Bulletin d’analyse phénoménologique Revue électronique de phénoménologie publié
Bulletin d’analyse phénoménologique Revue électronique de phénoménologie publiée par l’unité de recherche « Phénoménologies » de l’Université de Liège Volume II, numéro 5 http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm Octobre 2006 ISSN : 1782-2041 Sommaire John TRYSSESOONE Les chemins de l’intersubjectivité dans la philosophie de Husserl 3-76 ! " # # $ % % J. Tryssesoone, « Les chemins de l’intersubjectivité dans la philosophie de Husserl », Bulletin d’analyse phénoménologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 Les chemins de l’intersubjectivité dans la philosophie de Husserl Introduction La découverte de la phénoménologie transcendantale s’accom- pagne d’une exigence radicale, que Husserl ne cessera jamais d’assu- mer*. Cette exigence, peut-être inédite, consiste à poser, au niveau le plus originaire, une pluralité d’absolus. Si l’idéalisme transcendantal de Husserl paraît devoir commencer, pour des raisons de méthode, par une égologie transcendantale, il ne saurait pourtant se réaliser pleinement que dans une monadologie transcendantale, sous peine de se voir disqualifié. Le problème phénoménologique de l’inter- subjectivité, auquel la cinquième des Méditations cartésiennes rendit ses lettres de noblesse, n’est donc pas un problème constitutif anodin sur le chemin de la phénoménologie ; il est justement un problème qu’elle rencontre sur le chemin de sa réalisation, en tant qu’il est le sol à partir duquel tous les problèmes constitutifs devront recevoir leur fondation ultime. P. Ricœur a remarqué avec justesse que l’inter- * Ce texte est issu d’un mémoire de DEA soutenu en septembre 2006 à l’Uni- versité de Liège. Je tiens à remercier Daniel Giovannangeli pour son soutien et ses précieuses remarques critiques. JOHN TRYSSESOONE 2006 – http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 4 subjectivité remplace, dans les Méditations de Husserl, la véracité divine de Descartes, en tant qu’elle fonde toute vérité et toute réalité qui dépasse la simple réflexion du sujet sur lui-même1. Aussi, si le point de départ égologique des Méditations cartésiennes doit s’assurer méthodiquement de la fondation absolue de la phénoménologie transcendantale, il ne saurait être légitime, en tant que commence- ment, qu’en vue de l’intersubjectivité à gagner, sans quoi il s’invaliderait tout simplement au vu du monde qu’il nous aura fait perdre. L’exigence d’absoluité de la sphère d’être transcendantale devra, en définitive, se rendre conforme à l’exigence de son universa- lité intersubjective. Or, il n’est pas certain qu’une telle conformité puisse jamais s’accomplir. Il se pourrait même que la phénoménologie transcen- dantale, tout en stipulant une multiplicité d’absolus, ne parvienne jamais à en rendre tout à fait compte de façon absolue. Les autres absolus pourraient se refuser à se donner absolument à l’absolu que je me sais indubitablement être. Qu’ils soient privés de fenêtres, et la pluralité des absolus serait une exigence scientifique, un fait présomptif, mais non une évidence apodictique. La phénoménologie transcendantale, pour peu qu’elle continue à se refuser toute méta- physique dogmatique, se retrouverait alors déchirée entre les deux exigences sur lesquelles elle assoit ses prétentions à être une philo- sophie première. Ou bien, absolue, elle se refuse l’intersubjectivité et le monde objectif ; ou bien, intersubjective, elle se refuse à la fondation absolue. Elle serait alors dans une perpétuelle tension entre une égologie privée de véracité divine et une monadologie privée de monade des monades. Toutefois, si certains ont pu voir dans le problème de l’inter- subjectivité la fin de la phénoménologie transcendantale, tel ne sera pas notre propos : ce serait là une prétention qui non seulement excéderait nos moyens, mais qui serait, en outre, contraire à notre propre conviction. Celle-ci consiste plutôt à voir dans le problème de l’intersubjectivité la source d’une remise en question et d’un renou- vellement constant de la phénoménologie elle-même. Si le problème de l’intersubjectivité se trouve sur le chemin qui conduit à la 1 P. Ricœur, À l’école de la phénoménologie, Paris, Vrin, 2004 (1986), p. 197. LES CHEMINS DE L’INTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, « Les chemins de l’intersubjectivité dans la philosophie de Husserl », Bulletin d’analyse phénoménologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 5 phénoménologie transcendantale, nous aurons l’occasion de remar- quer que ce chemin n’est ni unique ni définitif. C’est bien plutôt le dynamisme de la phénoménologie, la créativité de son père fondateur que nous aurons l’occasion de constater. Cette évolution, que nous étudierons à travers quelques grands textes husserliens, nous intéressera particulièrement dans son étroite affinité avec l’évolution de la théorie de la réduction phénoméno- logique. En effet, comme l’indique déjà Françoise Dastur dans sa remarquable étude sur « Réduction et intersubjectivité »1, le problème de l’intersubjectivité commence à hanter Husserl de façon de plus en plus critique dès l’époque où il découvre la réduction phénoméno- logique2. Aussi, écrit-elle, « la problématique de la réduction et celle de l’intersubjectivité, loin d’être inconciliables, forment au contraire une seule et même problématique »3. Celle-ci, fait-elle par ailleurs voir, est sans cesse vivante, se refusant systématiquement à se laisser fixer dans une théorie qui soit définitivement satisfaisante. Ce qui nous porte à considérer la problématique de l’intersubjectivité, tout autant que celle de la réduction, comme étant en constante évolution, et cette évolution comme motivée par le jeu même de leurs mutuelles influences. Pour le dire encore en prévision, une réduction égologique conduit à l’intersubjectivité sous un certain angle, qui diffère nécessairement de celui auquel mène une réduction intersubjective. Chacune de ces réductions conduit à la phénoménologie transcendan- tale par un parcours qui lui est propre et dont la spécificité doit rejaillir à son tour sur la signification de la phénoménologie ainsi atteinte. Aussi : les chemins de la phénoménologie sont-ils les chemins de l’intersubjectivité. Réduction et intersubjectivité ont un 1 F. Dastur, « Réduction et intersubjectivité », dans Husserl, collectif sous la direction d’É. Escoubas et M. Richir, Grenoble, Millon, 1989, p. 43-64. 2 Certains travaux récents ont montré que le problème de l’intersubjectivité se posait déjà à l’époque des Recherches logiques. Voir en particulier B. Bouckaert, « Le problème de l’altérité dans les Recherches logiques de Edmund Husserl », dans Revue philosophique de Louvain, 99/4, nov. 2001, p. 630-651 ; et B. Bouckaert, L’idée de l’autre : La question de l’idéalité et de l’altérité chez Husserl des « Logische Untersuschungen » aux « Ideen I », Kluwer, Dordrecht, 2003 (Phaenomenologica, 168). 3 F. Dastur, art. cit., p. 61. JOHN TRYSSESOONE 2006 – http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 6 destin lié, que nous tenterons de parcourir dans ses différentes configurations. Afin de nous garantir un accès à celles-ci, nous partirons de la tripartition qu’en propose Iso Kern dans l’article, si éclairant, qu’il consacre aux « Trois voies de la réduction phénoménologique transcendantale dans la philosophie de Edmund Husserl »1. Iso Kern, qui est par ailleurs l’éditeur des trois volumes des Husserliana : Zur Phänomenologie der Intersubjektivität, relie d’une façon chaque fois pénétrante à la problématique de la réduction phénoménologique celle de l’intersubjectivité, confirmant en cela les propos de Françoise Dastur. Réduction égologique et réduction intersubjective trouveront à se mettre en œuvre à travers ces trois voies : la première dans la « voie cartésienne », et la seconde dans les deux voies dites « non carté- siennes », qu’Iso Kern identifie à la « voie par la psychologie inten- tionnelle » et à la « voie de l’ontologie ». Nous nous inspirerons aussi fortement, bien que de façon très libre, des travaux rassemblés dans Transcendance et incarnation2 par Natalie Depraz, qui mobilise quant à elle déjà l’article d’Iso Kern, dont elle signe par ailleurs la traduction. Ces trois voies de la réduction phénoménologique nous serviront de cadre constant dans lequel nous espérons pouvoir déployer une réflexion aussi personnelle que possible. Leur plurivalence nous paraîtra dynamisée par la tension entre les deux exigences, peut-être antagonistes, d’absoluité et d’universalité intersubjective. Ces deux exigences de la phénoménologie transcendantale trouveront à s’expri- mer de façon différente selon les voies empruntées. Tandis que la voie cartésienne insistera sur la nécessité d’une fondation absolue de la phénoménologie, les voies non cartésiennes se rendront davantage attentives à l’intersubjectivité à gagner. Exigeant un commencement absolu, la première rencontre l’intersubjectivité à titre de problème constitutif postérieur à l’égologie transcendantale. Les secondes au contraire, commençant d’abord naïvement par prendre acte de 1 I. Kern, « Les trois voies de la réduction phénoménologique transcendantale dans la philosophie de Edmund Husserl », dans Alter, n°11, 2003, p. 285-323. 2 N. Depraz, Transcendance et incarnation. Le statut de l’intersubjectivité comme altérité à soi chez Husserl, Paris, Vrin, 1995. LES CHEMINS DE L’INTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, « Les chemins de l’intersubjectivité dans la philosophie de Husserl », Bulletin d’analyse phénoménologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 7 l’universalité de l’intersubjectivité transcendantale, rencontreront l’égologie quant à la fondation de leurs acquis transcendantaux. uploads/Philosophie/ intersubjectivite-chez-husserl.pdf
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