts » ? Peut- être parce qu’il n’en est rien. Mais aussi, parce que, étant donné l’intitulé général de mon travail, « archéologie philosophique », il était nécessaire de revenir, d’entrée de jeu, sur l’expression « la mort de l’homme », et sur le lien, établi par Michel Foucault, entre « question de l’homme » et « question du sujet », afin d’en engager, à plus long terme, l’examen critique et, pour reprendre un des termes de Heidegger utilisés programmatiquement dans ma leçon inaugurale, la « déconstruction » (Abbau). « L’homme, écrit Foucault, est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. » « Récente », dans Les Mots et les choses (1966), désigne le XVie siècle. Le premier objectif du cours était de montrer que la « figure de l’homme » n’était pas apparue en tant que figure de l’homme moderne à partir du XVie siècle. Pour ce faire, je suis revenu, dans la première séance (6 mars 2014), à l’entretien accordé par Foucault en 1978 à Duccio Trombadori, dans lequel il explique que la « mort de l’homme » n’était, en fin de compte, qu’« une façon confuse, simplificatrice », de dire que « les hommes s’engagent perpétuellement dans un processus qui, en constituant des objets, le déplace en même temps [l’homme], le déforme, le transforme et le transfigure comme sujet », jusqu’à en faire, au tournant du XViiie siècle, un simple « objet de connaissance » anthropologique. Je me suis donc d’abord intéressé à la périodisation foucaldienne. Pourquoi le XVie siècle ? Selon le témoignage de Paul Veyne dans Foucault, sa pensée, sa personne, celui-ci disait que « la question du sujet avait fait couler plus de sang au XVie siècle que la lutte des classes au XiXe ». Dans le scénario foucaldien, le XVie siècle voit l’émergence de la question du sujet – du sujet « religieux », « protestant », non médié ou médiatisé dans son rapport à Dieu par « l’Église, les prêtres et les confesseurs » (trilogie reprise de Lucien Febvre) ; le XViiie, lui, voit l’apparition de l’homme, c’est-à-dire celle de l’anthropologie. Entre les guerres de religion et Kant : c’est cet espace de jeu, qui constitue la « chronologie relativement courte » et le « découpage géographique restreint », bref le « sol de la pensée classique », sur lequel, en l’étendant jusqu’à nous, Foucault situe la naissance, la vie et la mort de l’homme. M’inspirant du mot de Brunschvicg, repris contradictoirement par Aron et par Sartre – « L’histoire de l’Égypte, c’est l’histoire de l’égyptologie » –, j’ai suggéré que la mort (annoncée) de l’homme, c’était avant tout, chez Foucault, la fin (désirée) de l’anthropologie, cette « disposition fondamentale qui a commandé et conduit la pensée philosophique de Kant jusqu’à nos jours ». D’où l’éloge appuyé de Nietzsche dans Les Mots et les choses pour avoir « retrouvé le point où l’homme et Dieu s’appartiennent l’un l’autre », et « où la mort du second est synonyme de la disparition du premier ». Je me suis ensuite intéressé au programme annoncé par Foucault : « déraciner l’anthropologie », et à sa critique de « l’illusion anthropologique », en proposant de revisiter, au fur et à mesure des cours, les premières analyses du statut de l’anthropologie HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE 739 dans la thèse complémentaire présentée en 1961 au jury constitué par Jean Hyppolite et Maurice de Gandillac : la traduction commentée de l’Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant. Après un rapide retour sur la distinction néokantienne entre sciences de la nature, « nomothétiques », et sciences de l’esprit, « idiographiques » selon W. Windelband, qui constitue l’horizon de l’approche kantienne de la théorie de la connaissance au moment où Foucault entame sa critique de l’anthropologie comme « objectivation » de l’homme, j’ai souligné la nécessité pour l’archéologue du sujet de fouiller un terrain où des expressions comme « sujet humain », « subjectivité » et a fortiori « réduction du sujet humain à un objet de connaissance », n’avaient pas encore acquis le sens, la portée et la fonction qui sont les leurs dans l’entretien de Foucault avec Trombadori, autrement dit, d’aller chercher là où la relation sujet-objet ne s’est pas encore imposée sous la forme que présuppose l’usage, kantien et néokantien, qui en est fait dans l’entretien. Je suis donc revenu en détail, dans la première et la seconde séance, sur la « question du sujet au XVie siècle » entendue par Foucault, avec Febvre, comme visant la possibilité de se constituer en sujet religieux sans médiation. J’ai ainsi présenté un ensemble de remarques sur le rejet de la médiation dans la théologie de la « mystique rhénane », remontant de deux siècles a parte ante, jusqu’au XiVe siècle, avec Maître Eckhart († 1328) et les mouvements contestataires tels que les « Frères et Sœurs du Libre-Esprit et de la pauvreté volontaire », et davantage encore, jusqu’à l’Antiquité tardive et à la constitution théologique et ecclésiale de l’« univers dionysien », qui constitue le cadre et offre l’armature conceptuelle de toute conception ou ordre hiérarchiques. La question du subjectus, du subditus, de celui qui est soumis, « placé sous », subordonné, cette question, qui paraît nativement politique, a une formulation originairement théologique – l’univers hiérarchique décrit par le Pseudo-Denys l’Aréopagite dans la Hiérarchie céleste et la Hiérarchie ecclésiastique – donc aussi logique – la relation du général au particulier, de l’essence ou nature uploads/Philosophie/ libera-114-2015.pdf
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- Publié le Mai 27, 2021
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