1 Herméneutique du sujet Cours au Collège de France, 1981-1982 Hautes Études Ga
1 Herméneutique du sujet Cours au Collège de France, 1981-1982 Hautes Études Gallimard - Seuil 2001 Page_1 Cours Année 1981-1982 Page_3 COURS DU 6 JANVIER 1982 Première heure Rappel de la problématique générale : subjectivité et vérité. -Nouveau point de départ théorique : le souci de soi. - Les interprétations du précepte delphique « connais-toi toi-même ». - Socrate comme l'homme du souci analyse de trois extraits de l'Apologie de Socrate. - Le souci de soi comme précepte de la vie philosophique et morale antique. - Le souci de soi dans les premiers textes chrétiens. -Le souci de soi comme attitude générale, rapport à soi, ensemble de pratiques. - Les raisons de la disqualification moderne du souci de soi au profit de la connaissance de soi : la morale moderne; le moment cartésien. - L'exception gnostique. -Philosophie et spiritualité. Je me suis proposé cette année d'essayer la formule suivante 1 : faire deux heures de cours (de 9h 15 à 11 h 15), avec une petite interruption de quelques minutes au bout d'une heure pour vous permettre de vous reposer, de vous en aller si ça vous ennuie, pour me permettre 1 1 aussi de me reposer un peu. Et je tâcherai, dans la mesure du possible, de diversifier tout de même un peu les deux heures de cours, c'est-à-dire de faire plutôt dans la première heure, ou en tout cas dans une des deux heures, un exposé un peu plus, disons, théorique et général; et puis, dans l'autre heure, plutôt quelque chose qui se rapprocherait d'une explication de texte, avec bien entendu tous les obstacles et inconvénients qui sont liés au fait de cette installation : du fait qu'on ne peut pas vous distribuer les textes, du fait qu'on ne sait pas combien vous serez, etc. Enfin, on va toujours essayer. Si ça ne marche pas, on tâchera de trouver l'année prochaine, ou peut-être même cette année, une autre formule. Est-ce que ça vous gêne beaucoup de venir à 9h15 en général? Non? Ça va? Vous êtes plus favorisés que moi, alors. L'an dernier, j'avais essayé d'entamer une réflexion historique sur le thème des relations entre subjectivité et vérité 2. Et pour l'étude de ce problème j'avais choisi comme exemple privilégié, comme surface de Page_4 réfraction si vous voulez, la question du régime des comportements et des plaisirs sexuels dans l'Antiquité, ce régime des aphrodisia vous vous souvenez, tel qu'il était apparu et qu'il avait été défini aux deux premiers siècles de notre ère 3. Régime qui me paraissait comporter, parmi toutes les dimensions de son intérêt, celle-ci: c'était bien dans ce régime des aphrodisia, et non pas du tout dans la morale dite chrétienne ou, pire, dite judéo-chrétienne, que l'on trouvait l'armature fondamentale de la morale sexuelle européenne moderne 4. Cette année, je voudrais un petit peu me dégager de cet exemple précis, et de ce matériel particulier concernant les aphrodisia et le régime des comportements sexuels, et je voudrais dégager de cet exemple précis les termes plus généraux du problème «sujet et vérité». Plus exactement: je ne voudrais en aucun cas éliminer ou annuler la dimension historique dans laquelle j'ai essayé de placer ce problème des rapports subjectivité/ vérité, mais je voudrais tout de même le faire apparaître sous une forme beaucoup plus générale. La question que je voudrais aborder cette année, c'est celle-ci : dans quelle forme d'histoire se sont noués en Occident les rapports entre ces deux éléments, qui ne relèvent pas de la pratique, de l'analyse historienne habituelle, le « sujet » et la « vérité ». Alors, je voudrais prendre comme point de départ une notion dont je crois vous avoir dit quelques mots déjà l'an dernier 5. C'est la notion de « souci de soi-même ». Par ce terme, j'essaie tant bien que mal de traduire une notion grecque fort complexe et fort riche, fort fréquente aussi, et qui a eu une très longue durée de vie dans toute la culture grecque: celle d'epimeleia heautou, que les Latins traduisent, avec, bien sûr, tous les affadissements que l'on a s1 souvent dénoncés, ou en tout cas indiqués 6, par quelque chose comme cura sui 7. 1 Epimeleia heautou, c'est le souci de soi-même, c'est le fait de s'occuper de soi-même, de se préoccuper de soi-même, etc. Vous me direz qu'il est sans doute un peu paradoxal et passablement sophistiqué de choisir, pour étudier les rapports entre sujet et vérité, cette notion d'epimeleia heautou à laquelle l'historiographie de la philosophie n'a pas jusqu'à présent accordé énormément d'importance. C'est un peu paradoxal et sophistiqué de choisir cette notion alors que chacun sait, chacun dit, chacun répète, et depuis bien longtemps, que la question du sujet (question de la connaissance du sujet, question de la connaissance du sujet par lui-même) a été originairement posée dans une tout autre formule et dans un tout autre précepte la fameuse prescription delphique du gnôthi seauton (« connais-toi toi-même ») 8. Alors donc que tout nous indique dans l'histoire de la philosophie- plus largement encore, dans l'histoire de la pensée occidentale - Page_5 que c'est le gnôthi seauton qui est sans doute la formule fondatrice de la question des rapports entre sujet et vérité, pourquoi avoir choisi cette notion apparemment un peu marginale, qui court bien sûr dans la pensée grecque mais à laquelle il ne semble pas qu'on ait fait un statut particulier : celle de souci de soi-même, d'epimeleia heautou? Alors je voudrais un petit peu m'arrêter, dans cette première heure, sur cette question des rapports entre l'epimeleia heautou (le souci de soi) et le gnôthi seauton (le « connais-toi toi-même » ). À propos du « connais-toi toi-même »,je voudrais faire cette première remarque très simple, en me référant à des études qui ont été faites par des historiens et des archéologues. Il faut tout de même bien garder à l'esprit ceci: tel qu'il a été formulé, de façon si illustre et éclatante, et gravé sur la pierre du temple, le gnôthi seauton n'avait sans doute pas, à l'origine, la valeur qu'on lui a prêtée par la suite. Vous connaissez (on aura à y revenir) le fameux texte dans lequel Épictète dit que ce précepte « gnôthi seauton » a été inscrit là, au centre de la communauté humaine 9. En fait, il a sans doute été inscrit en ce lieu, qui a été un des centres de la vie grecque, et puis un centre de la communauté humaine par la suite 10, mais avec une signification qui n'était certainement pas celle du « connais-toi toi-même » au sens philosophique du terme. Ce n'était pas la connaissance de soi qui était prescrite dans cette formule, ni la connaissance de soi comme fondement de la morale, ni la connaissance de soi comme principe d'un rapport aux dieux. On a proposé un certain nombre d'interprétations. Il y a la vieille interprétation de Roscher, proposée en 1901 dans un article duPhilologus 11, où il rappelait qu'après tout les préceptes delphiques étaient des préceptes qui s'adressaient à ceux qui venaient consulter le dieu, et qu'il fallait les lire comme des sortes de règles, de 1 recommandations rituelles en rapport avec l'acte même de la consultation. Et les trois préceptes, vous les connaissez. Le mêden agan (« rien de trop »)ne voudrait, selon Roscher, absolument pas désigner, formuler un principe général d'éthique et de mesure dans la conduite humaine. Mêden agan (« rien de trop »), ça veut dire: toi qui viens consulter, ne pose donc pas trop de questions, ne pose que les questions utiles, réduis à ce qui est nécessaire les questions que tu veux poser. Le second précepte, celui sur les egguê (les cautions) 12, voudrait dire exactement ceci: ne fais pas des voeux, ne t'engage pas, quand tu viens consulter les dieux, à des choses, à des engagements que tu ne pourrais pas honorer. Quant au gnôthi seauton, il voudrait dire, toujours selon Roscher : au moment où tu viens poser des questions à l'oracle, examine bien en toi-même les questions que tu as Page_6 à poser, que tu veux poser, et puisque tu dois bien réduire au maximum le nombre de tes questions et ne pas en poser trop, fais donc attention en toi-même à ce que tu as besoin de savoir. Interprétation beaucoup plus récente que celle-là: celle de Defradas, en 1954, dans un livre sur Les Thèmes de la propagande delphique 13. Defradas propose une autre interprétation, mais qui, là aussi, montre bien, suggère bien que le gnôthi seauton n'est absolument pas un principe de connaissance de soi. Selon Defradas, ces trois préceptes delphiques seraient des impératifs généraux de prudence: «rien de trop » dans les demandes, les espoirs, aucun excès non plus dans la manière de se conduire; quant aux « cautions », c'était un précepte mettant en garde les consultants contre les risques de générosité excessive; et quant au « connais-toi toi-même », ce serait le principe [selon lequel] il faut se rappeler sans cesse que l'on n'est après tout qu'un mortel et uploads/Philosophie/ foucault-l-x27-herme-neutique-du-sujet-6-janvier-1982.pdf
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- Publié le Apv 01, 2021
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