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04/10/11 15:44 Pierre Macherey : “Le cours magistral (3)” | La philosophie au sens large Seite 1 von 17 http://philolarge.hypotheses.org/1032 La philosophie au sens large Pierre Macherey : “Le cours magistral (3)” 4 avril 2011 La pratique enseignante et ses apories (Hegel, encore) En vue de pousser plus loin l’analyse, on peut continuer à utiliser l’exemple de l’enseignement de Hegel, mais en exploitant d’autres sources que celle qui vient d’être examinée, témoignage rétrospectif d’un élève subjugué, entièrement conquis, dont les souvenirs formatés reproduisent à la lettre une expérience idéale dont l’interprétation alimente ce qu’on peut appeler une mythologie. Pour se faire une idée de la manière dont Hegel enseignait, on dispose, par ailleurs, d’indices matériels, sans doute partiels, qui se trouvent déposés dans le texte de celles de ses œuvres correspondant à la période durant laquelle il a exercé à plein titre des fonctions universitaires : l’Encyclopédie des sciences philosophiques, publiée à Heidelberg (1e édition, 1817), et les Principes de la philosophie du droit en abrégé, publiés à Berlin (1e édition, 1821). Hegel a composé ces deux ouvrages pour qu’ils servent de manuels d’enseignement ; il les utilisait pendant ses cours, qu’il faisait vraisemblablement, détail dont Hotho ne fait pas mention, le livre posé devant lui, sans même avoir besoin de l’ouvrir, tant était parfaite la mémoire qu’il avait de ce qu’il y avait lui- même écrit, alors que, de leur côté, les étudiants devaient avoir à leur disposition, grand ouverts sur leurs pupitres, des exemplaires du même ouvrage, sur lequel ils pouvaient suivre sans être trop déroutés la difficile parole du maître, une parole qui en conséquence se présentait comme étant, sinon surgie de l’écrit, du moins soutenue par lui, puisqu’il offrait un cadre déjà tout tracé à son déroulement en même temps qu’il en structurait la réception. Comme cela se faisait dans les universités médiévales, l’enseignement revêtait en conséquence une forme directement livresque, ce qui confirme que, dans sa pratique professorale, Hegel « parlait comme un livre », très concrètement en faisant référence à un livre dont qui lui servait d’instrument pour donner à sa parole un point d’appui, une assise, en délimitant à l’avance le champ de son exercice. Dans ce cas précis, ce livre de référence n’est plus seulement, comme cela vient d’être avancé à partir de la relation d’Hotho, un ouvrage théorique de portée générale où soit caractérisé dans ses grandes lignes l’esprit d’une pédagogie de la pensée, ce qu’est en un sens la Phénoménologie de l’esprit, mais c’est un 04/10/11 15:44 Pierre Macherey : “Le cours magistral (3)” | La philosophie au sens large Seite 2 von 17 http://philolarge.hypotheses.org/1032 ouvrage spécialement composé en vue de servir à une procédure de formation déterminée, dont il fixe de façon détaillée le programme sous la forme d’un « précis ». La Préface de la 1e édition de l’Encyclopédie (1817) justifie cette manière de faire de la façon suivante : « Le besoin de mettre entre les mains de mes auditeurs un fil conducteur pour les cours de philosophie est ce qui m’a en tout premier lieu amené à faire paraître toute l’étendue embrassée par la philosophie, plus tôt que je n’en aurais eu par ailleurs l’intention. »1 La nécessité dans laquelle il s’est trouvé d’enseigner a donc obligé Hegel à anticiper sur les développements ultérieurs de son travail personnel de chercheur en philosophie, en en publiant les résultats alors même leur teneur rationnelle n’avait pas encore atteint un degré suffisant d’effectivité : il est à remarquer que l’anticipation de son système qu’il a été ainsi amené à réaliser, en en présentant une vue d’ensemble à ses yeux prématurée, a représenté, de sa part, l’unique occasion d’en faire connaître le parcours global, dont certaines parties essentielles, comme la philosophie de la nature, n’ont jamais été traitées par lui par ailleurs sous une autre forme. Cette anticipation a consisté en la fabrication d’un « abrégé », où étaient consignés, étant de ce fait considérés comme acquis, les résultats d’investigations encore en cours, avec pour conséquence inévitable le degré inévitable d’abstraction imposé à cette exposition en raison des nécessités pédagogiques qui en conditionnent l’emploi. Or, au point de vue de Hegel philosophe, la pensée rationnelle, qui s’oblige à pratiquer la « patience du concept », c’est-à-dire à respecter le rythme de développement propre à celui-ci, récuse par-dessus tout l’abstraction : elle se doit d’être concrète, et elle y parvient en suivant jusqu’au bout son développement, ce qui suppose qu’elle se laisse porter continûment par la logique interne qui impulse celui- ci, sans en morceler ni en brusquer le cours. Son principal souci, lorsqu’il enseignait, a donc dû être de réduire au maximum les inconvénients liés à cette abstraction, en utilisant les moyens fournis sous forme écrite par le manuel de manière à les faire servir au mieux à l’exercice d’une pensée vivante, qui répugne naturellement à se laisser représenter comme étant déjà toute faite, telle qu’elle paraît enclose dans les pages d’un livre qui en offre une exposition statique, artificiellement immobilisée. C’est ce que confirme la précision apportée dans la suite de la Préface : « La nature d’un Précis n’exclut pas seulement un développement exhaustif des idées 04/10/11 15:44 Pierre Macherey : “Le cours magistral (3)” | La philosophie au sens large Seite 3 von 17 http://philolarge.hypotheses.org/1032 suivant leur contenu, mais rétrécit en particulier aussi le développement de leur dérivation systématique, qui doit nécessairement contenir ce que l’on entendait autrefois par la preuve et qui est rendu indispensable à une philosophie scientifique. Le Titre devait indiquer pour une part l’étendue d’un Tout, pour une part l’intention de réserver le détail pour l’exposé oral. » (Id.) Comment restituer un « tout » sous la forme d’un « abrégé » qui, par définition n’en délivre le contenu que de manière partielle, en en « rétrécissant » le développement, donc en l’appauvrissant, principalement du fait de l’avoir amputé de son élan dynamique ? C’est en vue de remédier à cet inconvénient que l’enseignement oral récupère une utilité : il ne se limite pas à réciter platement, à ânonner ce qui est énoncé dans le manuel sous une forme qui, inévitablement, en mutile le contenu rationnel ; mais, en vue de combler les lacunes propres à ce type concentré d’exposition, il s’emploie à fournir le plus possible de « détails » intermédiaires qui permettent de faire le lien, donc de rétablir une continuité dans l’exposition. Si ce correctif n’est pas apporté, cette exposition demeure atomisée, ce que confirme le fait qu’elle procède par énumération de points isolés les uns des autres, comme le suggère la numérotation des paragraphes du précis, point 1, point 2, etc., jusqu’à ce qu’on ait fait le tour de la question, sans avoir eu la possibilité d’en pénétrer tous les aspects, alors que c’est l’objectif que doit se fixer une démarche scientifique digne de ce nom : celle-ci ne se prête pas spontanément à une entreprise de schématisation du type de celle conduite dans le cadre d’un manuel d’enseignement où sont enregistrés, de manière forcément simplifiée, des résultats sans qu’il soit fait état du processus qui a permis de les obtenir, et où, diraient Bourdieu et Passeron, l’opus operatum est séparé de son modus operandi, défaut de fond sur lequel Hegel ne pouvait se permettre de passer. Ce serait donc une grave bévue de prendre le texte du manuel au pied de la lettre, car il ne se suffit pas à lui-même : les manques de l’écrit ou de l’imprimé, qui ne sont pas des accidents de sa nature mais lui sont consubstantiels, appellent un surcroît d’explication et de justification qui vienne les combler en occupant le vide créé par l’opération d’abstraction propre à la composition d’un précis ; un tel précis, si étonnant que cela paraisse, appelle à être précisé, complété par un apport d’explications qu’il n’est pas en mesure lui-même de fournir, et qui peuvent être fournies oralement durant le cours auquel elles donnent ainsi sa raison d’être. Le rôle pratique du cours serait en conséquence d’énoncer ce qui n’est pas écrit dans le manuel, qui, sous prétexte de rendre plus accessible, plus proche, davantage à la main ou maniable un contenu rationnel, le rend à la limite incompréhensible, inassimilable, en lui prêtant l’allure d’une pensée morte, qu’il faut 04/10/11 15:44 Pierre Macherey : “Le cours magistral (3)” | La philosophie au sens large Seite 4 von 17 http://philolarge.hypotheses.org/1032 à tout prix revitaliser : c’est à cela que s’emploie le professeur, qui se sert du manuel comme d’un instrument de travail, en se refusant à le traiter comme une bible où des vérités seraient énoncées une fois pour toutes sous leur forme définitive. A ce point de vue, le travail auquel se livre l’enseignant qui fait son cours peut être rapproché de celui qu’accomplit l’interprète d’une partition musicale, qui, pour en réaliser les indications, fait ressortir ce qui, en elle, dans son « texte », n’est pas déjà tout écrit, de manière à rendre le morceau ainsi exécuté appréhensible par le public qui l’écoute. Cependant, il reste uploads/Philosophie/ macherey-quot-le-cours-magistral-3-quot-la-philosophie-au-sens-large.pdf

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