Cogito et discours philosophique Foucault lecteur de Descartes, à Tunis Daniele
Cogito et discours philosophique Foucault lecteur de Descartes, à Tunis Daniele Lorenzini Centre Prospéro, Université Saint-Louis – Bruxelles 1. Je tiens avant tout à remercier Rodrigo pour cette invitation : c’est un plaisir et un honneur d’être ici aujourd’hui. Avant de vous proposer quelques réflexions sur Foucault lecteur de Descartes, notamment (mais pas exclusivement) à partir des cours qu’il donne à Tunis entre 1966 et 1968, Rodrigo m’a demandé si je pouvais dresser un petit « état des lieux » pour ce qui concerne les publications d’inédits de Foucault attendues dans les années à venir. De ce point de vue, il y a à ma connaissance trois grands chantiers ouverts. Premièrement, la publication de l’intégralité des interventions de Foucault à la radio : il y en a plus de soixante, une partie desquelles sont inédites. Le projet, commencé à l’initiative de l’INA (Institut national de l’audiovisuel), est assez avancé et l’ouvrage devrait paraître en 2019 chez Belin. Deuxièmement, au sein de la collection « Philosophie du présent » que je codirige chez Vrin, d’autres volumes d’inédits sont attendus en plus des quatre qui sont déjà sortis : un volume avec des conférences et des manuscrits sur la prison, la pénalité et la justice, qui paraîtra si tout va bien en mai ; un volume sur la sexualité recueillant les conférences de Sao Paulo de 1975 et le séminaire à la New York University de 1980 ; deux volumes sur langage, littérature et folie ; un volume de textes autour de l’Archéologie du savoir ; un volume de conférences et entretiens « politiques » de la fin des années 1970-début des années 1980 ; un volume avec les conférences données à Buffalo et McGill au début des années 1970. Enfin, troisièmement, les cours « avant » ceux du Collège de France (à Lille, à Clermont- Ferrand, à Sao Paulo, à Tunis et à Vincennes), ainsi qu’un volume recueillant les textes – dont plusieurs inédits – de Foucault sur Nietzsche, seront publiés par Seuil-Gallimard toujours au sein de la collection « Hautes Études ». Le premier volume de cette « série », recueillant les cours sur la sexualité de Clermont-Ferrand et de Vincennes, paraîtra à l’automne. Voilà donc une petite vue d’ensemble de la situation. Si vous avez des questions à propos de l’un ou l’autre de ces projets, je serai bien entendu heureux d’y répondre au mieux de mes connaissances lors de la discussion. Je passe maintenant à mon intervention proprement dite. Les pages d’Histoire de la folie dédiées aux Méditations métaphysiques, et notamment à l’exclusion de la folie dans le cheminement du doute cartésien1, ont retenu l’attention des interprètes et des critiques de manière presque exclusive lorsqu’il s’est agi, pendant le dernier demi-siècle, d’aborder le thème « Foucault lecteur de Descartes ». La célèbre « querelle » entre Foucault et Derrida a d’ailleurs grandement contribué à focaliser le débat sur ce point spécifique2, quoiqu’en réalité la portée de la critique derridienne allait bien au-delà du seul problème de l’exclusion de la folie par le sujet cartésien et du « déséquilibre fondamental » qu’il y aurait entre folie d’une part, rêve et erreur de l’autre, au sein des Méditations3. Par conséquent, au lieu de revenir une fois de plus sur la thèse foucaldienne du « coup de force » opéré par Descartes afin de réduire la folie au silence – coup de force que Foucault présente comme la véritable condition de possibilité de l’émergence du sujet moderne –, dans cette intervention, premièrement, je prendrai en considération la lecture que Foucault offre de la philosophie de Descartes dans les cours (à ce jour encore inédits) qu’il donne à l’Université de Tunis entre 1966 et 1968. Je me concentrerai ensuite sur les déplacements très significatifs qui s’opèrent dans la pensée de Foucault entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, déplacements qui lui ouvrent, dix ans plus tard, la possibilité d’élaborer une nouvelle interprétation des Méditations et du Cogito. 1 Cf. FOUCAULT, Michel, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961, p. 54- 57 ; deuxième édition : Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 56-59. 2 Cf. DERRIDA, Jacques, « Cogito et histoire de la folie », Revue de métaphysique et de morale, vol. 69, n° 3-4, 1964, p. 460-494 ; repris dans L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 51-97. FOUCAULT, Michel, « Réponse à Derrida », Paideia, n° 11, 1972, p. 131-147 ; repris dans Dits et écrits I, 1954-1975, éd. D. Defert et F. Ewald, Paris, Gallimard, 2001, p. 1149-1163. Une autre version de ce texte sera publiée, la même année, en appendice à la réédition d’Histoire de la folie chez Gallimard : FOUCAULT, Michel, « Mon corps, ce papier, ce feu », dans Histoire de la folie à l’âge classique, op. cit., p. 583-603 ; repris dans Dits et écrits I, op. cit., p. 1113-1136. 3 Cf. ADORNO, Francesco Paolo, « Événement et origine dans Histoire de la folie », dans D. Lorenzini et A. Sforzini (dir.), Un demi-siècle d’« Histoire de la folie », Paris, Kimé, 2013, p. 89-102. 2. Quelques mois après la parution de Les mots et les choses4, Foucault obtient un détachement de l’Université de Clermont-Ferrand pour aller enseigner la philosophie à l’Université de Tunis. Il s’installe alors à Sidi Bou Saïd à l’automne 1966 ; il ne quittera la Tunisie que deux ans après, en octobre 1968. Deux cours, parmi ceux qu’il donne à la Faculté des Lettres et sciences humaines de l’Université de Tunis, sont particulièrement intéressants pour le sujet de mon intervention d’aujourd’hui : le cours sur « Le discours philosophique », dont le manuscrit autographe (très rédigé, du moins dans sa première partie) a été conservé5, et le cours sur Descartes, où Foucault offre notamment une analyse du Discours de la méthode et des Méditations métaphysiques6. Dans ces cours, Descartes est présenté à la fois comme le « fondateur de la philosophie moderne » et comme le « dévoyeur de la philosophie en général ». Afin d’explorer ce double rôle joué par la philosophie cartésienne, Foucault commente de près les lectures (opposées) de Descartes que donnent, d’une part, Hegel et Nietzsche et, d’autre part, Husserl et Heidegger, son objectif étant de montrer que « la question de Descartes est liée à toute l’interprétation qu’on donne de ce qu’est et de ce que doit être la philosophie », ou mieux, de ce qu’est et de ce que doit être « dans sa totalité et dans sa nature propre le discours philosophique7 ». Le problème que Foucault aborde dans ces cours est donc très différent – et beaucoup plus vaste – de la simple question de l’exclusion de la folie dans le cheminement du doute cartésien au sein des Méditations8. 4 FOUCAULT, Michel, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966. 5 Il peut être consulté à la Bibliothèque nationale de France (NAF 28730, boîte 58). 6 Dans le fonds Foucault déposé à la Bibliothèque nationale de France on ne trouve pourtant que le manuscrit d’une conférence (ou peut-être d’une leçon) sur Descartes suivie d’une analyse schématique des Méditations (NAF 28730, boîte 70, dossier 3). Pour le plan détaillé du cours de Foucault sur Descartes, voir BOUBAKER-TRIKI, Rachida, « Notes sur Michel Foucault à l’Université de Tunis », Rue Descartes, n° 61, 2008, p. 112-113. 7 FOUCAULT, Michel, « Descartes », BnF, NAF 28730, boîte 70, dossier 3. 8 Il est d’ailleurs remarquable que Foucault, dans le manuscrit où il offre une analyse des Méditations, ne fasse aucune mention de cette question. Cf. FOUCAULT, Michel, « Méditations », BnF, NAF 28730, boîte 70, dossier 3. Celle-ci ne revient que très brièvement dans le manuscrit du cours consacré au discours philosophique, lorsque Foucault décrit la « mutation » introduite par l’œuvre de Nietzsche au niveau des rapports entre le discours philosophique et celui qui l’énonce, mutation ouvrant « la possibilité du Il s’agit bel et bien d’étudier les modifications historiques et le statut contemporain du discours philosophique, notamment dans les rapports qu’il entretient avec d’autres formes de discours (scientifique, littéraire, quotidien, religieux). D’après Foucault, depuis le début de la philosophie grecque, le philosophe a toujours été appelé à la fois à interpréter et à guérir, à faire surgir dans son discours de manière solidaire « l’énoncé du sens » et « la conjuration du mal ». Mais le discours philosophique contemporain échappe à la « figure entrecroisée du sens et du mal », car il n’est pas une interprétation et il n’a pas pour fin une thérapeutique. Le philosophe, désormais, « doit dire tout simplement ce qu’il y a », sans recul ni distance dans l’instant même où il parle : il doit dire, diagnostiquer « ce que c’est qu’“aujourd’hui” ». Étrange discours dont il s’agit pour Foucault de comprendre le statut précis et les rapports singuliers qu’il entretient avec le sujet parlant, avec son « ici » et avec son « à présent uploads/Philosophie/ lorenzini-cogito-et-discours-philosophique.pdf
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- Publié le Jui 18, 2022
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