L. Linsky Wittgenstein, le langage et quelques problèmes de philosophie In: Lan
L. Linsky Wittgenstein, le langage et quelques problèmes de philosophie In: Langages, 1e année, n°2, 1966. pp. 85-95. Citer ce document / Cite this document : Linsky L. Wittgenstein, le langage et quelques problèmes de philosophie. In: Langages, 1e année, n°2, 1966. pp. 85-95. doi : 10.3406/lgge.1966.2336 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1966_num_1_2_2336 L. LINSKY WITTGENSTEIN, LE LANGAGE ET QUELQUES PROBLÈMES DE PHILOSOPHIE Л est devenu banal de dire qu'il y a deux Wittgenstein, celui du Tractatus logico-philosophicus et celui des Investigations philoso phiques. Le premier — encore très proche de l'école des logiciens polo nais — n'intéresse qu'indirectement le linguiste. Le second, en revanche, qui prend pour objet le langage tel qu'il est donné, et tente d'élucider ta multitude de ses emplois effectifs, peut apporter à ta linguistique aussi bien des indications de méthode que des résultats de détail fort suggestifs. Ce sont qtietqtíes-uns de ces thèmes qu'expose L. Linskg dans l'article « Wittgenstein on Language and some problems of phi losophy », publié dans The Journal of Philosophy * (1957), pp. 285- 293. L'article qu'on lira ensuite, dû à Albert Shalom, montre le mou vement de pensée qui a conduit Wittgenstein à abandonner sa conception primitive du langage comme représentation logique de la réalité, pour en venir à étudier, dans le donné concret, les emplois de l'outil lin guistique. Dans ses Investigations philosophiques, Wittgenstein pose la question suivante : « Ce que nous appelons « obéir à une règle » est-il un acte susceptible de n'être accompli que par un seul homme, et, par lui, une seule fois dans sa vie? » (199) *. Wittgenstein fait remarquer que c'est une question grammaticale, qui demande non pas une investigation empirique, mais une analyse logique du concept « obéir à une règle ». Il déclare qu'il est impossible qu'il * Nous remercions cette revue, et l'auteur, de nous avoir aimablement autorisés à publier une traduction de cet article. 1. Les chiffres entre parenthèses renvoient aux numéros des remarques de Witt genstein dans ses Investigations philosophiques. Les Philosophische Untersuchungen ont été publiées à Oxford en 1953, en même temps qu'une traduction anglaise, due à G. E. M. Anscombe. Une traduction française, de P. Klossowski, comprenant à la fois le Tractatus et les Investigations a été publiée en 1961 (Gallimard). [N. d. T.] 86 n'y ait eu qu'une seule occasion où quelqu'un ait obéi à une règle. Certes nous pouvons imaginer toutes sortes de situations où l'on ait promulgué une règle à laquelle on aurait obéi une seule fois, puis qu'on aurait rapportée. Ce n'est pas de cela que Wittgenst ein veut parler. Il veut parler de l'usage d'obéir aux règles, et non pas à telle ou telle règle particulière. On peut distin guer de la même façon l'usage des échecs, et ce jeu particulier qui correspond à cet usage. Bien entendu, un cas ne peut corre spondre à un usage que si l'usage existe déjà. Il est impossible qu'il n'y ait eu qu'une seule occasion où l'on ait fait un rapport, donné et compris un ordre. Il n'est pas possible qu'il n'y ait eu, dans toute l'histoire de l'humanité, qu'une seule apparition de l'action de faire un rapport. Car faire un rapport, c'est se conformer à un certain usage, à une certaine coutume. Il ne peut y avoir d'usage sans cas correspondant à cet usage, pas plus qu'il ne peut y avoir de cas correspondant à un usage sans que cet usage existe. Supposons que l'on nous demande pourquoi nous donnons à une certaine activité le nom de « donner un ordre ». Peut-être nous pose-t-on cette question parce que certains traits de cette activité n'ont pas été remarqués. En ce cas, nous pourrions les relever en expliquant l'emploi que nous faisons des mots. Si cette démarche se poursuit assez longtemps, il se peut que nous finissions par atteindre le point auquel nous dirons : « Mais c'est ainsi que notre langue est employée. » Et, par là, nous faisons appel à la coutume, et aux emplois de notre langue qui font que l'expression « donner un ordre » s'applique à ce cas précis. Mais supposons à présent que l'on supprime cet arrière-plan de coutume : on s'aper cevra que la possibilité de distinguer entre l'emploi correct d'un mot, et son emploi incorrect, a disparu en même temps. Essayons à. présent d'imaginer un langage privé. En ce cas, l'arrière-plan de coutume est également privé. Que seraient une cou tume ou un usage privés? que serait une règle privée? Je pourrais par exemple appeler l'objet qui se trouve devant moi un « bivre » au lieu d'un « livre ». Et en un sens, je parlerais alors un langage privé. Mais ce n'est pas de cela que parle Wittgenstein lorsqu'il dit qu'il ne peut exister de langage privé. « Suivre une règle est ana logue à obéir à un ordre. » Nous sommes formés à cela; nous réagis sons à un ordre d'une façon particulière. « Mais qu'adviendra-t-il si un individu réagit de telle façon, et un autre de telle autre, à Tordre et à la formation reçue? Lequel a raison? » (206). Pour répondre à cette question il nous faut faire référence au 87 comportement commun de la communauté d'hommes qui emploient cette langue. La manière correcte de réagir à un ordre doit être la manière habituelle. Sans les règles sous-tendant cette coutume, il n'existe pas de système de référence qui nous permette de justifier l'affirmation selon laquelle une réaction à un ordre particulier est correcte, et telle autre incorrecte. Lorsque Wittgenstein traite des langages privés, il songe à des langages que personne d'autre que le locuteur ne pourrait comprendre. Malcolm a fait remarquer a que l'idée d'un langage privé de ce type précis est présupposée par une foule de systèmes et de doctrines philosophiques. Elle est impli quée dans le problème de la connaissance que nous pouvons avoir d'autres esprits. Ce problème apparaît lorsque nous supposons que, dans le cas de nos sensations, notre langage est un langage privé. Ce n'est qu'à partir de mon cas personnel que je sais ce que signifie la douleur. Je n'éprouve que mes douleurs personnelles. Mais si le sens de « douleur » ne m'est connu qu'à partir de mon cas personn el, de mon exemple particulier, comment se peut-il que quelqu'un d'autre puisse me comprendre lorsque j'emploie le langage de la douleur? Je suis seul à pouvoir éprouver mes douleurs. De la même façon, lorsque d'autres parlent de douleur, ils se réfèrent à leur exemple particulier, qui m'est inaccessible. Qui sait si même ils font référence à quelque chose? « Imaginons le cas suivant. Je veux noter dans mon journal la récurrence d'une certaine sensation. « A cette fin, je lui associe le signe E, et j'écris ce signe dans mon calendrier chaque fois que j'ai éprouvé cette sensation dans une journée. — Je ferai tout d'abord remarquer que l'on ne peut formuler de définition du signe. — Certes, mais je peux toujours me donner une sorte de définition ostensive. — Comment? Puis-je désigner la sensation? Pas au sens habituel. Mais je prononce, ou j'écris ce signe et, en même temps, je concentre mon attention sur la sensation, et ainsi en quelque sorte, je la désigne intérieurement. Mais à quoi sert tout ce cérémonial? Car c'est bien à cela qu'on aboutit! Une définition, assurément, sert à; établir le sens d'un signe. — Eh bien, c'est précisément ce qu'accomplit la concentration de mon attention; car, de cette façon, je marque en moi-même la relation qui existe entre le signe et la sensation. — Mais « je marque en moi-même » ne peut vouloir dire que ceci : cette démarche me conduit à me rappeler, pour l'avenir, la relation correcte. Or, dans 2. Norman Malcolm, « "Wittgenstein's Philosophical Investigations », in Philo sophical Review, vol. LXIII (oct. 1954), pp. 530-559. 88 le cas présent, je n'ai aucun critère de correction. On voudrait pouvoir dire : tout ce qui va, dans l'avenir, me sembler correct, est correct. Ce qui signifie simplement que nous ne pouvons à présent parler de correction » (258). Par cette remarque, Wittgenstein déclare qu'un langage privé serait un langage dans lequel il n'existerait pas de critère permet tant de distinguer l'emploi correct d'une langue de son emploi incorrect. Notre langage (public) donne effectivement de semblables cri tères. Les critères d'une application correcte des mots désignant une sensation sont enseignés et appris en mainte situation publique. Lorsque nous essayons d'imaginer de telles situations d'apprentis sage, il devient visible que l'exemple privé n'est pas du tout nécessaire. On pourrait dire qu'il existe effectivement des critères de l'emploi correct de mon langage privé. Tout ce que j'ai à faire, c'est de faire appel à ma mémoire pour voir si j'ai, par exemple, employé le signe E en conformité avec mon intention privée. A cela Wittgenstein réplique : « Imaginons un tableau (un peu comme un dictionnaire) n'exis tant que dans notre imagination. Un dictionnaire peut servir à justifier la traduction d'un mot x par un mot y. Mais pouvons- nous uploads/Philosophie/ linsky-wittgenstein-le-langage-et-quelques-problemes-de-philosophie.pdf
Documents similaires










-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 19, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.9433MB